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La réglementation du vin nature aura-t-elle lieu ?

Les tentatives d’élaboration d’un cahier des charges définissant le vin nature n’ont jusqu’ici pas abouti, pourtant le besoin de transparence vis-à-vis du consommateur se fait de plus en plus pressant. Les choses pourraient s’accélérer avec la création du syndicat de défense des vins nature’L.

Le vide juridique qui entoure la notion « de vins nature » entraîne des confusions alors que certains consommateurs sont sensibles à de nouvelles approches. Encadrer la mention semble désormais nécessaire, mais la filière peine à se mettre d’accord. © Mich
Le vide juridique qui entoure la notion « de vins nature » entraîne des confusions alors que certains consommateurs sont sensibles à de nouvelles approches. Encadrer la mention semble désormais nécessaire, mais la filière peine à se mettre d’accord.
© Mich

Le débat sur ce qu’est un vin nature, ou naturel, ne date pas d’hier ; il était au coeur des révoltes de 1907 lorsque les vignerons ont utilisé ce terme pour désigner des vins « non trafiqués », en opposition aux vins chaptalisés ou coupés à l’eau. Depuis une dizaine d’années, il revient en force, et s'est complexifié. « Il y a une confusion auprès du consommateur entre les vins nature et les vins sans soufre », introduit Emmanuel Cazes, vigneron en biodynamie dans le Roussillon siégeant au comité technique et scientifique de l’Inao.

Cette catégorie a introduit une nouvelle segmentation du marché, et a contribué à remettre sur le haut de la pile le dossier de la définition du vin nature. « Il y a quatre ans, j’ai été mandaté par la Cnab pour créer une commission à l’Inao chargée de rédiger une définition du vin nature et d’y associer un cahier des charges technique, en concertation avec les différentes parties prenantes : Cnaoc, Anivin de France, Comité national des IGP », relate Emmanuel Cazes.

La Cnab souhaite alors défendre la légitimité des vins bio, tandis que la Cnaoc s’inquiète de voir proliférer des communications vantant le côté vertueux des vins sans qu’aucune preuve ne puisse être apportée. Des propositions concrètes sont formulées, mais les discussions tournent court. « Les vins nature sont un caillou dans la chaussure des AOC, analyse Emmanuel Cazes. S’ils sont officiellement reconnus, et qu’il y a un litige par exemple à la suite d’une dégustation de conformité, qui obtiendra gain de cause ? », interroge-t-il.

La reconnaissance par les institutions publiques des vins nature serait donc intrinsèquement liée à une révision des critères d’appartenance à une appellation, ce qui laisse entrevoir pourquoi la réglementation peine tant à aboutir. « Dans tous les cas, c’est l’Inao qui fait les propositions au ministère, c’est donc eux qu’il faut convaincre », rappelle Emmanuel Cazes.

L’existence d’un cahier des charges divise le mouvement nature

Pour Audrey Moutat, maître de conférences à l’université de Limoges, le problème va même au-delà de ces critères politiques. « Les vignerons nature sont souvent dans une démarche individualiste. Or, respecter un cahier des charges privé ou public s’inscrit dans une démarche collective », expose-t-elle. La question a d’ailleurs été soulevée lors de la dernière édition parisienne du salon Sous les pavés la vigne.

Le mouvement nature est assez divisé sur la question, car imposer un cahier des charges c’est aussi entraver la liberté que de nombreux producteurs revendiquent et mettent en œuvre en valorisant leurs cuvées en vin de France. « Il faut laisser de la liberté mais il ne faut pas ne rien faire », plaide Sébastien David, vigneron dans le Val de Loire. Un avis partagé par Jacques Carroget, pionnier de la vinification naturelle, qui considère que réglementation et liberté ne sont pas opposables. « Il faut faire attention à ce que les épiciers mercantiles ne s’en emparent pas », avertit le vigneron. Les deux vignerons sont à l’origine de la fondation du syndicat de défense des vins nature’L.

Gilles Azzoni, vigneron ardéchois, Éric Morain, avocat spécialisé dans le droit viticole, Antonin Iommi-Amunategui, des éditions Nouriturfu et créateur du salon Sous les pavés la vigne, ainsi que Christelle Pineau, chercheuse en anthropologie et journaliste, font également partie des membres fondateurs. « On travaillait déjà dessus depuis quelque temps, mais tout s’est accéléré après mon procès », révèle Sébastien David. Pour rappel, le vigneron s'est vu interdire la commercialisation de sa cuvée Coef 2016, jugée non conforme à la réglementation en vigueur sur la teneur en acidité volatile.

Un label à l’échelle de la cuvée plutôt qu’à celle de l’exploitation

Le 7 novembre dernier, la mairie d’Angers a entériné la création du syndicat. « Nous avons défini une charte d’engagement en 12 points que les vignerons devront strictement respecter pour pouvoir revendiquer une cuvée nature », indique le vigneron. Parmi les engagements, celui de produire des raisins dans une « agriculture biologique engagée » (certifiée AB ou Nature et Progrès), de ne pas ajouter d’intrants et de ne pas avoir recours à des techniques comme la filtration.

Pour les sulfites, aucun ajout n’est toléré pendant les vinifications, mais des doses à la mise pouvant aller jusqu’à 30 mg/l sont autorisées. Deux logos sont prévus pour distinguer les vins "sans sulfites ajoutés" contenant moins de 10 mg/l, et ceux contenant entre 10 et 30 mg/l. « On n’est pas là pour faire de la répression mais pour aider les producteurs, c’est pour ça qu’un label à la cuvée plutôt qu’à l’exploitation nous semble plus adapté, et que nous autorisons un peu de sulfites », répond le vigneron à ceux qui jugeraient les tolérances à l’allergène trop laxistes.

En adhérant au syndicat de défense des vins nature’L pour 30 €/an et 20 €/cuvée, les vignerons s’engagent à mettre en ligne, sur un site dédié, les résultats des analyses de chaque cuvée avant FA et au moment de la mise. « Il y a un flou artistique autour du contrôle des vins nature qui fait qu’au sein même de la DGCCRF, des agents sont demandeurs d’une réglementation. Et puis, si ça ne vient pas de la filière, ça finira par être demandé par le ministère de l’Agriculture ou même par l’Europe (voir encadré) », assure Sébastien David. Pour ce dernier, les chances d’aboutir sont désormais supérieures, car le syndicat est composé de consommateurs dans le bureau de direction.

Autre point, le syndicat bénéficie du statut d’organisme de défense et pourra porter plainte et se porter partie civile en cas de procès impliquant un adhérent membre. Le mouvement nature se dote donc d’un organe susceptible de générer un écho plus grand auprès des médias et du grand public en cas de désaccord avec les institutions.

Trois ans pour convaincre à travers l’application de la charte

« Nous sommes en pourparlers avec l’Inao et Anivin de France pour expérimenter notre charte pendant trois ans », développe le vigneron qui défend l’importance de travailler main dans la main avec la filière. Le syndicat de défense des vins nature’L entame maintenant une première phase de communication auprès des producteurs. « On essaye d’abord d’apporter des réponses aux interrogations des vignerons. L’écriture de la charte n’est pas terminée, il faut qu’on l’affine pour les moelleux », développe Sébastien David.

La charte a publiquement été dévoilée pour la première fois lors du salon La levée de la Loire à Paris le 4 novembre puis lors de l’édition lyonnaise de Sous les pavés la vigne, mi-novembre. Elle circule également sur les réseaux sociaux. Il y a déjà un premier vin labellisé, un gaillac primeur, tandis que le bureau déclare avoir près de 70 vignerons susceptibles de les rejoindre sous peu. Pour la suite, il faudra convaincre les magasins spécialisés et les restaurateurs de l’intérêt de rejoindre le syndicat. La plupart ignorent encore que le mouvement s’organise pour développer son propre signe de reconnaissance.

" Une définition de « nature » existe bel et bien dans le Codex alimentarius, mais elle est impossible à appliquer au vin " Emmanuel Cazes, vigneron et membre du comité technique de l’Inao

Le mouvement nature est aussi européen

La France n’est pas le seul État membre à s’organiser pour défendre les vins nature. Sébastien David, membre de l’association Transparency for Organic Wine Association (Towa), a travaillé avec des vignerons européens afin de proposer un marquage de tout ce qui est ajouté au vin dans le cadre de l’amendement sur l’étiquetage nutritionnel. Ce groupe de réflexion a entre autres permis au vigneron de nouer des liens étroits avec des producteurs européens adhérant à la même philosophie et désireux de lancer une initiative similaire dans leur pays. Le syndicat des vins nature’L a rencontré les acteurs du mouvement au Portugal mi-novembre afin de créer une organisation « ayant les mêmes bases que nous ». Une façon de porter à travers un réseau solide le dossier des vins nature au niveau européen.

 

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