OGM le gouvernement assure le service minimum
La transcription de la directive européenne relative aux essais et cultures commerciales d’OGM marque une avancée, mais ne règle en rien les questions de coexistence et de responsabilité
EN TRANSPOSANT, le 20 mars, la directive européenne 2001/18 relative aux essais en champs et aux cultures commerciales d’OGM, la France s’acquitte d’une tâche qu’elle aurait dû effectuer depuis 2002. Un retard que Paris pourrait payer cher – près de 42 M€ –, la Commission de Bruxelles n’ayant pas l’intention de retirer sa plainte deposée devant la Cour de justice européenne fin 2006. Sur le fond, la transposition de la directive est une bonne nouvelle : le droit français intègre enfin les règles européennes d’autorisation et de contrôle en matière d’OGM, plus complètes que celles prévues dans les textes français. Grâce à cette transposition, la France va pouvoir connaître précisément les surfaces OGM cultivées sur son sol, à quelques semaines des semis de maïs. Une première. Les agriculteurs qui sèmeront des OGM en 2007 seront tenus de le déclarer à l’administration. Pour autant, la France continue de jouer sur le dossier la carte du “service minimum”. En effet, la transposition de la directive ne règle en rien la question de la coexistence entre cultures OGM et non-OGM. Faute d’avoir mené à terme l’examen de son projet de loi OGM, le gouvernement laisse le monde agri-cole au milieu du gué : comme les années précédentes, les cultures transgéniques se feront en 2007 sans règles de coexistence contraignantes et sans régime de responsabilité spécifique en cas de contamination. Dominique de Villepin et son équipe laissent à leurs successeurs un chantier inachevé.
Création d’un registre national
La France rentre dans le rang. Après bien des tergiversations, Paris a finalement transposé, le 20 mars, la directive sur la dissémination volontaire des OGM dans l’environnement. La Commission de Bruxelles a reçu, le 20 mars, des tableaux d’équivalence attestant de la transposition de la directive. Après un premier examen des décrets et arrêtés publiés par Paris, un expert indique qu’ils sont “assez conformes” au texte européen, dans l’attente d’une expertise complète.
Sur un plan pratique, les agriculteurs français qui cultiveront des OGM en 2007 seront tenus d’en faire la déclaration à l’administration d’ici au 15 mai (localisation de la parcelle, surface, date des semis…). Ces informations alimenteront un registre national des cultures OGM géré par le ministère de l’Agriculture (DGAL). Seule une partie de ces données sera accessible au grand public, à savoir le nombre et la surface des parcelles OGM dans chaque canton. Le niveau communal, souhaité par certains, n’a pas été retenu, ni le niveau départemental, voulu par d’autres. Dans les couloirs de la Commission européenne, on indique que le niveau d’information – le canton – en ce qui concerne la localisation des parcelles OGM, sera étudié avec un soin particulier. Pour la plupart des états membres, ce point est le plus sensible de la directive. Celle-ci prévoit de rendre totalement publique cette information. Les pouvoirs publics rechignent à donner un libre accès à ces données, utilisées dans certains cas par les mouvements anti-OGM pour détruire les parcelles. Dans le cas de la France, la diffusion de l’information au niveau du canton pourrait être contestée par Bruxelles. Une plainte a déjà été déposée auprès de la Commission sur ce point à l’encontre de Paris en 2004.
Au-delà de cette exigence d’information sur les semis OGM, la transposition de la directive 2001/18 « ne va pas changer grand chose pour l’agriculteur » commente-t-on du côté du ministère de l’Agriculture. De fait, les décrets et arrêtés publiés le 20 mars sont avant tout d’ordre procédural pour les essais OGM et pour la mise sur le marché des semences transgéniques : contenu des dossiers techniques, autorité administrative compétente, information du public etc. Parmi les nouveautés introduites dans le droit français, on notera la limitation de l’autorisation de la mise sur le marché d’un OGM à une période de dix ans.
Parer au plus pressé
Cette transposition est-elle de nature à ramener la paix dans les campagnes ? Rien n’est moins sûr. En transposant par décrets et par arrêtés la directive, le gouvernement pare au plus pressé. A bout de patience, Bruxelles a demandé, fin 2006, à la Cour de justice européenne d’infliger à la France une amende de quelque 38 M€ pour la non-application d’un premier arrêt de la Cour en juillet 2004 sur cette affaire. En raison des astreintes par jour de retard, ce chiffre pourrait même approcher les 43 M€ si la Cour l’actualise à la date du mardi 20 mars, jour de transposition de la directive. Sous la menace, Paris s’est résigné à transposer par voie réglementaire les dispositions de la directive 2001/18 qu’il avait tenté, un temps, de faire voter dans le cadre d’un projet de loi sur les OGM porté par le ministre de la Recherche, François Goulard. Celui-ci aura bien tenté en 2005 et 2006 de faire examiner par le Parlement ce projet de loi. Mais sans succès. Le texte, adopté en première lecture par le Sénat en mars 2006, n’aura pu être examiné à l’Assemblée nationale avant la fin de la session parlementaire le 22 février 2007, faute de temps et d’une volonté politique du gouvernement d’en faire une priorité. Le plus dommageable tient au fait que le projet de loi de François Goulard définissait le cadre des fameuses règles de coexistence et de responsabilité en matière d’OGM. Les dossiers de la coexistence et de la responsabilité sont en effet du ressort des états membres et non de Bruxelles. En renonçant à trouver un créneau législatif pour son projet de loi OGM, le gouvernement a renvoyé à son successeur la responsabilité de définir ces règles.
La transposition de la directive 2001/18, le 20 mars, laisse donc grande ouverte la question de la gestion des filières OGM et non-OGM en France. D’autant que les surfaces cultivées augmentent. Le 8 février dernier, Daniel Chéron, directeur général de la coopérative Limagrain, déclarait tabler sur « au moins 30.000 ha d’OGM » cultivés en France en 2007, contre 5.000 ha en 2006 et moins de 1.000 en 2005.
Auto-discipline des agriculteurs
Faute d’avoir fait adopter un cadre législatif sur la coexistence, le gouvernement – par la voix du ministère de l’Agriculture – en appelle au sens civique et au sens de la responsabilité des agriculteurs qui cultiveront des OGM en 2007. Il leur est demandé d’informer les cultivateurs des parcelles voisines et de mettre en place une distance d’isolement de 50 mètres entre cultures OGM et non-OGM. « Le cahier technique de l’AGPM prévoit une distance d’isolement de 25 mètres. On a décidé de la doubler afin de rassurer tout le monde », précise-t-on rue de Varenne. Le ministère ajoute qu’un suivi permettant d’évaluer l’efficacité des distances d’isolement entre cultures sera effectué par les services de l’état. Il n’est pas certain que l’appel à l’auto-discipline des agriculteurs soit de nature faire baisser la garde aux opposants aux OGM, qu’ils appartiennent au monde agricole ou non. Une chose est sûre : le gouvernement issu des prochaines élections présidentielles et législatives héritera du dossier de la coexistence et de la responsabilité. Quelle sera son attitude ? Quelle vision politique défendra t-il sur le dossier OGM ? A lire les déclarations des candidats, aucun ne montre un enthousiasme particulier à l’égard des biotechnologies végétales. Et s’ils se fient aux sondages, ils observeront que 62 % des agriculteurs se disent favorables à un moratoire sur les cultures en plein champ (sondage Journal du Dimanche du 4 mars 2007). Pour les filières agricoles favorables aux OGM, rien n’est gagné. Au contraire, tout reste à faire.