Agriculture biologique
La flambée des prix des matières premières met en danger la filière bio
À l’instar du conventionnel, le marché des céréales et oléo-protéagineux bio est en train de flamber en raison d’une récolte décevante
SURCHAUFFE. C’est du jamais vu sur le marché des matières premières bio : les prix des céréales n’en finissent pas de grimper, tout comme ceux des protéagineux, entraînant dans leur sillage, les oléagineux et le maïs. Le prix du blé meunier a franchi la barre des 400 €/t départ OS et continue sur sa lancée, alors qu’il ne cessait de chuter depuis trois ans au grand dam des producteurs, inquiets, qui peinaient à atteindre le seuil de rentabilité. Aujourd’hui, malgré l’envolée des prix, les producteurs ne sont pas pour autant rassurés sur leurs gains. En effet, beaucoup n’ont pas obtenu les rendements escomptés. De plus, les coûts de production ont été alourdis par la multiplication des passages pour le désherbage mécanique. Dans le nord, le centre, la Bretagne, l’ouest et le sud-ouest mais aussi dans l’est de la France, les rendements ont été très médiocres, au moins 30 % en deçà de la moyenne des années antérieures. Les mauvaises conditions climatiques ont également perturbé les récoltes. Seul le sud-est, et notamment la vallée du Rhône, tire son épingle du jeu, avec des rendements certes un peu plus faibles que l’an dernier, mais avec une qualité qui n’a pas été trop affectée. Ailleurs, les résultats sont très hétérogènes. Dans le sud-ouest, si le blé chute de 30 %, les protéagineux sont quasi inexistants : l’anthracnose et la rouille ont fait des ravages. Les rendements ont du mal à atteindre les 10 qx/ha. D’où la nécessité de variétés résistantes réclamées à cor et à cri par les professionnels. En Bretagne, la situation est catastrophique. Les moissons ont été si décalées que la qualité s’en est trouvée sérieusement dégradée. Certaines parcelles n’ont pas été récoltées. « Il me manque la moitié du tonnage habituel pour satisfaire mes clients, s’inquiète un opérateur. Les éleveurs sont sur le qui-vive. Comment vont-ils pouvoir nourrir leurs animaux, et à quel prix ? »
Des stocks nuls
En raison du risque de manque en blé meunier, les volumes en blé fourrager sont pratiquement inexistants. Les meuniers, devenus ces dernières années de plus en plus exigeants sur les taux de protéines plus difficiles à obtenir en bio sans azote chimique, ne font plus la fine bouche. Ils acceptent des taux plus bas, jusqu’à 10 %, si la valeur boulangère est suffisante. Pas question d’être trop stricts d’autant que le marché européen, lui aussi, est déficitaire et que la demande ne cesse d’augmenter. Les pays d’Europe du Nord, dont l’appel en produits bio se fait de plus en plus forte, sont à la recherche de matières premières. À l’instar du secteur conventionnel, la météo a perturbé les cultures, d’autant plus qu’en bio, les producteurs travaillent sans filet. Pour l’instant, la plupart des opérateurs français affirment ne pas vouloir se tourner vers d’autres provenances que l’Europe, par souci de traçabilité. Mais cela va-t-il durer ? L’an dernier, croulant sous les stocks qui plombaient le marché intérieur, la France avait approvisionné ses voisins européens. Aujourd’hui, la campagne a démarré avec un niveau de stock nul. Les meuniers et fabricants d’aliments français ont donc très vite dû acheter. Certes, la majorité des contrats a été faite sur des bases de prix en début de campagne pas aussi élevés qu’aujourd’hui. Mais pour le réapprovisionnement, les opérateurs craignent que l’échauffement des prix soit tel qu’il mette à mal l’avenir de la filière bio.
Risque de déstabiliser la filière
Dans ce contexte très tendu, les professionnels bio ne cachent pas leur inquiétude. D’abord, l’envolée des prix du secteur conventionnel qui contribue aussi à la flambée des prix du bio, risque de déstabiliser les producteurs. à plus de 275 €/t pour le blé standard conventionnel, il faudrait que le prix du bio atteigne le double pour être aussi intéressants sur le plan économique, sachant que les rendements sont, au mieux, moitié moins élevés. Sans parler des autres productions, comme le pois. Il atteint en moyenne 255 €/t en conventionnel. Il faudrait au moins le multiplier par deux en bio. Ce n’est pas le cas. Idem pour l’orge de mouture ou le triticale : ces 50 €/t de différence entre le bio et le non bio valent-ils vraiment la peine ? « Il faut plus que jamais soutenir les producteurs bio pour les aider à passer le cap », réclame un professionnel de la filière. « S’engager en bio, c’est aussi contribuer à protéger l’environnement le mieux possible et assurer la production d’aliments sains. Mais est-ce que ces arguments auront assez de poids par rapport aux aspects économiques ? » Les aides au maintien, inscrites dans le Plan de développement rural hexagonal et adoptées par quelques régions, seront-elles suffisantes pour réduire le manque à gagner et pour motiver les producteurs à rester en bio ?
État d’alerte maximum
Face à cette nouvelle situation, la filière bio se heurte à une épreuve supplémentaire. Alors que le marché n’a jamais été aussi porteur, que de nombreuses entreprises investissent en créant de nouvelles gammes, que les prix deviennent rémunérateurs pour les producteurs, les indicateurs sont passés, en quelques mois d’été seulement, du vert au rouge. Comment les fabs et les éleveurs vont-ils pouvoir passer ce cap ? Les entreprises pourront-elles répercuter toutes ces hausses sans se voir lâchées par les consommateurs ? En bio, en raison de l’utilisation très faible d’adjuvants, la part des matières premières dans le prix du produit fini est supérieure à celle du conventionnel. D’où un risque de répercussion des hausses encore plus fort. Les éleveurs pourront-ils tenir ? Plus que jamais, une vraie organisation de la filière s’impose. La balle est dans le camp de l’interprofession.