Développement
Les blés français pourraient perdre des parts de marché en Afrique
L’Afrique subsaharienne serait en mesure d’augmenter sa production de blé du fait de la rentabilité actuelle de la céréale.
« AUX PRIX ACTUELS, il serait plus compétitif pour de nombreux pays de cultiver plutôt que d’importer », a déclaré Bekele Shiferaw, directeur du programme socio-économique du Centre international pour l’amélioration des cultures du blé et du maïs (Cimmyt) de Nairobi. Une déclaration intervenue à l’occasion de la sortie d’une étude mettant en avant la rentabilité de la culture du blé sur le continent africain, compte tenu d’une demande croissante pour la céréale et de la progression de ses prix, entre autres raisons. Le document a été présenté à la conférence internationale intitulée “Du blé pour la sécurité alimentaire en Afrique”, qui s’est achevée le vendredi 11 octobre à Nairobi. Tous les pays d’Afrique ne seraient néanmoins pas capables de voir progresser leur production compte tenu des conditions climatiques. L’étude concerne l’Angola, le Burundi, l’Éthiopie, le Kenya, Madagascar, le Mozambique, le Rwanda, la Tanzanie, la République démocratique du Congo, l’Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe. Cette évolution potentielle pourrait avoir un impact sur l’export français de blé et de farine, qui, pour partie, est destiné à certains de ces pays.
« La France continuera d’exporter », selon France Export Céréales
« Beaucoup de pays qui financent l’aide au développement de l’agriculture en Afrique sont aussi de grands exportateurs de blé », indique Bekele Shiferaw. La France en fait partie, mais les douze pays d’Afrique subsaharienne qui ont fait l’objet de l’étude sont davantage approvisionnés par des productions nord-américaines qu’hexagonales. Sur les douze nations citées, seuls la République démocratique du Congo et l’Angola sont d’importants importateurs de produits hexagonaux, respectivement de blé et de farine de blé. « Le marché de l’Afrique subsaharienne est très important, il est en deuxième position derrière le Maghreb, l’Égypte étant très variable d’une année à l’autre. Il représente entre 1,8 et 2,2 Mt par an », estime François Gâtel, directeur de France Export Céréales. Mais, les principales destinations des blés français ne se situent pas en Afrique de l’Est, qui constitue le bassin de production envisagé par l’étude. En 2011/2012, le Sénégal a importé 310.000 t de blé français, la Côte d’Ivoire 350.000 t, le Cameroun 380.000 t, constituant ainsi les plus importants débouchés pour le blé français en Afrique subsaharienne. La République démocratique du Congo est toutefois un bon client pour la France avec 140.000 t de blé importées sur la campagne dernière. L’Angola est également un importateur qui compte, avec environ 200-250.000 t de farine française importées chaque année.
Comment ces besoins seront-ils couverts demain ? « Compte-tenu d’une population urbaine qui progresse, comme celle des campagnes d’ailleurs, et des habitudes alimentaires qui évoluent beaucoup, avec une consommation de pain proportionnellement en hausse au détriment des tubercules exotiques et céréales locales (mil, sorgho ou maïs), est-ce qu’une progression de la production de blé en Afrique de l’Est diminuera les besoins d’importations africains ? Je n’y crois pas », estime François Gâtel. La France continuera donc d’exporter sur ses marchés traditionnels car « les besoins liés à la consommation augmenteront plus vite que la production » assure le directeur de FEC. Par ailleurs, les marchés étant très différents de l’Est à l’Ouest de l’Afrique du fait de l’héritage historique colonial qui a marqué les coutumes alimentaires, et notamment le type de pain consommé, unehausse de la production de blé de type US dans un pays ne se traduirait pas nécessairement par une baissse des importations d’un pays voisin qui pourrait préférer des blés apte à la fabrication de baguette.
Des marges de progrès importantes pour les cultures africaines à condition d’investir
« 20 à 100 % des terres arables » pourraient accueillir des cultures de blé en Angola, Burundi, Éthiopie, Kenya, Madagascar, Mozambique, Rwanda, Tanzanie, RDC, Ouganda, Zambie et Zimbabwe, selon les auteurs de l’étude du Cimmyt. Dans ces pays, seuls « 10 à 25 % du potentiel biologique et économique de leurs terres » seraient utilisés. Avec une consommation qui est passée de 25 kg/an par habitant dans les années 60 à plus de 50 kg/an par habitant aujourd’hui, associée à des prix qui ont fortement progressé, la culture du blé deviendrait de plus en plus rentable. Pour ce dernier, « un investissement indicatif de 250 à 300 $/ha, en comptant le travail, les semences et les fertilisants, assurerait un revenu net de 200 $/ha ». Selon les projections de l’étude, les rendements en blé dans les douze pays précités pourraient atteindre des valeurs comprises entre 1,2 et 3 t/ha pour la majorité des pays d’Afrique centrale et orientale, voire au-delà de 4 t/ha dans certaines zones tempérées du Rwanda. Des estimations « probablement supérieures aux réalités du terrain », reconnaît Bekele Shiferaw.