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Les exportateurs argentins de poire fustigent la préférence des distributeurs européens pour la production UE

L’explosion des coûts de production, combinée à la généralisation de la retardaison de maturité et aux politiques de non-importation, ferme progressivement les portes du marché européen à la poire de Patagonie. [Article rédigé par Marc-Henry André]

L’explosion des coûts de production du verger argentin, depuis un an, condamne sa saison d’exportation de poires, qui a débuté en février, à un repli sur la région sud-américaine. Le marché russe, en ce sens, fait figure d’exception. La récolte de poires 2025 en Patagonie serait pourtant généreuse : autour de 600 000 tonnes (t). La qualité, elle aussi, serait au rendez-vous. L’origine argentine pourrait aisément franchir la barre des 300 000 t écoulées à l’export qui est sa moyenne des trois dernières saisons.

Une fenêtre de tir de quelques saisons en Europe

Cependant, deux autres facteurs d’actualité, l’un technologique, l’autre d’ordre politique, sapent ses chances de succès en Europe. D’une part, le recours quasi systématique des techniques de retardaison de maturité, dites SmartFresh, pratiquée par les grossistes européens, aurait réduit à quelques semaines sa fenêtre de tir à contre-saison sur le marché européen. D’autre part, la poire de Patagonie est ouvertement boudée par les distributeurs français en tant que fruit étranger et, fait aggravant pour certains, venant d’un autre continent. Le 9 janvier dernier, par exemple, le groupe Les Mousquetaires a annoncé qu’il ne commercialiserait plus que des pommes d’origine française, mettant fin à l’approvisionnement de pommes du Chili ou d’Afrique du Sud. La poire de Patagonie n’échappe pas à cette tendance générale qui touche les fruits à pépins produits hors de l’Union européenne.

Jusqu’en 2020, l’Argentine était encore le deuxième exportateur mondial de poires et le marché européen était son principal débouché, avec la variété Williams comme produit étendard. Mais la valeur des importations européennes de cette origine a chuté à 46 millions d’euros (M€) en 2024, selon Eurostat. La valeur de celles destinées à la France a été d’à peine plus de 1 M€. « Aujourd’hui, la poire argentine n’est presque plus consommée en France », confirme Thibaud Havet, qui a créé sa société d’import-export justement autour de la Williams de Patagonie, mais qui a dû se reconvertir dans les agrumes.

Les enseignes françaises privilégient l’origine France

« Les producteurs argentins eux-mêmes étaient venus me voir, il y a une quinzaine d’années, pour écouler leurs poires en France. Ce fut une belle aventure. Il y a dix ans, c’était encore ma spécialité. J’avais des contrats avec Auchan et Grand Frais. Mais les ventes se sont effondrées. Car les enseignes ont tourné le dos à l’origine en suivant la logique de consommateurs français mal éduqués car mal renseignés », rouspète le négociant. « Quand il s’agit de fruits exotiques, ils n’hésitent pas à mettre le prix et préfèrent la qualité à du pas cher. Mais pour ce qui est des productions locales, comme les pommes, poires, fruits à noyau ou kiwis, les gens ne se posent même plus la question et optent pour du local », déplore-t-il. Il précise qu’il continue d’importer des poires d’Afrique du Sud du fait de la compétitivité supérieure de cette origine par rapport à celle de l’Argentine.

Le directeur de la Chambre argentine des producteurs de fruits intégrés (Cafi), Miguel Sabbadini, fait le même constat. Lui aussi peste contre ces distributeurs européens, français en tête, qui, selon lui, « optent pour la facilité en préférant un approvisionnement local en fruits à pépins en rayon douze mois sur douze grâce à la technologie SmartFresh ». « Regardons de plus près les modes de production et de transport, plaide-t-il. Nous avons fait des études sur l’empreinte carbone des filières export. Il est moins nocif pour l’environnement de consommer une poire fraîchement cueillie et importée par bateau qu’une poire conservée en chambre froide pendant huit mois et qui voyage par camion depuis la Belgique aux quatre coins d’Europe », affirme-t-il.

Impact minime de l’accord de libre-échange ?

Dans un tel contexte, l’éventualité d’une baisse des tarifs douaniers dans le cadre d’une ratification de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur aurait un impact minime, voire nul, sur les futurs volumes de poires argentines exportés vers la France. « Pour faire du business, il faut être deux… », rappelle Thibaut Havet. Or, les grandes enseignes de la distribution française ont adopté des politiques de non-importation de fruits produits hors de l’Union européenne. « C’est de pire en pire… », dit-il, pessimiste. Miguel Sabbadini, lui, reste optimiste. « Nos poires Williams gardent un bel avenir en Europe, car les Européens ont un palais exigeant. Ils apprécient son arôme, sa saveur, sa jutosité… Rien à voir avec des poires Conférence conservées pendant des mois en chambre froide ! », affirme le fructiculteur argentin.

« La tendance va s’inverser, espère-t-il. Les patrons des chaînes de supermarchés européens devraient bientôt revenir aux achats de poires de contre-saison importées depuis l’hémisphère sud. C’est dans l’intérêt des consommateurs. Si les Européens croient qu’ils vont sauver la planète en restreignant notre commerce extérieur de fruits, ils se gourent. Et s’ils ne veulent plus de nos poires, alors nous n’achèterons plus de voitures européennes, qui représentent 70 % du parc automobile argentin. Le monde est interconnecté… »

Un marché intérieur rémunérateur comme rarement

Au MIN de Buenos Aires, les grossistes spécialisés en poires attestent qu’en ce début de saison 2025 marquée par la hausse des coûts de production, le marché intérieur argentin « absorbe tout », ou presque. Marcelo Vieyto écoulait au 28 janvier dernier ses caisses de 18 kilos de poires de variétés Giffard, pourtant moins prisées que la Williams dont les arrivages étaient imminents, à des prix déjà élevés, entre 12 dollars US et 25 dollars US. « À l’export, nous sommes devenus chers, ça va être compliqué. Mais notre marché intérieur est dynamique », confirme Gabriel de Benedictis, de la société Dimimax, à la fois grossiste et exportateur. Claudio Baron, du service Statistiques de ce marché, assure que « le prix FOB moyen de 15 dollars la caisse, selon lui proposé par les importateurs de l’hémisphère nord, ne permet pas aux exportateurs argentins de couvrir leurs coûts. De fait, ces jours-ci, le MIN de Buenos Aires est envahi de fruits importés. On reçoit même des pommes des États-Unis, du jamais vu ! Le marché argentin est devenu alléchant à cause de l’inflation en dollar qui plombe notre activité à l’export, mais qui permet aux importateurs de faire de belles affaires sur place », observe-t-il.

En chiffres

Exportations argentines de poires

2021 : 304 188 t

2022 : 277 809 t

2023 : 314 352 t

2024 (de janvier à novembre) : 333 049 t

Principaux marchés à l’export en 2024 (de janvier à novembre)

Brésil : 135 013 t

Russie : 52 421 t

États-Unis : 45 077 t

Mexique : 18 734 t

Italie : 16 048 t

Pérou : 12 694 t

Source : Senasa (autorité sanitaire nationale argentine)

L’hyperinflation, fléau de l’Argentine

Fléau de l’économie argentine depuis un siècle à cause de gouvernements accrocs à la planche à billets, si pratique, le phénomène d’hyperinflations a pris un nouveau tournant avec l’arrivée au pouvoir, il y a un an, du président ultralibéral Javier Milei. Ce dernier en a fait sa « bête noire » et s’y attaque avec sa célèbre « tronçonneuse » pour couper le budget de l’État en quête d’équilibre fiscal, tout en limitant l’émission monétaire et en évitant de dévaluer le peso argentin par rapport à l’euro et au dollar nord-américain.

Résultat, cette hyperinflation en pesos s’est transformée en forte inflation… en dollars. Ce qui nuit à tous les exportateurs de biens basés en Argentine. Par exemple, « le salaire journalier des saisonniers dans la vallée du Río Negro [principal verger de fruits à pépins du pays] est passé en une seule année de 25 à 45 dollars ! », informe Claudio Baron, du service de statistiques du MIN de Buenos Aires. « Cette année, le coût de production des poires est de 0,32 dollar par kilo alors que l’industrie paie 0,20 dollar par kilo », assure-t-il. De moins en moins compétitive à l’export, l’origine argentine en poires devrait ainsi se replier sur ses débouchés régionaux : Brésil, Colombie, Pérou, Paraguay. Des marchés moins exigeants vis-à-vis de la qualité que ne le sont les européens, mais rémunérateurs pour leur proximité et les tarifs douaniers avantageux au sein du Mercosur.

Rédaction Réussir

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