La valse des étiquettes encore nébuleuse
Alors que les industriels doivent revaloriser les tarifs de leurs produits, la grande distribution essaie de jouer la montre pour répercuter la hausse
SI LA PROGRESSION des prix alimentaires en grande distribution ne fait plus de doute dans les semaines à venir, l’opacité règne sur son ampleur et les produits réellement concernés. Interrogés par La Dépêche/Le Petit Meunier, les principaux distributeurs n’ont pu émettre la moindre précision, « les négociations étant encore en cours ». En attendant, tous les intervenants, gouvernement compris, sont aux aguets.
L’augmentation touchera surtout les produits les moins transformés
Du côté de la filière blé dur, qui avait tiré la sonnette d’alarme début juillet, les négociations devraient aboutir en octobre, confirme Christine Petit, directrice générale des syndicats représentant les semouliers et fabricants de pâtes (CFSI et Sifpaf). Comme tous les produits peu transformés (beurre, lait,…), où la matière agricole tient une place prépondérante dans le coût de revient, les pâtes seront parmi les denrées plus revalorisées. Le pastier Alpina Savoie a par exemple rehaussé cet été ses tarifs aux centrales d’achats de 8 à 22 % selon les produits. Mais il serait prématuré, voire hasardeux, d’annoncer le niveau d’augmentation des prix en rayon. Dans un marché B to B, les ajustements vont en effet dépendre des politiques commerciales de chacun.
Concernés à la fois par la flambée des prix des céréales et des produits laitiers, des œufs, du cacao ou encore des fruits, les industriels de la BVP espèrent pouvoir revaloriser leurs prix de ventes de « 10 à 15 %, voir plus » selon les sociétés, indique Philippe Godard, directeur de la communication de la FEBPF (Fédération des entreprises de boulangerie et pâtisserie françaises). Si l’évolution est déjà répercutée dans les réseaux de terminaux de cuisson franchisés, là aussi les pourparlers sont en cours avec les GMS. Selon le représentant des industriels, « les entreprises, qui ont déjà dû réduire leurs marges, sont inquiètes. Passer une hausse fait toujours perdre des clients ». Cela revient en effet à remettre en cause les contrats. C’est surtout au bout de la chaîne que les débouchés sont menacés si l’on en croît le ratio diffusé par l’Insee assurant que la consommation baisse de 0,19 % à chaque hausse de prix de 1 %. Avec des revalorisations supérieures à 10 %, les ventes de baguettes devraient s’en ressentir alors que les distributeurs sont « plutôt réceptifs » aux aspirations des fabricants. L’autre inconnue est le niveau des marges des grandes enseignes. À l’instar de certains artisans boulangers, elles pourraient, pour certains produits sensibles comme la baguette, choisir d’atténuer voire d’absorber la hausse.
Sur les marchés publics, les discussions s’avèrent plus difficiles. Avec les collectivités, « les prix sont bloqués jusqu’à l’appel d’offres suivant », explique Philippe Godard. Face à l’inflation de leurs coûts de fabrication, certains doivent se résoudre à « casser leurs marchés ».
Les négociations devraient se multiplier
Jean-René Buisson, président de l’Ania (Association nationale des industries alimentaires) avouait en juillet que les discussions avec la grande distribution « s’annonçaient difficiles ». Pourtant, les révisions de tarifs semblent pour le moment comprises par les distributeurs. Mais les débats pourraient se durcir. En effet, les cours des céréales, dont le blé, restent orientés à la hausse. Ce ne serait donc qu’une première étape. Comme l’annoncent les transformateurs, il faut s’attendre à une seconde salve d’augmentations avant la fin de l’année. C’est le cas d’Alpina Savoie qui entend « ajuster à nouveau ses tarifs en octobre », confie Franck Rouard, président du directoire.
Transparence sur les prix et les marges ?
Personne ne veut porter le chapeau de l’inflation des prix alimentaires. Surtout les distributeurs, qui se livrent une guerre farouche pour avoir les prix les plus bas possibles. Le gouvernement, qui a fait du pouvoir d’achat l’un de ses arguments de campagne, s’attache à montrer qu’il prend le dossier en main. Lors du conseil des ministres du 29 août, Michel Barnier a appelé « les professionnels à la modération dans la répercussion des hausses des prix de certaines matières premières agricoles sur les prix à la consommation », ajoutant que cette progression « ne doit donc pas servir de prétexte à des hausses de prix qui ne seraient pas justifiées ». Une déclaration qui a fait réagir la FEBPF. Dans un courrier adressé à Christine Lagarde, ministre de l’Économie, la fédération s’insurge : « les industries de boulangerie ne peuvent accepter la suspicion qui entoure les hausses annoncées des prix du pain ». Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, a de son côté demandé que soient appliquées « les lois sur les négociations commerciales » et réclamé « la transparence sur les prix et les marges ». Le président Nicolas Sarkozy est allé plus loin en annonçant, le 30 août, qu’il voulait une « nouvelle réglementation sur les marges arrières dans la grande distribution pour faire baisser les prix à la consommation » et qu’un « dispositif particulier » serait étudié pour les produits agricoles. Reste à savoir si un simple ajustement de la loi Dutreil sera suffisant.