Propositions
Bruxelles propose un nouveau « partenariat » aux agriculteurs
La réforme de la Pac proposée par la Commission européenne a été officiellement présentée et approuvée le 12 octobre dernier.
« UNE NOUVEAU partenariat entre l’Europe et les agriculteurs » : telle est, selon Dacian Ciolos, l’ambition des propositions de réforme de la Pac que la Commission de Bruxelles a officiellement approuvées et présentées le 12 octobre. À ceux qui, au sein des organisations professionnelles majoritaires ou du Parlement européen, reprochent à ce projet de mettre en péril la rentabilité des exploitations au profit de l’environnement et au détriment de la sécurité alimentaire, le commissaire à l’Agriculture répond qu’aujourd’hui « on ne peut pas parler de compétitivité économique sans parler de compétitivité écologique ». Très proches des textes déjà divulgués, les propositions de règlements pour l’après 2013 ne devraient pas se heurter « dans les grandes lignes à une opposition majoritaire » des États membres, pronostique Dacian Ciolos, qui rappelle qu’ « on a plus d’un an pour discuter et prendre la décision ». Un premier échange de vues des Vingt-sept au niveau ministériel a déjà eu lieu le 20 octobre à Luxembourg. La réforme proposée par la Commission européenne met à contribution les deux piliers de la Pac – les paiements directs et les mesures de marché au niveau de l’UE ; le développement rural au niveau régional et local – pour répondre à trois défis : sécurité alimentaire, gestion améliorée des ressources naturelles, équilibre des territoires.
Un « vrai filet de sécurité »
La Commission suggère de rendre les systèmes actuels d’intervention publique et d’aide au stockage privé plus réactifs et efficaces. Il propose aussi d’instaurer une nouvelle clause de sauvegarde pour tous les secteurs afin de lui permettre de prendre des mesures d’urgence pour répondre aux perturbations de marché, telles celles déclenchées cet été lors de la crise de l’E. coli.
Ces dispositions seront financées par une nouvelle réserve de 3,9 Md€ que la Commission propose de créer hors cadre financier pour faire face aux crises « qui vont au-delà de l’évolution normale du marché ». Elles constitueront un « vrai filet de sécurité pour toutes les productions », assure le commissaire européen à l’Agriculture, qui estime que « le marché est un instrument, pas un but en soi ».
Le stockage public sera supprimé pour le blé dur et le sorgho, ouvert de façon optionnelle pour la viande bovine, l’orge et le maïs. Il sera automatique jusqu’à une certaine limite quantitative et par appel d’offres au-delà de cette limite pour le blé tendre, le beurre et le lait en poudre. L’aide au stockage privé sur une base obligatoire sera supprimée pour le beurre. Elle sera optionnelle pour ce produit ainsi que pour le lait en poudre et la fibre de lin.
Au même titre que la disparition déjà prévue des quotas laitiers, la Commission préconise l’abolition des quotas pour le sucre et mesures connexes le 30 septembre 2015 – et non pas 2016 comme le prévoyaient les derniers textes en circulation – cette production étant par ailleurs éligible à l’aide au stockage privé et des critères étant établis pour la conclusion obligatoire de contrats entre les usines et les planteurs. Enfin, les projets de règlements se réfèrent aux propositions de décembre 2010 pour le secteur du lait (contrats écrits obligatoires et renforcement du pouvoir de négociation des agriculteurs dans la chaîne alimentaire) et sur les normes qualitatives de commercialisation, y compris le concept de lieu de production.
Verdissement et plafonnement
Selon ce projet, 70 % des paiements directs continueront à être octroyés, avec une conditionnalité simplifiée, en tant que soutien découplé au revenu des agriculteurs « actifs » (1), moyennant une dégressivité de ces versements à partir de 150.000 € par exploitation puis un plafonnement à 300.000 €, et en prenant en compte le nombre d’emplois (ajout de la masse salariale au seuil de déclenchement). Les fonds non utilisés dans le cadre de ce nouveau système seront transférés dans l’enveloppe du développement rural de l’État membre concerné. Quelque 30 % des paiements seront octroyés, hors plafonnement, si trois dispositions environnementales sont respectées : diversification des cultures (au moins trois, représentant au plus 70 % et au minimum 5 % de la surface), maintien de pâturages permanents et réservoirs écologiques ou éléments de paysage sur au moins 7 % des terres.
Petits agriculteurs et jeunes agriculteurs
Jusqu’à 10 % de l’enveloppe de paiements directs de chaque État membre pourra être versée selon un régime simplifié (montant forfaitaire) aux petits agriculteurs (entre 500 et 1.000 e d’aide annuelle) qui le souhaitent. Un tiers des exploitants de l’UE cultivent 3 % de la surface agricole utile totale. Jusqu’à 2 % de l’enveloppe nationale pourra être réservée pour aider les jeunes agriculteurs (moins de 40 ans) pendant cinq ans après leur installation, en plus du soutien que leur apporte le deuxième pilier. Le besoin de renouvellement des générations est fort, deux tiers des exploitants de l’UE ayant plus de 55 ans.
À ce dispositif obligatoire s’ajoutent deux autres mesures facultatives pour l’État membre : un paiement additionnel aux agriculteurs situés dans des zones confrontées à des contraintes naturelles spécifiques, en plus du soutien qui leur est accordé par le deuxième pilier ; le maintien, dans certaines limites d’un soutien couplé à des types d’exploitation ou des systèmes agricoles confrontés à certaines difficultés et particulièrement importants pour des raisons économiques ou sociales (viande bovine ou ovine, par exemple).
Prudente redistribution
Parallèlement, la Commission propose de rendre un peu plus équitable la distribution des paiements directs. Pour les États membres, (essentiellement les « nouveaux », mais aussi l’Espagne ou le Royaume-Uni) où ces paiements sont inférieurs à 90 % de la moyenne de l’UE, cet écart sera réduit d’un tiers sur la période 2014-2018. La réduction de l’enveloppe nationale des paiements qui s’ensuivra, pour des raisons de neutralité budgétaire, dans les pays aujourd’hui mieux lotis ne pourra pas dépasser 10 %. Dans le cas de la France, elle serait de 2,9 %. Les États membres en dessous de la barre des 90 % pourront par ailleurs consacrer aux paiements directs jusqu’à 5 % de leur enveloppe pour le développement rural. Les autres pourront procéder au transfert inverse à hauteur de 10 %. Une convergence des paiements est aussi préconisée par la Commission au sein même des États membres. Leur niveau par hectare devra être uniforme à l’échelle nationale ou régionale à l’horizon 2019, sur la base des droits alloués en 2014. Ces changements sont « logiques, ambitieux mais aussi faisables », affirme Dacian Ciolos Quant à une uniformisation du taux d’aide dans l’ensemble de l’UE, elle n’est évoquée, dans un considérant du projet de règlement, que pour la période de programmation suivante.
Organisation des producteurs et développement rural
Les États membres seront par ailleurs tenus de reconnaître, sur demande, les organisations de producteurs et les interprofessions dans tous les secteurs. Celles-ci auront les mêmes prérogatives que celles existant aujourd’hui pour les fruits et légumes (extension des règles, contributions obligatoires, mais pas la fixation des prix). Ces organisations bénéficieront, pour leur démarrage, d’un taux d’aide à l’investissement plus favorable dans le cadre de la politique de développement rural.
Le deuxième pilier, justement, poursuivra, selon la proposition de la Commission, six priorités, en lieu et place des « axes actuels » : transfert de connaissances et innovation ; amélioration de la compétitivité et de la viabilité des exploitations ; renforcement du pouvoir de négociation des agriculteurs et gestion des risques ; préservation et amélioration des écosystèmes ; création d’emplois et réduction de la pauvreté en milieu rural ; gestion durable des ressources et transition vers une économie économe en carbone. Au titre de ce dernier objectif, au moins 25 % des fonds pour le développement rural devront être alloués aux mesures agri-environnementales, aux zones moins favorisées et à l’agriculture biologique, ainsi qu’à la lutte contre les changements climatiques.
(1) Selon la définition proposée de l’agriculteur « actif », n’auraient pas droit aux paiements directs les personnes physiques ou morales pour lesquelles ces paiements représentent moins de 5 % des recettes tirées de l’ensemble de activités non agricoles ou qui disposent principalement de superficies conservées naturellement sur lesquelles elles n’exercent pas une activité minimale telle que définie par l’Etat membre.