Les variétés de pommes de terre se fortifient face au mildiou
De nouvelles variétés présentant de très forts niveaux de résistances au mildiou sont apparues sur le catalogue français depuis deux ans. Elles peuvent permettre de réduire les traitements antimildiou, mais attention : leur résistance est fragile.
De nouvelles variétés présentant de très forts niveaux de résistances au mildiou sont apparues sur le catalogue français depuis deux ans. Elles peuvent permettre de réduire les traitements antimildiou, mais attention : leur résistance est fragile.
Les variétés de pommes de terre résistantes au mildiou sont encore rares… mais « il y en a de plus en plus qui sont inscrites au catalogue français », observe Denis Gaucher, spécialiste des maladies du tubercule chez Arvalis. Douze pommes de terre de consommation ayant une résistance au mildiou du feuillage notée entre 6 et 8 ont fait leur entrée entre 2014 et 2018. Et trois féculières sont dans le même cas. Inscrite en 2017 dans cette catégorie, Makhaï, mise au point par le Comité Nord, a même obtenu un 9, la note maximale.
« Les notes de résistance au mildiou de 6 à 9 sont valorisées par une Vate (Valeur agronomique, technique et environnementale) intéressante à l’inscription, observe Frédérique Aurousseau, responsable de la création variétale au Comité Nord. Nous essayons de progresser sur ce sujet. »
La résistance de Makhaï, comme celle de ses consoeurs notées 8, repose notamment sur des gènes « grand R ». « La plupart du temps, ces gènes qui sont dominants déclenchent chez la pomme de terre une réaction d’hypersensibilité : elle reconnaît tout de suite le parasite et autodétruit ses propres cellules au niveau de l’impact du mildiou, ce qui stoppe net la progression du champignon », explique Roland Pellé, chercheur à l’Inra de Ploudaniel.
Cette réaction de nécrose, très violente pour la plante, est mesurable en conditions de laboratoire mais pas au champ, car elle ne concerne que quelques cellules. « La résistance des variétés notées 8 et 9 est très spectaculaire, confirme Jean-Michel Gravoueille, spécialiste des variétés de pommes de terre chez Arvalis. En 2018 par exemple, où l’épidémie a été très forte et très courte, elles n’ont développé aucun symptôme. »
Les gènes R peuvent être rapidement contournés
L’existence des gènes "grand R", présents dans beaucoup d’espèces de tubéreuses apparentées à la pomme de terre, est connue depuis longtemps. En France, dans le cadre de l’ACVNPT (Association des créateurs de variétés nouvelles de pomme de terre), l’Inra a mis au point plusieurs géniteurs en contenant. L’un d’entre eux est utilisé dans la variété Makhaï. Problème : les résistances induites par les gènes "grand R" sont fragiles dans le temps, avec des risques de contournement rapide du pathogène. Commercialisée dès 1961 au Royaume-Uni, la variété Pentland Dell qui en contenait trois est devenue totalement sensible au bout de six ans.
« Ce type de résistance est porté par un ou deux gènes, souvent positionnés à côté l’un de l’autre, souligne Roland Pellé. Le mildiou n’a donc qu’une ou deux portes à enfoncer. » Pour Jean-Michel Gravoueille, « ces résistances assez fragiles nécessitent d’avoir un suivi post-inscription en permanence ». La liste dite CEPP (Certificat d’économie de produits phytosanitaires) des variétés recommandées pour réduire les phytos est un outil qui permet de faire ce suivi (voir ci-contre).
Le spécialiste recommande en tout cas la prudence. « Le problème, c’est le ventre mou des variétés notées 6 ou 7, estime-t-il. Leur capacité de résistance peut s’inverser selon la pression. » Sur le plan génétique « l’idéal est de combiner des résistances spécifiques de type "grand R" à des résistances non spécifiques, plus stables dans le temps », souligne Roland Pellé. Polygéniques, ces dernières agissent de plusieurs façons, par exemple en ralentissant la progression du mycelium du champignon dans les tissus de la plante, ou bien en modifiant la période de latence ou le niveau de sporulation… « Ces mécanismes peuvent faire jouer jusqu’à une trentaine de gènes, remarque Roland Pellé. Ils freinent la progression du mildiou et accompagnent les gènes R, qui eux, empêchent le développement du champignon. » La résistance de variétés comme Magnum ou Satis reposent sur ces mécanismes.
Des fongicides aussi sur les variétés résistantes
Pour faire durer les résistances "grand R" en particulier, Denis Gaucher préconise l’utilisation de fongicides, même sur des variétés notées 8 ou 9. « Il s’agit de mettre en synergie le fongicide et la variété, explique-t-il. En apportant une dose réduite de fongicide, un quart ou une moitié d’IFT (Indice de fréquence de traitement) par exemple, on réduit le risque d’apparition du mildiou, donc le risque de contournement. Il n’est pas question de pratiquer la politique de la terre brûlée. Il faut valoriser la résistance variétale et la faire durer. » Sans cette pratique, il y a de fortes chances que le mildiou s’adapte très vite si les variétés résistantes se développent.
Vaut-il mieux baisser les doses et maintenir le nombre de passage ou bien écarter les passages en maintenant les doses ? C’est l’un des questionnements. Arvalis s’y attelle dans le cadre d’un projet européen mené avec des homologues danois et irlandais, qui pencheraient plutôt pour la première option compte tenu de leurs propres expériences. « Temps de travail et coût de passage représentent en moyenne 6 à 8 euros de l’hectare, tandis qu’une pleine dose de produit coûte de l’ordre de 25 à 30 euros de l’hectare, observe Denis Gaucher. Il ne faut pas se tromper d’objectif : réduire de 50 % la dose permet de gagner davantage que de faire disparaître un traitement. »
OAD et biocontrôle pour faire baisser les IFT
En 2018, l’institut a testé différentes doses de fongicides ou produit de biocontrôle en association à des variétés résistantes, en positionnant les traitements avec l’outil d’aide à la décision Miléos. Avec une variété moyennement sensible comme Frivol (notée 5), la combinaison des leviers a permis de baisser l’IFT à 2 (avec 30 % de la dose de fongicides recommandée + phosphites non comptabilisés).
« Les variétés résistantes doivent s’inscrire dans une stratégie intégrant tous les moyens de lutte, confirme Frédérique Aurousseau. Il faut faire des essais au champ sans fongicide pour voir ce que cela donne mais il faut acquérir de l’expérience de terrain avant de modifier les itinéraires, prudemment. » Le développement des variétés résistantes au mildiou s’accompagne de nouvelles exigences, comme le montre Philippe Laty, directeur de Grocep, avec sa variété Tentation. « Elle a une très bonne aptitude à la conservation, il faut donc faire attention au printemps à bien la préparer pour lever la dormance, décrit-il. De manière plus large, les variétés sont aujourd’hui plus compliquées, moins standardisées et il faudra des itinéraires techniques différenciés entre variétés. C’est une nouvelle approche. »