Réduire le risque grêle
Contre la grêle, rien ne vaut un filet. Mais que faire quand il est impossible d'en poser? Trois systèmes agissent sur la formation de la grêle pour en diminuer le risque destructeur.
Contre la grêle, rien ne vaut un filet. Mais que faire quand il est impossible d'en poser? Trois systèmes agissent sur la formation de la grêle pour en diminuer le risque destructeur.
Le printemps 2018 restera dans les mémoires. Les orages n’ont épargné personne et la grêle a frappé. « Du 22 mai au 10 juin 2018, nous avons reçu neuf alertes, comptabilise Emmanuel Maupas de la Chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, en charge du réseau de générateurs sur le département. En 2016, nous n’en avions eu que six d’avril à octobre. » Pour protéger les vergers, les filets restent la solution la plus sûre. Mais tous les vergers et tous les modes de conduite ne permettent pas leur installation. Afin de diminuer le risque grêle, plusieurs solutions existent. Elles ont toutes pour objectif de diminuer la taille des grêlons au moment de leur formation afin qu’au cours de leur chute, ils diminuent à une taille non dommageable ou fondent. Elles ont en commun de s’appuyer sur des prévisions climatologiques pour anticiper la trajectoire des orages et la formation de grêlons. Le déclenchement de la protection doit en effet se faire avant leur formation. Et leur efficacité qui n’est pas totale, est liée à une utilisation en réseau de cette solution.
Des réseaux de générateurs à vortex
La solution de l’Association nationale d’étude et de lutte contre les fléaux atmosphériques (Anelfa) est basée sur des réseaux de générateurs (voir encadré) gérés par des groupements de producteurs. Le principe repose sur l’ensemencement des nuages en noyaux glaçogènes à partir du sol grâce à ces générateurs. En multipliant les noyaux glaçogènes, on diminue la quantité d’eau surfondue disponible par grêlon et par conséquent leur taille. « Les orages sont des phénomènes à grande échelle, il est illusoire de vouloir les traiter depuis un seul point », juge Claude Berthet, directrice de l’Anelfa. D’où l’objectif d’avoir une démarche collective. « Nous estimons que la taille minimum d’un réseau est de 15 générateurs placés tous les 10 km », continue-t-elle. « C’est une protection solidaire, souligne Emmanuel Maupas. Ce sont ceux qui sont en amont de l’orage qui protègent les suivants. » L’Anelfa regroupe actuellement 17 réseaux qui couvrent 66 000 km², en une large partie à l’Ouest et au Sud-est de la France. Les générateurs sont allumés manuellement par des opérateurs volontaires trois heures avant le risque. Les opérateurs d’un même réseau sont alertés tous ensemble par message vocal de l’heure de mise en route grâce aux prévisions des deux organismes avec lesquels l’Anelfa travaille (MétéoFrance et Keraunos). L’efficacité de cette méthode est évaluée entre 40 et 60 %. « En comparant des zones ensemencées et des autres non ensemencées, nous mesurons une baisse de 50 % de l’énergie cinétique des grêlons sur les grélimètres (voir sous-papier, ndlr) », souligne Claude Berthet. Les physiciens du conseil scientifique de l’Anelfa ont décrit la méthode et son évaluation dans plusieurs articles publiés dans des revues internationales. Les générateurs sont mis à disposition par l’Anelfa. Le coût de ce système est proportionnel au nombre de générateurs, il comprend l’adhésion à l’Anelfa, l’approvisionnement en solution combustible et en petit matériel de maintenance. « En Lot-et-Garonne, notre budget est de 100 000 euros pour 50 diffuseurs, rapporte Emmanuel Maupas. Le financement se fait par l’ensemble de la profession. »
Sept millions d’hectares couverts par Selerys
Selerys est une entreprise qui propose en premier lieu des radars permettant de détecter les risques grêles dans un diamètre de 60 km. « Notre solution Skydetect est capable de prévoir à 100 m près le risque de grêle, déclare Fabrice Caquin, directeur de Selerys. Notre système ne rate jamais un phénomène dangereux. » L’acquisition du radar est un investissement de près de 60 000 euros mais l’entreprise propose un abonnement au service pour les producteurs se trouvant dans une zone couverte par un radar pour 800 euros par an par îlot de parcelles. Les producteurs adhérents reçoivent un SMS lorsque le risque de grêle est avéré sur leurs parcelles. Pour diminuer le risque, l’entreprise propose sa solution Laïco (voir encadré). Là aussi, l’objectif est d’augmenter le nombre de noyaux glaçogènes. « La différence est le vecteur, pointe Fabrice Caquin, nous utilisons un ballon gonflé à l’hélium pour ensemencer les orages. » Le taux d’efficacité de cette méthode est aussi évalué entre 40 et 60 % dans les conditions optimales. « Plus le maillage de lâchers de ballons est important, mieux c’est, précise le spécialiste. Nous avons une centaine de clients en France et couvrons plus de sept millions d’hectares, toutes cultures confondues. » Les ballons sont lancés par les producteurs adhérents suite à la réception du message. « L’année dernière, nous avons perdu 500 t de fruits à cause de la grêle, témoigne Christophe Bonnaud, arboriculteur dans la Drôme. Mon voisin ayant un radar, nous avons choisi cette année la solution de Selerys pour protéger nos vergers qui ne sont pas sous filet. La solution est facile à mettre en place bien que le déclenchement du ballon soit un peu long. » Il a été formé au lâcher des ballons par l’entreprise elle-même qui fournit aussi le kit : ballon, torche et gaz. « Nous avons lâché 25 ballons depuis début avril sur deux sites, et nous n’avons eu aucun orage de grêle alors qu’il a grêlé plus bas, continue le producteur. Mais nous avons de grosses pluies. » Un lâcher coûte 350 euros. « J’en ai eu pour 7 000 euros cette année, annonce Christophe Bonnaud. Mais on y croit au vu des enjeux économiques. Et, on a eu de bons résultats cette année. »
800 canons anti-grêles dans 22 pays
La troisième solution disponible est le système des canons anti-grêles. Ils produisent des ondes de choc, qui selon David Ollivier, Directeur de Spag « destabilisent les gouttelettes d’eau et ainsi les cristallisent avant qu’elles ne s’agglomèrent aux noyaux glycogènes. » Plusieurs entreprises proposent ce système dont la société Spag (voir encadré). Celle-ci estime que son système de canon élimine à 85 % les dégâts de grêle. « Nous travaillons depuis 45 ans et nous avons installé 800 canons dans plus de 22 pays », pointe David Ollivier. Si ses canons peuvent être actionnés manuellement, l’entreprise propose aussi des services météorologiques pour informer du risque de grêle et déclencher les canons automatiquement. Un canon et son conteneur coûtent 49 000 euros auxquels s’ajoute le prix du radar (70 000 euros) ou du service météo (2 000 euros par an), selon l’option choisie. « Nous proposons aussi un système d’insonorisation », précise le commercial. Là aussi, le nombre fait la force. « Depuis deux ans, nous vendons des canons à des groupes de producteurs qui protègent ainsi toute une région, renchérit-il. Nous avons équipé une dizaine de projets en France. »
Connaître les épisodes de grêle
« Selon une étude conduite sur 25 ans, la fréquence des chutes de grêle en France n’a pas augmenté mais leur intensité, elle, s’est fortement renforcée », analyse Claude Berthet de l’Anelfa. L’Anelfa a fait cette observation grâce à son réseau de grélimètres. Ce sont de simples plaques de polystyrène qui sont placées dans des parcelles et retirées après une chute de grêle. « L’impact des grêlons sur cette plaque permet de connaître le nombre de grêlons par mètre carré, leur taille ainsi que l’énergie cinétique qui est bien corrélée aux dégâts aux cultures », continue la spécialiste. A partir du cumul de ces données sur plusieurs années, l’Anelfa essaye de mieux connaître cet aléa dans les quatre réseaux qu’elle suit : Centre, région Méditerranée, façade atlantique et Midi-Pyrénées. « Nous sommes le seul réseau d’observation de la grêle, précise-t-elle. Et nous essayons de garder notre réseau le plus stable possible. » L’objectif de cumuler ces données est de faire de la climatologie pour mieux comprendre la variabilité des épisodes de grêles dans l’espace et dans le temps, et analyser leur évolution.
La formation de la grêle
La grêle est constituée de grains de glace d’au moins 5 mm de diamètre. Elle se forme en présence de fortes différences de température entre l’air au-dessus du sol et le sommet de la troposphère vers 12 km d’altitude. Lorsque les basses couches de l’atmosphère sont riches en humidité, des nuages de convection appelés cumulus congestus et cumulonimbus se développent vers le haut. Quand la partie la plus élevée de ces nuages atteint des régions où la température est négative, gouttelettes d’eau et cristaux de glace coexistent dans le nuage. La présence de poussière particulière (les noyaux glacogènes) favorise la congélation de ces gouttelettes d’eau autour d’eux. La rareté de ces noyaux combinée à de forts courants ascendants conduit à la formation de grêlons destructeurs.
Source : Guide étude et prévention grêle de l’Anelfa
3 solutions de réduction des risques de grêle
1. Les ballons-sondes
Les ballons-sondes Laïco transportent des sels hygroscopiques ou de l’iodure d’argent. L’objectif de cette méthode est d’acheminer cette matière au pied du nuage de grêle afin d’augmenter le nombre de noyaux glaçogènes et donc de créer des grêlons plus petits. Le dispositif conçu par Lacroix défense et commercialisé par Selerys, contient une valise avec des jeux de ballons et de torches de sels hygroscopiques et une bouteille d’hélium. Le ballon est gonflé à l’hélium par un opérateur (producteur ou salarié). Il est équipé d’une carte électronique reliée à une torche de sels hygroscopiques. Lorsque le ballon atteint une altitude et des conditions requises, la puce embrase la torche et fait éclater le ballon afin de libérer le sel hygroscopique dans le nuage.
2. Les générateurs à vortex
Le générateur est composé d’une bouteille d’air comprimé, d’un réservoir de solution acétonique et d’une cheminée dans laquelle est brûlé le mélange d’iodure d’argent, iodure de sodium dissous dans de l’acétone. La combustion dans la cheminée permet de créer des milliards de particules d’iodure d’argent qui sont dispersées aux racines des courants ascendants. Ces particules sont aspirées par le nuage d’orage. Une fois dans la zone de formation de la grêle, elles vont augmenter le nombre de noyaux glaçogènes et donc multiplier le nombre de grêlons tout en diminuant leur taille. Ceux-ci pourront alors fondre en partie ou complètement avant d’atteindre le sol. Ce système est à déclenchement manuel.
3. Les canons à onde de choc
Le canon anti-grêle est basé sur la production d’une onde de choc. Selon les sociétés qui les vendent, l’onde de choc empêche la croissance des grêlons par excitation des molécules d’eau dans les nuages et augmente la résistance de l’air et donc le frottement des grêlons pour qu’arrivés au sol, les grêlons soient plus petits ou fondus. Le canon est composé d’un cône de 6 m de haut et fonctionne au gaz acétylène. La combustion de ce gaz entraîne une détonation et donc une onde de choc. La puissance sonore est de 120 dB à 20 m. Les détonations sont déclenchées toutes les 7 secondes pendant 45 minutes minimum. Un canon est vendu pour pouvoir couvrir 80 ha. Les détonations peuvent être déclenchées manuellement ou automatiquement.