" Créons une dynamique autour du canal Seine-Nord Europe " propose le président d’Euro Seine
Le projet de creusement d’un canal entre Compiègne
et Cambrai vient d’être relancé. Une réelle opportunité pour la filière céréalière française. Interview de Jacques de Villeneuve, président d’Euro Seine.
Le projet du canal Seine-Nord Europe semble être remis à flot. Que s’est-il passé ?
Ce projet a couru un risque maximum dans l’été 2012, après l’élection de François Hollande. Le canal Seine-Nord Europe visant à créer un canal grand gabarit de 106 kilomètres, afin de relier le canal Dunkerque-Escaut à l’Oise, était porté par Nicolas Sarkozy. Son financement avait été imaginé dans le cadre d’un partenariat public-privé, modèle remis en cause par le gouvernement. De plus, certains lobbies au sein de la haute administration étaient opposés à ce projet. D’où un rapport de l’Inspection générale des finances et du Conseil général de l’environnement fin 2013 qui estimait le coût du projet à 6 ou 7 milliards d’euros et préconisait de le reporter purement et simplement à une période économique plus faste. Heureusement, le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, a commandé un nouveau rapport avant de trancher.
Ce rapport lui est plus favorable ?
Tout à fait. C’est le député-maire de Maubeuge, Rémi Pauvros, qui a été chargé d’une mission de reconfiguration du canal, après une large consultation des filières concernées. Le transport fluvial étant peu développé en France, le monde économique n’imagine pas toujours quel pourrait être l’intérêt d’un nouveau canal sur leur activité. On n’a pas encore pris conscience de la révolution du transport en conteneurs dans lequel on peut mettre de tout, y compris du grain, le poser sur tous les moyens de transport – bateau, péniche, train, camion – en les combinant, et lui faire traverser la planète pour un moindre coût et une empreinte carbone quasi nulle.
Avez-vous retrouvé un appui des pouvoirs publics ?
Mieux que cela, un appui de l’Union européenne qui est engagée dans la création d’un réseau transeuropéen des transports. La liaison Seine-Escaut fait partie des cinq projets prioritaires. Alors qu’en 2004, au moment du premier plan de financement, l’Europe n’intervenait qu’à hauteur de 6 %, celle-ci est aujourd’hui susceptible d’apporter 40 % du budget, sur un total de 4,5 milliards d’euros environ.
Quel est l’enjeu pour la filière céréalière ?
L’ouverture de ce canal va modifier en profondeur la géographie logistique de notre filière vis-à-vis du port de Rouen. Au niveau des coopératives de la grande région et avec Sénalia et InVivo, nous avons vite compris que notre intérêt était de nous mutualiser, dans le cadre d’une union appelée Euro Seine, pour créer une plateforme multimodale. Celle-ci sera située à Languevoisin, à mi-chemin entre Anvers et Rouen. Elle sera suffisamment isolée pour éviter les nuisances de riverains, et connectée aux différents moyens de transport ainsi qu’à la plateforme multimodale industrielle de Nesle.
Une telle plateforme est-elle rentable pour transporter du grain ?
Le port fluvial céréalier que nous voulons construire va aussi servir à transporter des engrais, du sel de déneigement, des pulpes de betteraves, des granulats ou encore de la biomasse. On ne construit pas un canal uni-quement pour des produits pondéreux. Il faudra aussi développer des solutions logistiques pour les autres secteurs économiques, afin de créer une dynamique économique le long du canal. Tout reste à inventer.
La connexion des canaux à grand gabarit au port d’Anvers, n’est-ce pas une concurrence pour le port de Rouen ?
Si, au départ, ce projet de canal a pu être perçu comme une menace pour Rouen, le port y voit aujourd’hui l’opportunité d’élargir son hinterland vers l’est de la Somme, le nord de l’Aisne et même jusque dans la Marne. Ces régions pourront participer au marché export et faire venir plus facilement leurs engrais.
Quand ce canal va-t-il être opérationnel ?
Le démarrage des travaux est prévu pour 2015-2016 et l’ouverture entre 2021 et 2023. Cela nous laisse une dizaine d’années pour réunir des moyens, convaincre les acteurs économiques autour de ce projet et réaliser les infrastuctures. Réduire les coûts et l’empreinte carbone de nos transports est un enjeu majeur.
Identité
Jacques de Villeneuve est président délégué de Noriap et président d’Euro Seine, l’union de coopératives visant à développer une activité autour du futur canal. Elle rassemble Acolyance, Agora, Capsom, CapSeine, Cerena, InVivo, Noriap, Sana Terra, Senalia et Vivescia.