Filière oléagineuse
Le projet d’usine d’huile de palme à Port-La-Nouvelle fait débat
Sime Darby, le premier producteur mondial d’huile de palme, prévoit d’implanter une raffinerie à Port-La-Nouvelle d’ici 2013.
« Un afflux d’huile dans cette zone, ne peut avoir que des conséquences néfastes sur la tenue des prix. » Pour Philippe Tillous-Borde, directeur général du groupe Sofiprotéol, la venue d’une nouvelle usine de trituration est en effet une menace pour l’ensemble de la filière oléagineuse de la région. Et pour cause, selon la direction de Sime Darby, « l’usine aurait pour vocation le traitement et le raffinage de différentes huiles végétales : de l’huile de palme certifiée durable essentiellement, mais également des huiles de colza et de tournesol ». Une activité déjà existante dans la région. Et même si leur intention est de travailler avec les exploitants agricoles et industriels locaux, « aucun accord n’a encore été négocié », selon la société malaisienne. Le ressenti des acteurs de la région confirme ce manque de contact. « On ne connaît ni leurs intentions à moyen et long termes, ni la taille de l’outil qu’ils veulent construire. S’ils gardent une attitude aussi floue, on ne pourra rien bâtir en commun », regrette Phillipe Tillous-Borde.
Un projet porté vers l’export
Mais, bien qu’entrant en concurrence avec les filières françaises, la stratégie de Sime Darby serait tout de même quelque peu différente. L’intention de l’entreprise malaisienne est de « satisfaire la demande croissante en huiles alimentaires de l’Europe du Sud et de l’Afrique du Nord », explique la direction de Sime Darby. De l’aveu même de Philipe Tillous-Borde, la « stratégie (de sofiprotéol) est complètement opposée à un groupe comme Sime Darby. Ils souhaitent envoyer de l’huile de palme partout dans le monde et la valoriser. Eux-mêmes le disent, c’est un raffinage pour réexporter l’huile vers le Moyen-Orient, et le bassin méditerranéen. » Le marché de l’huile de palme dans cette région est en effet en plein essor. Wilmar, le grand concurrent indonésien de Sime Darby, est d’ailleurs déjà implanté en Espagne, avec cette stratégie d’éclatement dans le bassin méditerranéen, que l’entreprise malaisienne souhaite appliquer à partir de Port-La-Nouvelle. Mais encore une fois, pour Philippe Tillous-Borde ce calcul est « une erreur ». « Ce n’est ni Rotterdam, ni Anvers. Port-La-Nouvelle n’a pas de drainage fluvial, et d’autres sites sont bien mieux placés, comme Tanger Méditerranée par exemple. »
Une erreur stratégique ?
La région Languedoc-Roussillon voit pourtant dans ce projet plusieurs arguments de poids. Avec un taux de chômage de 12,6 % (contre 9,5 % en moyenne nationale en mars dernier), l’implantation de Sime Darby permettrait de créer de nouveaux emplois. Mais, selon Philippe Tillous-Borde, « l’activité ne sera relancée que très faiblement. Pour 250.000 t raffinées, ils n’auront besoin que de 50 personnes. Ce n’est pas ça qui va résoudre les problèmes d’emploi dans la région », affirme-t-il. Une estimation d’ailleurs confirmée par Alexander Van der Klauw, dirigeant d’une filiale européenne du groupe Sime Darby, dans une interview au quotidien perpignanais, L’Indépendant. De plus, la région est déjà fortement active en matière de trituration, avec 700.000 tonnes annuelles en moyenne. « On reçoit de la graine de la vallée du Rhône jusqu’au sud de la Bourgogne par péniche, il n’y a pas la place pour eux », précise Philippe Tillous-Borde. Et c’est justement parce que le port de Sète est déjà une plateforme importante que l’investissement évoqué autour de Port-La-Nouvelle (le chiffre de 200 millions d’euros circule sans être confirmé) surprend autant. « Sur Sète, il y a déjà un port en eau profonde. Donc nous voudrions conforter ce terminal plutôt que d’aller investir dans une autre voie, de manière ni raisonnable, ni raisonnée », défend Phillipe Tillous-Borde, avant d’ajouter qu’« il y a encore beaucoup à faire sur Sète ».
Alimentaire ou biodiesel ?
Si les moyens mis en œuvre et le projet de Sime Darby ne sont pas encore totalement clairs pour les acteurs de la filière en Languedoc-Roussillon, il est un autre point qui pose question. L’orientation de l’usine sera-t-elle axée alimentaire ou biodiesel ? Sur ce point, l’exploitant malaisien se montre précis. « Cette usine aurait pour vocation le traitement et le raffinage de l’huile de palme durable mais aussi des huiles de colza et de tournesol pour un usage alimentaire. Les biocarburants ne font pas partie du cœur de métier de Sime Darby », nous a affirmé la direction du groupe. Une déclaration prise avec méfiance par le directeur général du groupe Sofiprotéol : « Je sais très bien qu’ils ne disent pas la vérité. Ils se mettront forcement à produire de l’oléine de palme pour le marché pétrolier. J’en suis convaincu. »
Et si Philippe Tillous-Borde est sceptique, c’est que Sime Darby n’en serait pas à son premier projet de production de biodiesel. Fin 2006, l’entreprise a en effet fusionné avec Permodalan Nasional Bhd et Kumpulan, pour former la plus importante entreprise d’huile de palme de Malaisie : Synergie Drive. Et cette dernière est directement liée à plusieurs projets d’usine de biodiesel, dont une usine électrique à biocarburant implantée à Rotterdam. Enfin, au décompte des incertitudes, il ne faut pas oublier celle de la réelle mise en place de ce projet : la Croatie, l’Espagne et l’Italie sont elles aussi sur les rangs, et les lobbys écologistes se sont déjà prononcés contre l’installation de cette usine d’huile palme.