Dossier
La filière Grains impliquée dans la régulation financière
La prise de conscience politique de la nécessité de mieux encadrer les activités bancaires et financières suite à la crise de 2008, a débouché sur une série de projets législatifs nationaux et internationaux. Le secteur agricole et son aval, qui ont de plus en plus recours à des outils financiers sur les marchés à terme ou d’OTC pour se couvrir ou spéculer, seront également concernés. Ce dossier propose d’en faire un état des lieux
A l’échelle mondiale, européenne ou française, la régulation des activités financières lancée suite à la crise des subprimes s’est mise en place doucement avec les textes Bâle 3 et le Dodd Frank Act aux Etats-Unis. Au niveau européen, trois dossiers sont en préparation ou en cours de finalisation. Il s’agit de textes réglementaires et de directives associées : Emir, Mifid/Mifir et Mad/Mar. Leur application en revanche risque de traîner encore un moment. Une fois appliquée, ces mesures sont censées réduire les risques systémiques ayant conduit la finance en zone rouge à partir de 2007 suivie de la chute de Lehmann Brothers. A la crise financière est venue se greffer celle des matières premières (MP) agricoles. La volatilité a explosé sur les marchés européens ces dernières années, avec l’abandon des instrument de gestion de marchés de la Pac et l’activité croissante de la spéculation financière qui a exacerbé les mouvements de prix. L’application de ces textes va modifer les habitudes de la profession du commerce des grains, qui s’intègre doucement mais surement à la finance mondiale.
Débat sur les limites de position
La directive Mifid prévoit l’introduction de limites de positions sur les marchés réglementés, sans pour autant en préciser le mode d’appréhension. L’autorité européenne des marchés financiers, l’Esma, travaille actuellement sur la définition de cette limite de position. Un Comité consultatif d’européens spécialisés sur les commodities lui apporte son expertise. Si le rapporteur du texte européen s’est montré favorable à une limite stricte comme celle du nombre de contrats détenus par un opérateur, Bernard Valluis (pour l’Ania), qui participe au débat au sein du Comité, estime pour sa part qu’il serait plus efficace de travailler sur une limite « basée sur un pourcentage en fonction de la position ouverte de l’opérateur ». « Se contenter de limiter le nombre de contrats n’a pas vraiment de sens », estime-t-il. « Dans le cas du day trading, certains opérateurs commencent et terminent la journée à zéro position ouverte, mais entre temps ils ont pu spéculer sur de grandes quantités. Il faut qu’un maximum d’opérations passent par des chambres de compensation, avec une limite par type d’opérateurs. Et il faudrait qu’il y ait, derrière, un groupe d’experts qui regardent les positions », remarque pour sa part Didier Nedelec, qui participe aussi au comité consultatif MP de l’Esma.
La question de l’exemption des opérateurs du physique
En principe, les organismes non financiers, dont font partie les OS et les transformateurs, peuvent être exemptés du champ d’application de la directive Mifid s’ils ne développent pas d’activité financière en fonds propres significative. Toute la question est alors de définir à partir de quel moment une activité accessoire devient principale. Cette identification sera également importante pour la catégorisation des opérateurs prévue par la directive afin de mesurer le poids de la spéculation financière sur les marchés. « Une entreprise agroalimentaire peut se déclarer en tant qu’opérateur du physique, effectivement se courvir sur les MAT et se réserver une petite marge en réalisant quelques petites affaires en fonds propres. A quel moment, cette activité devient-elle financière ? L’enjeu pour nos entreprises est de savoir si elles seront exemptées des obligations de la Mifid », s’interroge Bernard Valluis.
Autre question importante : quel regard la Commission doit-elle porter sur les contrats physique utilisés traditionnellement par les opérateurs des marchés des grains. L’opacité relative du marché physique, et l’absence d’enregistrement des transactions, rapproche les contrats physiques des OTC. « Si tous les contrats indexés sur les marchés à terme sont des contrats OTC, alors cela concernerait également tous les contrats des agriculteurs traitant sur les marchés physiques », explique Didier Nedelec. Le sort des contrats physiques est d’autant plus important que le renforcement de la régulation des OTC aura un coût pour ses utilisateurs. « Tous les acteurs doivent être en mesure de déboucler leurs positions pour éviter les risques systémiques. L’agriculture est un secteur trop important pour ne pas respecter les règles du jeu. »
Comment définir l’abus de marché et le déli d’initié ?
L’application de la directive Mad, consacrée aux abus de marché, s’avère difficile dans l’état actuel des connaissances des marchés des MP agricoles par la Commission. « Les prix évoluent sur des marchés physiques et financiers. La Commission souhaite éviter que des opérations sur le physique n’induisent des manipulations du marché financier, et vice versa ». Pour l’heure, « les autorités de régulation ne disposent pas de moyens de contrôle du marché physique, pour lequel aucune structure centralisée n’existe », note Bernard Valluis. Cela pose aussi la question des benchmark. « Qu’en est-il d’un contrat indexé sur une cotation Fob Rouen de FranceAgriMer ? ». Celle-ci peut influencer le marché physique et le financier. Des travaux sont encore nécessaires pour mieux appréhender le marché physique des grains et ses interactions avec le financier. La création d’une autorité spécifique capable de rendre des comptes au régulateur sera certainement envisagée.