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« Sur notre élevage laitier dans le Cantal, la rentabilité prime désormais sur les performances techniques »

Dans le Cantal, le Gaec Meyniel n’a de cesse de faire évoluer son système d’exploitation. D’abord au profit de l’efficacité économique et de l’autonomie, puis plus récemment de la souplesse de travail.

« Quand je me suis installée avec ma mère en 2005, je cherchais la performance zootechnique sans me soucier de l’économique, reconnaît Fabien Meyniel, éleveur à Talizat dans le Cantal à 950 mètres d’altitude. Le système était intensif à l’animal (7 900 l par vache) et extensif sur les surfaces (60 ares par vache). » Le troupeau d’une trentaine de prim’Holstein, qui tournait alors avec plus de deux tonnes de concentrés par an, en plus d’achats de maïs épi, était toujours sur le fil du rasoir au niveau métabolique et souffrait de boiteries.

Le jeune exploitant a complètement revu sa copie. La productivité laitière a progressivement été divisée par deux. « Au fil des ans, nous avons cherché à tracer une trajectoire où c’est l’économique qui dicte nos choix », dépeint-il, convaincu que la force d’une exploitation tient avant tout à sa capacité d’adaptation.

Spécialisation en lait et désintensification animale

Et que de chemin parcouru depuis les premières années d’installation ! À l’époque, en 2005, le Gaec disposait encore d’un double troupeau avec 30 blondes d’Aquitaine. L’excédent brut d’exploitation par UGB ne dépassait pas 700 euros par UGB, contre 1 230 euros par UGB en moyenne sur les trois dernières campagnes.

 

 
stabulation en élevage laitier
La stabulation de 2005, avec 72 logettes pour les vaches et 30 pour les génisses, permet de gérer quatre lots d’animaux. Une modularité nécessaire car les effectifs fluctuent beaucoup en l’espace de deux ou trois mois. © E. Bignon

Fiche élevage

2,3 UMO dont 0,3 UMO salarié

161 ha de SAU dont 115 ha de prairies permanentes, 35 ha de prairies temporaires, 8 ha de mélanges céréaliers, 3 ha de lentilles blondes

71 vaches croisées à 4 000 l

285 000 l produits

0,6 UGB/ha SFP

« En 2008, l’évolution du cahier des charges de l’AOP cantal imposant moins de 1 800 kilos de concentrés est arrivé à point nommé », se souvient Fabien. Cela a encouragé l’éleveur à s’engager dans la voie de la désintensification animale en supprimant les achats de maïs épi et en réduisant les apports de concentrés. « En parallèle, notre intégration au réseau des fermes de références Inosys m’a amené à mettre davantage le nez dans les chiffres et m’a poussé à réfléchir en profondeur aux directions stratégiques à prendre, calculatrice en main. » À partir de ce moment-là, Fabien a eu à cœur de réorienter le système de production vers plus de cohérence entre le potentiel fourrager, le niveau de chargement et le rendement laitier des vaches.

Inversion de priorité entre pâturage et stocks

Le travail a démarré par une quête d’autonomie alimentaire qui s’est traduite par la recherche d’une meilleure valorisation de l’herbe. « Nous avons inversé nos priorités entre le pâturage et les stocks », décrit-il. Le pâturage représente aujourd’hui près de 54 % de la ration annuelle. À partir de mi-avril, aucun fourrage ni complémentation ne sont distribués. Les vaches reçoivent des concentrés uniquement de la préparation au vêlage à mi-avril, et les génisses durant le premier trimestre avant l’insémination.

 

 
vaches au pâturage
Les laitières sont en pâturage intégral sans affouragement ni concentrés de mi-avril à mi-août. © Gaec Meyniel

Pour ne plus gaspiller l’herbe, Fabien a mis en place un pâturage tournant bien construit pour chaque catégorie d'animaux. « Au début du printemps, nous calons précisément les surfaces nécessaires, nous les faisons pâturer au maximum et nous récoltons tout ce qu’ils ne peuvent pas manger », explique l’éleveur.

La mise à l’herbe est plus précoce, autour du 20 mars dès que le sol est suffisamment portant, avec une fin de transition alimentaire à 300 degrés cumulés (cumul quotidien de températures à partir du 1er février), autour du 20 avril. Le Gaec a également travaillé sur la qualité de l'herbe récoltée. Pour allonger le premier tour de pâturage, un déprimage de parcelles de fauche est réalisé dans la limite des 500 degrés. « La qualité est privilégiée à la quantité, avec des rendements moyens autour de 3 t MS/ha (ensilage). » « Depuis quatre ans, je n’apporte plus de fertilisation minérale aux prairies et la flore se montre plus diversifiée avec plus de légumineuses », observe-t-il.

En outre, la réintroduction d’un mélange céréalier (blé, triticale, épeautre, pois et vesce) dans l’assolement a également permis une dynamique fourragère plus réactive et productive grâce aux rotations intégrant des prairies temporaires à base de ray-grass hybride, trèfle blanc et violet, fétuque et lotier.

Arrêt de l’atelier viande pour réduire le chargement

En parallèle des leviers d’adaptation du système fourrager, la production par vache a diminué pour osciller autour de 6 000 litres. L’éleveur s’est lancé dans le croisement trois voies du troupeau laitier. « Je me suis pas mal cherché quant aux races les plus aptes à valoriser mon système. Je veux des vaches de gabarit plus modeste, mobiles, rustiques et plus fertiles. » Après différents essais, Fabien travaille en ce moment avec de la génétique néo-zélandaise réputée plus fertile et adaptée au pâturage : frisonne néo-zélandaise et jersiaise pour la précocité, les taux et le gabarit. La troisième race varie selon les points faibles de l’animal à accoupler. « Parfois la Holstein européenne pour conserver le potentiel laitier et la qualité des mamelles, et parfois aussi la brune pour son potentiel lait, ses taux et son tempérament. »

 

 
Naya vache croisée Jersiais/Holstein/ Abondance au pâturage
Naya (jersiais/Holstein/abondance) a produit en quatrième lactation 5 949 l en 290 jours, TB 49,1 g/l de TB et 36 g/l de TP. « C'est le type de vache que je recherche : hauteur au garrot modeste, bonne capacité d’ingestion, mamelle très accessible, et sans souci. » © Gaec Meyniel

Malgré la baisse de productivité par vache, entre 2008 et 2014, le volume de lait produit a augmenté au gré des dotations et des achats de quotas. Pour faire face à l’augmentation du nombre croissant d’animaux à nourrir, le Gaec a réduit l’âge au vêlage de 34 à 25 mois. Cette orientation a permis de réduire le nombre d’UGB de près de 10 %, soit une économie représentant l’équivalent de 60 tonnes de matière sèche.  « Le bénéfice est double, analyse Fabien. Nous y gagnons à la fois sur le chargement, mais également sur la facilité de vêlage avec des génisses moins grasses. »

 

 
fabrique d'aliment à la ferme
Les céréales autoproduites et le tourteau de colza sont aplaties et mélangées dans une fabrique d’aliment à la ferme dotée de quatre cellules de stockage, depuis 2011. © E. Bignon

En 2015, l’arrêt progressif du troupeau allaitant s’est révélé un choix marquant dans la stratégie du Gaec. « Cette décision a été douloureuse car nous avions monté ce troupeau de toutes pièces et nous arrivions alors à un optimum technico-économique. Mais le choix de raison a prévalu, motivé par la recherche d’autonomie fourragère et la nécessité de sécuriser le système fourrager face aux aléas climatiques », argumente l’éleveur. Les sécheresses successives de 2017, 2018 et 2019 lui ont donné raison. Par sécurité, le Gaec table sur un chargement corrigé de 0,75 UGB par hectare (nombre d’UGB réellement alimentés par le système fourrager hors achats extérieurs et variations d’inventaire). « Cet objectif est globalement atteint tous les ans sauf en 2022, où l’année a été désastreuse (0,45 UGB/ha). Heureusement, 2023 et 2024 ont permis de reconstituer des stocks. »

Le choix de la monotraite plus de la moitié de l’année

La perspective du départ à la retraite de la mère de Fabien, fin 2021, a aussi joué dans le choix de décapitalisation du troupeau allaitant. « La problématique main-d’œuvre et la recherche de solutions pour alléger le travail sont devenues essentielles », poursuit-il. Fabien a alors choisi de réorganiser le travail avec des vêlages groupés sur trois mois (de janvier à mars) et d’instaurer la monotraite plus de la moitié de l’année (de mai à novembre).

L’installation sur le Gaec de son épouse, Caroline Meyniel, non prévue à ce moment-là, n’a pas remis en cause ces choix. « D’une part, cela nous offre une plus grande souplesse pendant les périodes de fauche de l’herbe et d’autre part, nous pouvons profiter davantage de la vie de famille », apprécient les jeunes parents.

 

 
salle de traite
La salle de traite tandem 2x3 avec décrochage automatique et compteurs à lait. © Gaec Meyniel

En monotraite, les vaches n’ont plus qu’un seul aller-retour par jour à réaliser sur des parcelles parfois éloignées de 1,25 km. « Nous gagnons deux heures d’astreinte par jour et sauter la traite du soir est particulièrement appréciable l’été. Les animaux, comme nous, souffrons moins de la chaleur et des mouches », souligne Fabien qui y voit aussi un atout en termes de repro grâce à un déficit énergétique moins marqué. Economiquement, la réduction de 26 % du lait produit se voit partiellement compensée par des taux plus élevés (34,4 g/kg de TP et 45,9 g/kg de TB).

Avec un tel système, il ne reste qu’un pas à franchir pour passer en bio. Mais les éleveurs n’en ont pas envie. « Cela apporterait plus de contraintes sans grosse plus-value », rétorquent-ils en souriant.

Avis expert : Yann Bouchard, de la chambre d’agriculture du Cantal

« Ils donnent de la cohérence au système »

 

 
Yann Bouchard, chambre d'agriculture du Cantal
Yann Bouchard, chambre d'agriculture du Cantal © E. Bignon

« Au fil des ans, les associés du Gaec ont su mettre en place une structure optimisée et cohérente, avec une refonte complète de l’exploitation. Ils sont parvenus à donner de l’efficience à leur système sans idée préconçue, en tenant compte des différentes composantes du métier, toujours dans le souci de s’adapter aux aléas. Pointilleux et rigoureux, ils affichent une belle capacité à se projeter, à choisir une orientation stratégique et à se donner les moyens de parvenir aux objectifs qu’ils se fixent. Fabien passe beaucoup de temps à réfléchir, à aller chercher du conseil et des informations, ainsi qu’à surveiller des indicateurs clés qu’il a su s’approprier et qui lui servent à piloter finement sa conduite. L’outil de production est aujourd’hui en phase avec les attentes des chefs d’exploitation. »

Une diversification avec des lapins en plein air

 

lapins à l'engraissement élevés en plein air
Quarante-huit abris mobiles fabriqués « maison » et déplacés quotidiennement sur les prairies abritent les lapins. © Gaec Meyniel

En janvier 2022, Caroline Meyniel a repris les parts de sa belle-mère sur le Gaec et s’est associée avec son époux suite à une reconversion professionnelle. « J’ai cherché un atelier de diversification possible afin de trouver ma place sur l’exploitation », témoigne-t-elle. Son choix a porté sur un atelier de lapins plein air, nourris à l’herbe et aux céréales. En 2023, 250 lapins ont été commercialisés découpés ou sous forme de terrines sur deux marchés locaux et un magasin de producteurs. Cet atelier occupe un tiers-temps pour une marge brute de 6 400 euros. À terme, l’objectif est de vendre 500 lapereaux par an. Le chiffre d’affaires représente moins de 1 % du chiffre d’affaires global de l’exploitation.

« Nous avons fait le choix d’un travail beaucoup plus saisonnalisé »

Vêlages groupés, monotraite la moitié de l’année, vaches nourrices… Autant de leviers actionnés par les associés pour faciliter leur organisation du travail.

Depuis 2022, les associés pratiquent la monotraite d’avril à novembre et ferment la salle de traite en décembre. « Ce mode de fonctionnement implique une répartition du travail très planifiée et saisonnalisée sur l’année », pointe Fabien Meyniel.

« Avec l’ensemble des vaches au tarissement en décembre, c’est plus facile de mener une vraie préparation au vêlage. Le fait qu’elles ne pâturent pas a amélioré les choses. On voit la différence en termes de vitalité des veaux et de dynamisme des vaches au vêlage. »

Les vêlages démarrent à partir du 5 janvier et s’étalent jusqu’au 20 mars, avec un maximum de mises bas en janvier – parfois 5 ou 6 vêlages par jour. « Nous voulons absolument que les inséminations soient finies quand les premières fauches démarrent. »

Groupage de chaleurs sur les génisses

Cette année, Fabien a inséminé plus des deux tiers des génisses et des vaches entre le 1er et 21 avril (dont certaines en croisement hereford). Deux taureaux limousins assurent les retours au pâturage.

Pour la première fois, un groupage de chaleurs a été effectué sur les génisses, avec de bons résultats : 18 étaient pleines fin mai sur les 19 inséminées. « Dans notre système, une bonne maîtrise de la reproduction est primordiale, insiste Fabien. Toutes les vaches non pleines fin juin posent problème et sont vendues avant de les tarir (8 cette année). » Un suivi avec échographies et fouilles est mis en place avec le vétérinaire pour améliorer la reproduction.

Côté élevage des veaux, le Gaec a opté pour un élevage par des vaches nourrices dans le bâtiment sur aire paillée à proximité de la stabulation des laitières. Les éleveurs en choisissent huit par an, parmi les vaches longues ou pénibles à traire en veillant aussi à leurs qualités maternelles. Elles sortent à l’herbe sans complémentation dès début avril avec les veaux, et réintègrent le troupeau laitier, une fois les veaux sevrés à 5 mois. La moitié d’entre elles restent nourrices l’année suivante.

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