« Un bilan net 2023 de +6 fermes et +600 hectares, ce n'est pas dément » : l’Ile-de-France face à une stagnation du bio en 2023
Le GAB IdF a publié son Observatoire 2024 qui fait le point sur la filière bio amont et aval en Ile-de-France. Pour la première fois, la production en agriculture biologique stagne. Coûts de production, prix de vente, arrêts de l'activité bio, enjeu de la transmission... Des producteurs franciliens témoignent.
Le GAB IdF a publié son Observatoire 2024 qui fait le point sur la filière bio amont et aval en Ile-de-France. Pour la première fois, la production en agriculture biologique stagne. Coûts de production, prix de vente, arrêts de l'activité bio, enjeu de la transmission... Des producteurs franciliens témoignent.
Une semaine après la publication par l’Agence Bio des chiffres clés de la bio en 2023, le GAB IdF (Groupement Agriculteurs Biologiques Région Ile-de-France) a sorti la version 2024 de son Observatoire annuel. Ce document, d'une centaine de pages et réalisé grâce au soutien de la Région Ile-de-France et de l’Agence de l'Eau Seine-Normandie et en lien avec la DRIAAF et l’Agence Bio, présente tous les chiffres clés de la filière bio en Ile-de-France, des surfaces et nombre de fermes aux opérateurs de l’aval.
En 2023, un bilan net de +6 fermes et +600 ha pour l’AB en Ile-de-France.
Et parce que « la dynamique de la bio en production a été divisé par deux » et que pour la première fois depuis 15 ans, la bio plafonne alors que la consommation semble repartir, le GAB IdF a décidé de tirer la sonnette d’alarme en conviant la presse à un petit-déjeuner à l’Académie du Climat (Paris) le 20 juin.
« Un bilan net 2023 de +6 fermes et +600 hectares, c’est pas dément. Face à cette situation alarmante, on a besoin que la bio retrouve sa place dans les champs », alerte Fanny Héros, responsable Communication au GAB IdF.
Lire aussi : Le marché bio va-t-il reprendre en 2025 ?
Des surfaces bio qui atteignent pour la première fois un plateau
A fin 2023, la région Ile-de-France concentre 38 800 ha en bio et en conversion (16 373 ha en bio et 22 427 ha en conversion), soit 6,9 % de sa SAU. Après une hausse constante des surfaces depuis 25 ans, les surfaces bio franciliennes observent un plateau qui vient contrebalancer le dynamisme d’alors.
Sans surprise dans un paysage de plaines céréalières, les cultures bio en Ile-de-France sont majoritairement des grandes cultures ou des légumes* (72,2 % des exploitations et 85,8 % des surfaces sont consacrées à l’une ou l’autre).
*maraîchage, plein champs, champignons, herbes aromatiques
Un bond dans les arrêts de fermes bio franciliennes en 2023
Au 31 décembre 2023, la région Ile-de-France comptait 667 exploitations engagées dans une certification AB. Ce sont donc 15,1 % des fermes franciliennes qui sont engagées en bio (un peu plus que les 14 % au national).
C’est surtout l’évolution qui est à regarder : 667 exploitations, c’est 38 exploitations de plus qu’en 2022, avec 20 installations (34 ha), 15 conversions (749 ha), 1 fusion (288 ha) et 2 reprises de ferme (52 ha) et 40 poursuites de conversion (902 ha). En revanche, 32 arrêts ont été recensés en 2023, soit 1 404,9 ha déconvertis dont 365,6 ha ont été maintenus grâce à des reprises.
Myriam Rafraf, du GAB IdF et coauteure de l’Observatoire, tient à souligner « une belle poursuite des conversions. Les agriculteurs poursuivent leur engagement vers le bio et ça c’est positif ».
Côté arrêts, le taux annuel des arrêts franciliens a bondi en 2023 à 4,8 % (taux national selon l’Agence Bio : 5 %). « Et en face de 4,8 % d’arrêt, nous avons en Ile-de-France un taux d’engagement de 5,7 % », glisse Myriam Rafraf.
Elle précise également que les arrêts sont liés à « beaucoup de cas différents » : arrêt de la certification bio, évidemment [13 cas en 2023 dont 1 cas qui a été repris partiellement par une ferme bio].
« Mais il y a aussi des clôtures juridiques [7 en 2023] liés à des fusions ou des scission par exemple quand plusieurs enfants se partagent la ferme familiale. Il y a aussi bien sûr des arrêts d’activité agricole [5 en 2023] comme des départs en retraite ou autre. Et des arrêts dont les raisons nous restent inconnues [7 en 2023]. »
La transmission, un « sujet hyper important »
« La transmission est un sujet hyper important, estime Myriam Rafraf. Au GAB IdF, on regarde les transmission à long terme en prenant dans nos statistiques les exploitants de plus de 55 ans. »
Bilan : en Ile-de-France, 22,3 % des agriculteurs engagés en bio ont aujourd’hui 55 ans et plus. Cela représente 146 fermes. « C’est-à-dire qu’une ferme bio sur quatre d’ici à 10 ans sera à transmettre. Ça représente 10 600 ha (23 % des surfaces bio), principalement en grandes cultures (8 000 ha). Il y a 10 ans ont parlais d’une ferme sur cinq donc oui, c’est un sujet inquiétant et il y a un vrai enjeu d’accompagnement des futurs cédants. »
Le GAB IdF continue à mettre en relation les cédants avec des candidats à la reprise, et propose aux cédants des formations et des outils spécifiques à la transmission.
En Ile-de-France, une ferme bio sur quatre va être à transmettre d’ici 10 ans.
Le blé bio vendu moitié moins cher et des coûts de l’énergie multipliés par 10
Thomas Lafouasse, vice-président du GAB IdF et céréalier et maraîcher bio en Essonne (ferme Lafouasse à Pecqueuse) avoue être « soulagé entre guillemets de ces chiffres. J’avais peur d’un bilan avec des déconversions massives ».
Car la situation en agriculture biologique depuis ces deux dernières années est très compliquée, « en grandes cultures, en maraîchage, en tout ». Le vice-président du GAB IdF témoigne pour sa part : « Je suis céréalier bio avec un peu de maraîchage et ces deux dernières années, j’ai vendu moitié moins cher mon blé. En parallèle les charges sont en hausse et les aides publiques [aides au maintien notamment, NDLR] dégringolent : sur ma ferme c’est 40 000 € d’aides en moins. »
« Le coût de l’énergie, ce n’est pas l’usage des frigos, c’est l’irrigation »
Carine Thierry, administratrice du GAB IdF et polycultrice-éleveuse bio en Seine et Marne (ferme de Châtenoy à Châtenoy) dresse exactement le même constat. Et de témoigner des « coûts de l’énergie qui ont fait x10 en 10 ans » sur sa ferme. « Chez nous, on ne peut pas produire sans irriguer pour les pommes de terre. Sur une ferme, ce qui utilise de l’énergie, ce n’est pas les frigos, c’est le pompage pour l’irrigation. »
Elle ajoute aussi que le GNR est « un des coûts qui montent », passant de « 0,70€ à 1€/L en 3 ans, soit +30 à +40 % ».
Miser sur la vente directe
« Mais c’est dans la crise qu’on se réforme », estimeThomas Lafouasse. Pour faire face, Carine Thierry a monté un atelier d’élevage porcin de plein air.
Thomas Lafouasse, lui, a mis en place un atelier de transformation de son blé en pâtes sur la ferme et installé un peu d’élevage.
Surtout, depuis 2023, pour son activité maraîchage, il a recentré la vente autour de sa ferme, en vente directe. « Et ça cartonne ! La demande est là, les gens ont besoin de manger sur un territoire. Je reste donc optimiste pour la suite. »
La vente directe sous toutes ses formes* est vraiment privilégiée par les fermes bio franciliennes : elle représente plus d’un tiers des circuits choisis par les agriculteurs bio en Ile-de-France (+5,5 % vs 2022).
*vente à la ferme, Amap, paniers, vente par correspondance, marchés hebdomadaires, foires et salons.
« La vente directe ça cartonne ! La demande est là, les gens ont besoin de manger sur un territoire. »
Autre espoir de débouché : les collectivités. « Si demain la loi Egalim est appliquée dans les cantines, on développera le bio en Ile-de-France »