La double activité fiscalement peu contraignante
Pour sécuriser le revenu, exercer un autre métier extérieur à la ferme est possible et même assez facilement lorsqu’on est en exploitation individuelle. Zoom sur l’articulation fiscale de la double activité.
« Un agriculteur qui développe une autre activité, ce n’est plus tabou, affirme Marie Kientzler, conseillère installation pour la chambre d’agriculture du Cher. D’ailleurs on en voit de plus en plus et on les incite même à le faire s’ils ont du temps disponible. » Car souvent, la ferme ne suffit plus seule à sécuriser les revenus et « la question de la pluriactivité est fréquente chez les agriculteurs », reconnaît Carole Ricter, fiscaliste chez Jurisagri 37 en Indre-et-Loire. « Il n’y a pas de souci à travailler plus pour gagner plus », souligne quant à elle la conseillère installation. Seulement pour garder les avantages de la fiscalité agricole (voir encadré), les bénéfices agricoles (BA) ne doivent pas dépasser certains seuils. Et selon le type de statut, il y a des règles d’imposition qui s’accompagnent d’impacts sociaux et juridiques (voir tableau). La double activité reste néanmoins assez simple lorsqu’on est un exploitant individuel.
Faire de la prestation de service est limitée
La prestation de service est l’activité la plus facile à réaliser pour un agriculteur en exploitation individuelle. Tel est le constat réalisé par Marie Kientzler. « Il peut s’agir de travaux agricoles, de louer son matériel ou de moissonner pour un voisin. Ce sont des activités purement commerciales, pour le compte de tiers, qui se rattachent fiscalement aux BA, même si juridiquement il s’agit d’une autre activité. » C’est une exception liée au statut agricole. À titre individuel, l’exploitant peut exercer une activité commerciale ou non commerciale dont les bénéfices sont rattachés à ceux de l’exploitation (article 75 du CGI (1)). « C’est la notion de rattachement des recettes accessoires », explique la juriste. Attention toutefois : « ces recettes ne peuvent excéder ni 50 % de celles issues de l’activité agricole, ni 100 000 euros, signale-t-elle. Sinon, l’imposition peut basculer de l’impôt sur le revenu, à l’impôt sur les sociétés. C’est-à-dire du BA aux BIC (2) ». Pour la conseillère installation, « cela peut être une bonne solution pour quelqu’un qui souhaite rester dans le domaine agricole ».
Dans le cadre d’une société (Gaec, SCEA, EARL), les choses se compliquent : « ce type de prestation est souvent observé et fiscalement accepté, mais cela est juridiquement illégal, alerte Marie Kientzler. L’activité commerciale est interdite et peut être dénoncée pour concurrence déloyale. Il y a un vrai risque d’être poursuivi en justice ».
Les droits de donation avantageux peuvent être menacés
« Le salariat est la deuxième activité la plus fréquente dans le cadre d’une pluriactivité », estime la conseillère de la chambre d’agriculture. Et les exemples sont variés : « ouvrier, chauffeur, manutentionnaire, garagiste, professeur au CFPPA (3)… », cite-t-elle. Mais si opter pour une activité salariée, c’est choisir la sécurité avec un revenu stable et défini à l’avance, vous pouvez « perdre l’avantage fiscal de l’Article 787 B du CGI sur les droits de donation aux enfants, indique Angéline Wilk, fiscaliste au Cerfrance Champagne Nord-Est Ile-de-France. Le statut d’agriculteur exercé en activité principale permet de bénéficier d’une réduction de 75 % des droits de donation. Or l’exploitant peut perdre cet avantage si 50 % de ses bénéfices sont réalisés en dehors de la ferme ». D’un point de vue fiscal, « le salaire est simplement à intégrer dans la déclaration de revenus », souligne Carole Ricter.
Dans le cas d’un agriculteur exploitant en société, travailler à l’extérieur est possible. « Les bénéfices réalisés par l’agriculteur au prorata de sa quote-part pour l’activité agricole et le salaire pour son activité secondaire seront à déclarer ensemble au niveau du BA, note la fiscaliste du Cerfrance. Par contre, dans le cas d’un Gaec, c’est très réglementé mais possible depuis 2011 (voir encadré). »
Pour un jeune agriculteur, « le travail à l’extérieur doit rester mineur avec des bénéfices de moins de 50 % du revenu agricole, sinon il y a un vrai risque de déchéance des aides européennes », ajoute la conseillère installation.
L’auto entreprenariat pour tester un projet d’envergure
Quant à savoir s’il y a un intérêt fiscal à être salarié ou autoentrepreneur, « tout dépend du type de métier visé, assure Carole Ricter. Dans le cas d’une activité d’enseignement par exemple, la prestation de service sera préférée par le client, car plus facile à mettre en œuvre et moins lourde administrativement ». La stratégie commerciale d’une activité d’autoentrepreneur est à considérer. Ce statut est cependant assez peu rencontré chez les agriculteurs : « il est utilisé soit pour tester une activité en vue d’un projet de plus grande ampleur ou comme un complément d’une activité spécifique pratiqué pendant l’hiver », indique Angéline Wilk. Car depuis 2012, il est possible d’être exploitant individuel et autoentrepreneur. L’avantage : si vous ne gagnez rien, vous ne payez aucune taxe. « Fiscalement, les bénéfices sont à déclarer comme des BNC (4) s’il s’agit d’une activité de services et des BIC s’il s’agit de biens commerciaux », informe la fiscaliste de Jurisagri.
L’argument financier ne doit pas être la seule motivation
« Une nouvelle activité est souvent synonyme de nouvelles déclarations administratives, note Carole Ricter. Lorsqu’elle est externe à la ferme, cela signifie souvent un double statut avec deux comptabilités, un double statut social et deux entités juridiques différentes. » Si le poids administratif est un frein, il n’est pas le seul. « Passer de chef d’entreprise à salarié, ce n’est pas toujours facile », explique Marie Kientzler. De plus, « il ne doit pas y avoir qu’un argument financier pour travailler à l’extérieur, sinon cela ne dure jamais bien longtemps », constate-t-elle. Un intérêt pour le métier annexe est donc nécessaire, mais bien souvent « les choix se font selon les opportunités locales et les affinités avec un métier », admet Marie Kientzler.
(1) Code général des impôts.(2) Bénéfices industriels et commerciaux.(3) Centre de formation professionnelle et de promotion agricole.(4) Bénéfices non commerciaux.