AGRICULTURE POLONAISE victime du «rouleau compresseur» de la Pac
Deux ans après l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne, le bilan économique et social dans le secteur de l’agriculture est inquiétant pour le devenir des petites exploitations
PESSIMISME. « Pourra-t-on éviter à la Pologne, et à d’autres Peco, d’aggraver le chômage et de voir disparaître leurs cultures paysannes ? » Telle est la question que posent les conclusions d’un voyage d’étude effectué dans le cadre d’un travail de groupe, initié en 2003, sur l’avenir du monde rural des nouveaux Etats membres. Une équipe de 6 ruralistes (agriculteur, agronomes économistes, photographes, sociologue) de trois associations (Solidarité, Les Yeux de la Terre, Rocade) s’est rendue en Pologne, du 16 au 28 mai, dans le but de donner au public français une information sur la situation de son agriculture et de proposer une alternative à L’impasse économique, écologique et surtout sociale dans laquelle elle se trouve.
De nombreuses petites exploitations en danger de mort
La Pologne dispose en majeure partie de sols riches et d’un climat favorable. L’agriculture polonaise représente un cinquième de la population active et 2,5 millions d’exploitations dont 95 % possèdent une surface de moins de 20 hectares et 80 % de moins de 10 hectares. Elles sont principalement situées dans le sud et l’est du pays, visités par l’équipe. La région de Poznan, à l’Ouest, en revanche, est marquée par la présence d’exploitations plus grandes, parfois très vastes, ayant acquis les terres des anciennes fermes d’Etat. « Selon nos sources, la plus grande occuperait 80.000 hectares, le cinquième d’un département français », indique les auteurs de l’étude Les auteurs de l’étude sont François Bonnet, agriculteur, Daniel Julien, agronome et sociologue, François de Ravignan et Pierre Styblinski, agro-économistes, Christian Bellavia et Alain Keler, photographes., alors que la surface moyenne des exploitations polonaises s’élève à 7 hectares, contre 42 hectares en France.
L’ouverture du marché agricole de la Pologne provoque une transformation très rapide et profonde. La baisse des prix à la production et donc des revenus n’est compensée ni par les aides directes de la Politique agricole commune (Pac), ni par les augmentations de productivité. Pour les petits paysans, cela contribue à perpétuer une émigration (surtout temporaire), mais aussi des abandons de terre. C’est ainsi que les dispositifs de la Pac (y compris la mise aux normes) et leurs modes d’application nationaux ont un effet d’éviction sur les petites exploitations. « Si la plupart de nos interlocuteurs s’en déclarent préoccupés, ainsi que du sous-emploi qui en résulte, personne ne propose de solution », poursuivent les enquêteurs. A l’opposé, les agriculteurs les plus dynamiques se lancent dans un agrandissement rapide et un équipement massif, parfois sur-dimensionné.
Pour une nouvelle réforme de la Pac
De plus, le contexte polonais n’est pas celui de la France des années 1960, avec son plein emploi et sa croissance industrielle : ici le taux de chômage est de 17 %. « Et il relève de la gageure de prétendre envoyer de nombreux agriculteurs travailler dans d’autres secteurs », martèlent les auteurs de l’étude. La croissance des secteurs secondaires et tertiaires est en effet souvent le fait de firmes étrangères et de processus techniques peu exigeants en main-d’œuvre. L’évolution qui s’amorce risque de se révéler dramatique, en favorisant ceux qui ont des capacités financières et en excluant la petite agriculture familiale.
« Une action collective et structurée des agriculteurs qui, seule, pourrait leur permettre de former un contre-pouvoir aux dérives libérales en cours, paraît pouvoir difficilement se mettre en place aujourd’hui. » L’expérience communiste amène les agriculteurs polonais à s’en méfier. Ceci fait de l’agriculture polonaise une proie facile pour les grands groupes agroalimentaires et financiers.
« En conséquence, une nouvelle réforme de la Pac s’imposerait, comportant une aide forfaitaire à l’unité de main-d’œuvre et un plafonnement des aides pour protéger les petites exploitations au nom de leur fonction sociale, ainsi que le respect d’une “préférence communautaire” qui devient de plus en plus timide. Avec l’exemple de la production de fruits rouges polonais, mise en question par l’importation de fraises chinoises congelées ! », concluent les enquêteurs.