Tomate : peut-on concevoir des serres sans énergies fossiles ?
Les cultures hors-sol sous serre chauffée consomment peu d’eau et de produits phytosanitaires, mais elles ont de gros besoins énergétiques. Le projet prospectif Serres+ cherche à réduire leur dépendance aux énergies fossiles.
Est-il possible de concevoir, en partant des besoins d’un plant de tomate et des attentes de producteurs sous serre, une enceinte qui soit indépendante des énergies fossiles ? C’est l’objet de Serres+, un projet prospectif sur des nouveaux concepts d’enceintes de production végétale indépendantes des énergies fossiles, sur la thématique de l’économie d’énergie en production sous serre. Neuf équipes de recherche travaillent sur ce projet porté par Végépolys Valley et soutenu financièrement par les régions Pays de la Loire et Bretagne, avec des approches dans les domaines de l’énergétique, de l’aéraulique, de l’architecture.
Elles sont associées à des stations d’expérimentation : centre CTIFL de Carquefou, Arelpal (Loire-Atlantique), Caté (Finistère), et les coopératives bretonnes Savéol et Maraîchers d’Armor ainsi que des producteurs ligériens. Trois principaux axes de travail ont été explorés : remplir les besoins énergétiques sans énergies fossiles (électricité et chauffage), optimiser la gestion de l’air (voir encadré « Optimiser la ventilation ») et proposer un nouveau design de l’architecture des enceintes (voir « Des nouveaux designs prospectifs »). « La démarche a été de partir d’une feuille blanche, explique Henry Freulon, Végépolys Valley, lors du Sival 2024. Nous avons d’abord cherché à répondre aux besoins des plantes, avec une approche de modélisation pour pouvoir tester différentes combinaisons de solutions. »
Un stockage d’énergie est nécessaire
Un cahier des charges des besoins des cultures de tomate hors-sol a notamment été élaboré par le CTIFL (voir encadré « Besoins optimaux d’une culture de tomate hors-sol »). Il fallait ensuite intégrer les contraintes de production liées à la culture et au travail sur la plante, à l’outil de production, à la maîtrise sanitaire et à la réglementation, notamment sur l’environnement. Concernant les besoins en électricité, l’énergie annuelle nécessaire peut en théorie être fournie par des panneaux photovoltaïques (200 kWh/m² de panneaux) ou des éoliennes (275 kWh/m² d’éolienne). Mais il y a un gros problème de synchronisation entre un besoin d’énergie en général hivernal et une disponibilité estivale.
Pour la chaleur, l’énergie captable par des capteurs solaires thermiques est de 700 kWh/m² de capteur. « Le taux de conversion de l’énergie solaire vers de la chaleur stockable est plus important que pour l’électricité, souligne Étienne Chantoiseau, de l’Institut Agro Rennes-Angers, coordinateur du projet. Mais le constat est similaire : l’énergie est disponible, mais pas au bon moment ! Un stockage est donc nécessaire », comme a pu le quantifier Patrick Guérin de Nantes Université. Dans un deuxième temps, les acteurs du projet ont fait un état des lieux des solutions techniques à envisager, pour le chauffage, le refroidissement, l’humidification/déshumidification, la ventilation, la captation, conversion et stockage d’énergie. À l’issue d’une réflexion collective, certaines solutions ont été retenues, d’autres abandonnées.
Captation par panneaux photovoltaïques
Parmi les solutions écartées, on trouve les enceintes opaques avec un éclairage LED, à cause d’une consommation en électricité disproportionnée. Le refroidissement par évaporation de l’eau (cooling PAD, brumisation) a également été mis de côté afin de préserver la ressource en eau. De même pour le stockage de chaleur dans les parois, le volume étant trop réduit pour être intéressant. Les solutions retenues pour la suite ont été : les ventilations avec des recirculations d’air avec une centrale de traitement d’air pour le conditionnement d’air ; la captation d’énergie par des panneaux solaires (photovoltaïques, photovoltaïques thermiques ou uniquement thermiques) ; un stockage de chaleur centralisé avec l’utilisation de matériaux à changement de phase ou d’un stockage thermocline ; et un stockage de l’électricité plutôt par batterie.
L’étape du dimensionnement (électrique et chaleur) a été réalisée par l’Ireena, Institut de recherche en énergie électrique de Nantes Atlantique. La captation d’énergie électrique par des panneaux photovoltaïques doit être associée à un stockage. « On s’est rendu compte que le stockage journalier sur les cycles jour-nuit posait problème pour les mois d’hiver, par rapport au dimensionnement, indique Étienne Chantoiseau. On avait besoin de surfaces de panneaux solaires énormes pour pouvoir tenir les nuits d’hiver. Il y avait un intérêt économique à vendre de l’électricité en été et l’utiliser en hiver, mais d’un point de vue de la production de tomate, c’était peu intéressant. »
Des solutions plus éprouvées pour le chauffage
En revanche, un stockage intersaisonnier, c’est-à-dire produire de l’électricité pendant l’été et la stocker en batterie jusqu’à l’hiver, est plus intéressant, avec quelques clés de dimensionnement. « Mais ce stockage intersaisonnier n’est intéressant que si on arrive à avoir des rendements supérieurs à 60 %, indique Étienne Chantoiseau. Cela laisse peu de solutions : batteries lithium ion ou station de transfert d’énergie par pompage (STEP). » Le taux d’autonomie a une influence très importante : un passage de ce taux de 99 à 99,9 % conduit presque à doubler la batterie. De plus, la période hivernale est très contraignante.
Pour la captation d’énergie destinée à la production de chaleur, les solutions techniques sont beaucoup plus éprouvées. « On est partis sur un capteur solaire thermique, avec un stockage d’eau chaude entre 35 et 85 °C et une isolation importante pour contrer les pertes du stockage à long terme, décrit Étienne Chantoiseau. On arrive à une autonomie complète avec une surface de l’ordre de 0,54 m² de capteur solaire thermique par mètre carré de serre, et un volume de stockage de 1,27 m3 par mètre carré de serre. » Pour la chaleur, l’influence du taux d’autonomie est moindre même s’il reste quelques périodes hivernales qui peuvent poser problème. De plus, les surfaces de capteurs et les volumes de stockage nécessaires sont importants. Le projet Serres+, commencé fin 2020, doit s’achever fin 2024. Pour la fin du projet, l’une des perspectives est d’évaluer le système de serre innovant se comporte pour différents scénarios climatiques.
Le besoin en énergie est en général hivernal alors que la disponibilité est estivale
Besoins optimaux d’une culture de tomate hors-sol
Rayonnement photosynthétiquement actif (PAR) : 500 micromoles/m2/s
Température : 23 à 25 °C. 1 200 degrés jour entre la floraison et la récolte en tomate, soit une soixantaine de jours à 20 °C.
Humidité : déficits hydriques optimaux de 5 à 6,5 g/kg ; différence de pression vapeur entre la plante et l’air : de 0,4 à 1,4 kPa
CO2 : concentration de 900 ppm
Énergie : gaz 340 kWh/m2 ; électricité : 10 kWh/m² (pratiques producteurs)
Eau : 10 000 m³/ha en situation de recyclage de solution nutritive
Éléments minéraux : 7,35 t/ha
Optimiser la ventilation
Des contraintes nombreuses
La ventilation des serres a constitué un deuxième axe de travail du projet Serres+. « En partant des données du CTIFL, on a souhaité contrôler la température, l’hygrométrie et la concentration en CO2 au niveau des plantes, à moindre coût énergétique ou de fluides », présente Lionel Fiabane, Inrae. Les contraintes sont nombreuses. Par exemple, le besoin de rayonnement lumineux implique de ne quasiment rien placer au-dessus des plantes. Il ne faut pas des vitesses d’air trop importantes car cela peut stresser la plante. De même, il ne faut pas empêcher les pollinisateurs d’accéder aux plantes. « Au regard de la somme de contraintes, les serres semi-fermées sont déjà globalement bien optimisées. »
Gérer l’air au plus près des plantes
Selon Lionel Fiabane, le fonctionnement de la serre peut être amélioré en apportant de l’air de manière localisée, au plus près des plantes. L’intérêt d’une telle gestion de l’air est d’abord d’avoir des pertes moins élevées, en raison d’un volume d’air à traiter beaucoup plus faible. La gestion du CO2 peut aussi être beaucoup plus fine. Ensuite, une gestion de l’air au plus près des plantes permet potentiellement d’avoir un contrôle plus poussé de l’hygrométrie et du risque de condensation sur les feuilles, notamment. « On pourrait imaginer avoir un soufflage un peu plus élevé aux moments de la journée où le risque de condensation sur les feuilles est maximal », illustre le spécialiste.
Un taux de recyclage à améliorer
Afin de gérer l’air de manière localisée, une combinaison de soufflage et de reprise d’air est nécessaire. Les essais en laboratoire ont visé à atteindre un taux de recyclage de l’air soufflé le plus élevé possible. « Nous avons obtenu des taux de recyclage relativement modestes, note le spécialiste. Le taux maximal de recyclage est de 20 % quand on souffle de l’air chaud dans une ambiance froide. Quand on souffle de l’air froid dans une ambiance chaude, on arrive à 31 %. » Des taux de recyclage un peu plus importants peuvent être espérés selon le positionnement des soufflages et reprises d’air. Des simulations sont en cours pour passer de quelques rangs à l’échelle d’une serre.