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Phytos
Réseau Déphy : la baisse des IFT en phyto conditionnée à un accompagnement poussé

Depuis huit ans, le réseau des fermes Dephy met en contact exploitants et conseillers dédiés dans l’objectif de réduire les IFT. Cet accompagnement dans la durée conduit à diminuer les traitements grâce à la combinaison des leviers… mais la baisse reste fragile.

Les fermes Dephy spécialisées en grandes cultures ont réduit de 10 % leur IFT entre 2011 et la moyenne 2015 à 2017.
© J.-C. Gutner/Archives

Le « bras armé » du plan Écophyto sur le terrain, voilà comment l'on pourrait qualifier le réseau des fermes Dephy lancé en 2011. « En conditions réelles, le réseau Dephy Ferme a pour objectif de montrer à quelles conditions une combinaison de leviers théoriquement efficiente permet d’aboutir à une réduction des phytos », explique Virginie Brun, qui coordonne ce réseau au sein de l’APCA (Assemblée permanente des chambres d’agriculture). En 2018, il comptait 3054 agriculteurs réunis au sein de 254 groupes d’une douzaine d’agriculteurs en moyenne. Parmi eux, 54 % sont en grandes cultures et en polyculture élevage, deux spécialisations qui n’en forment qu’une seule dans les synthèses produites par le réseau.

Entièrement subventionné par l'État, l'encadrement est relativement hors norme : chaque groupe bénéficie de l’appui d’un ingénieur réseau (technicien de coopérative, conseiller de chambre d’agriculture ou d’autres organisations) qui met à disposition 50 % de son temps sur l'année. « L'appui financier est donné sous forme de subvention avec un engagement pour cinq ans, période au terme de laquelle un bilan est fait », précise Virginie Brun. Cet encadrement des agriculteurs très pointu qui s’inscrit dans la durée fait toute la force et l’intérêt du projet. Les ambitions du réseau ? « Produire des références sur les systèmes de culture économes et performants », mais aussi « démontrer, communiquer, faire l’apprentissage et former » grâce à des fermes de démonstration, et plus globalement « favoriser la transformation de la protection des cultures », décrivait un document de méthodologie en 2012. Pour assurer la cohérence de l’ensemble et, entre autres, la remontée des références, les animateurs de terrain sont chapeautés par des ingénieurs territoriaux, chargés aussi de faire le lien au niveau régional avec les structures d’enseignement agricole et les Draf.

Des baisses plus fortes dans les fermes les moins économes au départ

Différence notable avec les Maec (Mesures agroenvironnementales et climatiques) ou d’autres programmes agroécologiques, le réseau Ferme Dephy ne rémunère pas les agriculteurs participants. Ils sont donc tenus à des obligations relativement légères : volontaires, ils doivent s’engager "moralement" à faire baisser les phytos sur leur ferme, les progrès pouvant n’être évalués que sur un seul atelier. La prise de risque qui leur est demandée est mesurée. « Le réseau Dephy n’invente pas de nouvelles solutions, les instituts techniques et les organismes de recherche sont là pour le faire, observe Virginie Brun. Il s’agit de tester les combinaisons existantes et d’expliquer dans quel contexte cela fonctionne. Les stratégies techniques mises en œuvre doivent donc correspondre au contexte technico-économique et pédo-climatique de l’exploitation. Ainsi, s’il n’y a pas d’infrastructure pour une récolte de chanvre, on n’introduira pas de chanvre dans la rotation même si ce serait utile. »  

C’est par le suivi des IFT (Indice de fréquence de traitement) que sont évalués les progrès réalisés dans les fermes du réseau. La synthèse publiée fin 2018 montre que les exploitations de grandes cultures ne sont pas les meilleures élèves : la réduction des IFT y est de 10 % seulement (période 2011-2018), contre 23 % dans celles en polyculture élevage. Cet écart « est en partie dû à de plus nombreuses conversions à l’agriculture biologique pour les systèmes avec élevage », expliquent les auteurs. De fait, les conversions concernent 7 % des systèmes en polyculture élevage contre 2 % en grandes cultures. Sans grande surprise, les systèmes les plus consommateurs de phytos au départ enregistrent les meilleures progressions : 41 % d'entre eux sont déjà parvenus à réduire de 25 % leur IFT initial contre 30 % seulement pour les plus économes qui, pour presque la moitié ont tout de même réussi à aller plus loin dans la baisse de leur IFT. Cette analyse nationale confirme également la difficulté qu’il y a à réduire les herbicides. En grandes cultures, ils constituaient 44 % de l’IFT global en 2011… mais 54 % en 2017.

Pas de résultat sans actionner plusieurs leviers

Pour mieux comprendre les leviers de progrès au sein des fermes Dephy en grandes cultures et polyculture élevage, Irène Felix, ingénieure chez Arvalis, s’est penchée sur les 92 trajectoires du réseau repérées par les animateurs comme étant « remarquables ». « Quelle que soit la stratégie et le contexte de production, il n’y a pas de baisse des IFT d’un système sans que ne soient actionnés conjointement plusieurs leviers, au moins six dans la plupart des cas », relève la professionnelle dans une synthèse publiée cet automne. Ces fermes ont mis en œuvre des procédés classiques. Le labour s’avère ainsi être la technique la plus couramment utilisée à l’entrée dans le réseau pour réduire le stock de graines adventices. « Le choix des variétés (maladies et ravageurs) et le décalage des dates de semis (tous bioagresseurs) viennent ensuite mais ne concernent à l’origine qu’un système sur trois », signale Irène Felix. Très pratiquées, les modifications des successions culturales concernent quant à elles plus de deux systèmes sur trois. Leur maîtrise n’est pas si simple car elles induisent de nouvelles problématiques, telles que la gestion des intercultures longues, le développement du désherbage mécanique ou, tout simplement, la commercialisation de nouvelles cultures.

C’est donc l’un des grands enseignements du réseau : « les agriculteurs mettent en œuvre beaucoup de choses connues et documentées, mais finalement pas si évidentes que cela à installer sur le terrain, signale la professionnelle. Il faut qu’ils se les approprient, il faut les convaincre de leur intérêt ». Bonne nouvelle : ces changements ont des effets plutôt positifs sur le plan économique. La mise en œuvre de tous ces leviers n’affecte pas, ou à la marge uniquement, les rendements, et globalement, les charges opérationnelles baissent sur les fermes. Un bémol toutefois, nombre des leviers utilisés impliquent l’achat de matériel, qu’il s’agisse de déchaumeur ou d’outils plus spécifiques comme les bineuses ou herses étrilles (un tiers des systèmes analysés). Les charges de structure ont donc tendance à augmenter.

En chiffres

Une place pour les fermes en grandes cultures

1638 exploitants engagés en grandes cultures et polyculture élevage dans 136 groupes Dephy, dont 46 en grandes cultures purs et 38 mixtes;

13 ingénieurs territoriaux mobilisés et un ingénieur filière;

65 % des animateurs issus de chambres d’agriculture, 13 % de Civam et 10 % de coopératives et négoces;

21 % de baisse de l’IFT moyen au sein de cette filière, en incluant les exploitations entrées dans le réseau après 2011.

Source : réseau Dephy Ferme.

Lourdeurs administratives

Séduisant dans sa construction théorique, le dispositif des fermes Dephy n’est toutefois pas toujours bien vécu par les structures sur le terrain, surtout lorsqu’il s’agit d’entreprises. Il y a donc régulièrement des mouvements, comme en témoigne le retrait de la coopérative Val de Gascogne ce printemps. « Les contraintes administratives sont lourdes, notamment les enregistrements sur l’outil Agrosyst, qui oblige à des doubles saisies, détaille Bruno Estanguet, animateur Dephy au sein de la coopérative. Et seule une partie de l’exploitation est regardée, ce qui ne permet pas d’avoir une réflexion sur la structure de l’exploitation. »

Les fermes 30 000 à leur début

C’est l’étape d’après : dans le cadre du plan Écophyto 2, le ministère de l’Agriculture veut développer « une démarche d’accompagnement de 30 000 exploitations agricoles » vers la « transition agroécologique ».  L’idée n’est plus de produire des références mais de favoriser l’échange de pratiques entre agriculteurs au sein de groupes ancrés sur un territoire donné. Ce n’est pas le cas aujourd’hui des groupes Dephy Ferme, qui peuvent être très éclatés géographiquement. Le but est de « massifier » ce qui se fait dans les fermes Dephy. Le groupe, qui peut se constituer à partir d’un collectif existant, doit construire un projet collectif autour de la réduction des phytos. 5 000 agriculteurs seraient engagés pour l’instant, au sein de 300 groupes comprenant en moyenne une vingtaine d’exploitants. L’appui technique n’est pas automatique comme dans le réseau Dephy Ferme. Des appels à projet portés par les Régions, les agences de l’eau, les services déconcentrés de l’État, sont prévus pour recruter et financer ces groupes.

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