Conjoncture
Face à la pénurie d’œufs, les industries utilisatrices tirent la sonnette d’alarme
A 21 millions, le déficit hebdomadaire d’œufs laisse planer la menace de chômage technique chez les biscuitiers, fabricants de brioche et pastiers.
« Touchées de plein fouet par une pénurie d’œufs, les entreprises utilisatrices tirent la sonnette d’alarme » dans un communiqué commun du 1er mars. Certaines usines« pourraient prochainement procéder à des fermetures de lignes de production », alertent le Syndicat des biscuits et gâteaux de France, le Syndicat de la panification croustillante et moelleuse, le Syndicat des industriels fabricants de pâtes alimentaires de France (Sifpaf) et l’Association des entreprises de produits alimentaires élaborés (Adepale). Le déséquilibre du marché de l’œuf est dû au retard de mise aux normes européennes d’une partie des élevages. Le déficit atteindrait 21 millions d’œufs par semaine ! Conséquence directe : les cours s’envolent ! Ils ont bondi de 75 % entre octobre et février, et de 30 % sur la dernière quinzaine. Les industriels s’alignent sur les prix de l’œuf de consommation pour obtenir de la marchandise, souligne Ovocom (1,95 €/kg au 29/02) sur son site. Aussi, les entreprises consommatrices demandent-elles « aux autorités françaises des mesures urgentes, exceptionnelles et temporaires pour accroître les disponibilités sur le court terme ».
Pas de détente avant six mois
Selon une directive européenne de 1999 sur le bien être animal, les élevages devaient se conformer aux nouvelles normes des bâtiments d’élevage des poules pondeuses avant le 1er janvier 2012. Une application supposant de lourds investissements. Faute de moyens, et avec des organismes prêteurs frileux, nombre d’exploitations ont reporté l’investissement au maximum. Les mises en place ont ainsi reculé de 21 % en 2011, en France. Reflet de ce ralentissement : la production d’aliments pour pondeuses a reculé de 5,1 % sur un an au second semestre 2011, avec une chute de 8,9 % en décembre. En janvier le delta sur un an, n’est plus que de 2,7 %, ce qui laisse entrevoir un retour à la normale. Si la majorité des éleveurs ont sauté le pas, un minorité ne s’est pas exécutée avant la date butoir et est sommée de se mettre aux normes. Sachant qu’il faut cinq à six mois entre la mise en place des poulettes et leur ponte, la production hebdomadaire d’œufs affiche actuellement une baisse de 10 % par rapport à 2011, indique le Snipo (Syndicat national des industriels et professionnels de l’œuf) dans un communiqué.
Face à une offre réduite, et des coûts d’aliments qui s’alourdissent, les prix grimpent en flêche. Les industries utilisatrices redoutent des ruptures d’approvisionnement, mais aussi cette flambée. Or il ne faut pas s’attendre à de réelle détente avant le second semestre. D’ailleurs, à plus de 2 €/kg en ce début de semaine, la Tendance nationale officieuse (TNO) des œufs destinés aux fabricants d’ovoproduits, réalisée par Les Marchés, a progressé de 1,125 €/kg depuis octobre ! Et ces transformateurs sont les premiers à vivre les soubresauts du marché…
Solliciter des fournisseurs des pays tiers
Leader européen avec 2.100 élevages, et 46 millions de poules, la France produit 15 Md d’œufs par an. Trois sur dix sont captés par les industries alimentaires. Les fabricants de biscuits et gâteaux en consomment 15 %. La part des œufs dans les produits finis est loin d’être négligeable : 15 % pour des brioches, 25 % pour des quatre-quarts et 30 % pour des biscuits cuiller, par exemple. Leur prix peut représenter « 15-20 % du coût de revient de certaines spécialités », indique Jean-Loup Allain secrétaire général du Syndicat des biscuits et gâteaux. Leur part dans les pâtes alimentaires aux œufs frais s’échelonne, elle, entre 14 et 30 % selon les produits. Trois entreprises sont plus concernées par cette crise sans précédent : Pastacorp, avec ses pâtes aux 3 œufs frais au kilo, Heimburger et Valfleuri, entreprises alsaciennes dont la production est sous IGP “7 œufs frais au kilo”. Les pastiers craignent que la hausse ne mène leurs coûts de revient à des niveaux qui « ne seraient plus acceptables voir supportables, surtout si les industriels n’arrivent pas à la répercuter », insiste Christine Petit, secrétaire générale du Sifpaf. Et ce d’autant qu’ils évoluent dans un contexte de prix de blé dur élevés. Et « il n’y a pas d’alternative à l’utilisation des œufs pour nos fabricants », souligne Christine Petit.
Les industriels attendent des pouvoirs publics des solutions ponctuelles pour éviter des ruptures de contrats. La piste « à privilégier, selon Jean-Loup Allain, est d’accorder des tolérances » pour l’échéance de mises aux normes, « comme chez nos voisins », Pays-Bas et Italie notamment. Autre piste : faciliter temporairement les importations des pays tiers pour détendre la situation. Les états-Unis disposeraient en particulier d’œufs en poudre ou pasteurisés-congelés et pourraient donc répondre à cette attente. L’Hexagone, habituellement excédentaire, importe tout de même 15 % d’œufs. Pourquoi alors ne pas se tourner davantage vers nos voisins ? Parce que la crise s’observe dans toute l’UE !