Flambée des prix : comment s’adapter à un contexte économique inédit en grandes cultures ?
Avec les prix actuels des grains et des intrants, les repères de rentabilité ont volé en éclats en grandes cultures. Les résultats s’annoncent finalement bons pour la récolte 2021, voire 2022, mais il est impératif d’anticiper les impacts de la situation actuelle.
Avec les prix actuels des grains et des intrants, les repères de rentabilité ont volé en éclats en grandes cultures. Les résultats s’annoncent finalement bons pour la récolte 2021, voire 2022, mais il est impératif d’anticiper les impacts de la situation actuelle.
Le blé à plus 430 euros la tonne, le colza au-delà des 1 000 €/t, le GNR à 1 600 euros les mille litres et le coût des engrais azotés qui triple en un an… La valse des chiffres, qui s’est emballée après l’agression russe en Ukraine fin février, donne le tournis. La volatilité n’est pas nouvelle sur les marchés agricoles, mais son intensité est inédite. Surtout, elle touche non seulement les grains, mais aussi les intrants essentiels à la production.
Comment trouver ses repères économiques face à de tels bouleversements ? C’est l’un des enjeux pour tous les producteurs. D’abord pour anticiper les résultats à venir. Ensuite, pour prendre des décisions stratégiques éclairées. Premier élément, plutôt rassurant : les revenus céréaliers tirés de la récolte 2021 seront globalement bons. Bien sûr, on observera une nouvelle fois des écarts entre exploitations. Assolement, rendements, date de vente des grains et période d’achats des engrais et du GNR vont façonner des revenus différents.
« Selon nos calculs, sur la base des dossiers clôturés et des résultats provisoires, la moyenne de l’EBE à l’hectare avoisinera 830 euros pour la récolte 2021 sur une ferme type en Seine-et-Marne », affirme Philippe Gard, conseiller au Cerfrance Champagne Nord Est Île-de-France (CNEIDF). Ses projections sont également optimistes pour la récolte 2022, même si le degré d’incertitude est plus grand et que les résultats seront encore plus disparates qu’en 2021. Les périodes d’achat (intrants) et de vente (récolte) vont en effet peser encore plus fortement sur les coûts de production et sur le chiffre d’affaires.
Cette vision positive est partagée par Mathilde Schryve, responsable régionale études et prospectives au Cerfrance Bourgogne Franche-Comté. « Pour la récolte 2021, nos calculs aboutissent à un résultat courant moyen par unité de travail non salarié d’environ 60 000 euros sur une exploitation céréalière type de notre secteur de 185 hectares, ce qui est une belle année », annonce la spécialiste.
Comme pour son collègue seine-et-marnais, les projections sont de bon augure pour les résultats de la récolte 2022. Pour prendre en compte la diversité des situations, Mathilde Schryve a élaboré des scénarios en faisant bouger les principales variables : les rendements modulés de - 10 % à - 20 % sur un an pour intégrer un contexte moins favorable que l’an dernier, prix de vente du blé de 300 à 350 €/t, et les charges les plus volatiles (GNR, engrais et carburant) majorées de 20 % par rapport à 2021. La hausse appliquée aux autres charges a été fixée à 7 %. Selon les différentes hypothèses, le scénario le plus pessimiste conduit à un revenu courant pour la récolte 2022 proche de 2021 et, dans la situation la plus favorable, ce revenu courant pourrait doubler.
« Pour 2023, c’est une autre histoire, reconnaît Mathilde Schryve. Le gros risque est de prendre de plein fouet la hausse des charges qui n’a pesé que pour moitié sur la récolte 2022. Et il est impératif de se préparer à un retournement de tendance pour le prix des grains, qui arrivera tôt ou tard. Cela implique de restaurer la trésorerie, rembourser ses dettes, et conserver de la trésorerie pour faire face à la hausse des charges. »
Prudence et anticipation : c’est aussi la stratégie défendue par Philippe Gard. « Les bonnes années, lorsque l’on dégage un excédent de trésorerie important, la moitié part en impôts et MSA et, sur la moitié qui reste, il est judicieux d’en mettre la moitié de côté, recommande le conseiller. Si j’utilise la totalité de mon excédent pour autofinancer du matériel, ce sera de la trésorerie qui va me manquer à coup sûr dans les années à venir. Et si, en plus, on est pris dans un effet ciseaux, ce sera très compliqué. »
Pour éviter cet effet de ciseau, outre de jouer à la cigale, il est possible de fractionner ses ventes de grains et ses achats d’engrais, en adossant les unes aux autres. Une façon rudimentaire de fixer une partie de sa marge, sans prendre le risque de subir une forte baisse du prix des céréales tout en encaissant une hausse continue du prix des intrants. Attention toutefois : si l’on vend avant la moisson (par exemple 2023), il faut s’en tenir à un pourcentage limité de son potentiel de récolte, d’autant plus réduit que celle-ci est lointaine. Avec de tels marchés en folie, il serait dangereux d’engager trop de volume, ce qui imposerait d’en racheter à un prix potentiellement élevé si les rendements ne sont pas au rendez-vous.
Pour les exploitations qui auront fait de bons résultats en 2021 et 2022, cette performance se répercutera sur les impôts, de façon lissée, pendant trois à cinq ans. Et l’impact du chiffre d’affaires de la récolte 2022 ne commencera à se faire sentir qu’en septembre 2023 (pour les comptabilités closes en décembre), voire en 2024 (exercice clôturé en juin). La hausse des charges d’engrais au second semestre 2022 ne viendra tempérer cette pression fiscale qu’un an après le début de la majoration des impôts.
Cette hausse plein pot de la fiscalité liée au fort chiffre d’affaires peut être douloureuse pour la trésorerie si cela n’a pas été anticipé, et plus encore si les prix des intrants restent élevés, et donc synonymes de forts flux sortants. « Il est crucial de raisonner le calendrier et l’ampleur des fluctuations de trésorerie sur plusieurs années, par exemple en s’appuyant sur des simulations », insiste Zoé Delpluque, conseillère d’entreprise au Cerfrance CNEIDF.
Et lorsque les résultats s’annoncent positifs, « il faut anticiper avant que l’argent soit là, car on dispose de plus de marge de manœuvre », assure Philippe Gard. Le contexte peut ainsi être favorable à des réflexions structurelles comme le passage à l’impôt sur les sociétés. Le recours à la déduction pour épargne de précaution (DEP) est aussi tout indiqué. Celle-ci permet de défiscaliser de 17 000 à 41 000 euros par an, selon le montant du bénéfice. Seule obligation : la somme doit être réintégrée dans les dix ans.
Une réflexion économique pour chaque investissement
Surtout, attention aux investissements purement fiscaux dans du matériel. « Il est nécessaire d’avoir une réflexion économique pour chaque investissement, notamment en cherchant à gagner en résilience », estime Mathilde Schryve. Diversification des assolements, infrastructures de stockage et de tri, énergies renouvelables… C’est le moment de réfléchir à des investissements qui créent de la valeur, surtout si elle peut être à contre-cycle par rapport à l’évolution des prix des céréales.
Une calculette en ligne pour appréhender sa marge
Visualiser l’impact du prix et du rendement sur le produit à l’hectare
On raisonne souvent à l’hectare pour les charges et le chiffre d’affaires. Or, vu les fortes fluctuations de prix enregistrées ces derniers mois, les repères pour quantifier leur impact sur le chiffre d’affaires ont volé en éclat. Il est donc utile de visualiser l’influence du prix de vente sur le produit à l’hectare, en le couplant au rendement, en prenant soin de mettre également à jour ses charges à l’hectare sur la base des dernières évolutions du coût des intrants, engrais azoté et GNR en tête.