La main-d’œuvre préoccupe les producteurs de tomate sous serre
La main-d’œuvre est aujourd’hui la première préoccupation des producteurs de tomate, par le poids financier qu’elle représente et du fait des difficultés à recruter, fidéliser et gérer le personnel.
La main-d’œuvre est aujourd’hui la première préoccupation des producteurs de tomate, par le poids financier qu’elle représente et du fait des difficultés à recruter, fidéliser et gérer le personnel.
En quelques années, la main-d’œuvre est devenue la principale préoccupation des producteurs de tomate. En moyenne, 4-6 personnes/ha sont nécessaires en tomate grappe, 8-10 en petits fruits. Les principales activités sont la récolte, l’effeuillage et le conditionnement, qui s’étalent de février à octobre et nécessitent l’embauche de saisonniers. S’y ajoutent la taille et le palissage, la descente des plants, la protection, la fertirrigation, le suivi du climat, la gestion du personnel, le transport, la maintenance, la commercialisation parfois et les chantiers de plantation et vidage des serres. Aux permanents s’ajoutent des contrats à durée déterminée de 2 à 6 mois. Une problématique essentielle est le coût de la main-d’œuvre. « Il y a quelques années, ce coût était équivalent à celui de l’énergie, rappelle Véronique Kerlidou, de Cerfrance. Mais avec le développement de la cogénération, la maîtrise de l’énergie et la diversification qui nécessite plus de travail, la main-d’œuvre est devenue le premier poste de charges. » En 2018, selon Cerfrance, le coût de la main-d’œuvre salariée en Bretagne était de 14,80 €/m² en tomate grappe. « C’est 30 % de plus qu’il y a 10 ans. L’évolution des rendements, de 50,2 kg/m² en 2009 à 57,6 kg/m² en 2018 atténue la hausse par kilo, qui est quand même de +14 %. » Et le problème est renforcé par le développement de la diversification, les petits fruits notamment ayant des besoins en main-d’œuvre supérieurs de 50 % à la grappe.
La remise en cause en 2018 du dispositif TO-DE d’exonération de charges sur le travail occasionnel est donc une forte source d’inquiétude. En 2019-2020, un dispositif transitoire a été mis en place, mais son maintien au-delà de 2020 est incertain. Pour limiter le coût main-d’œuvre, des efforts sont faits pour réduire la pénibilité, améliorer l’organisation du travail, limiter les déplacements improductifs (chariots de récolte, taille, effeuillage, matériel plus ergonomique, automatisation de l’enlèvement des tomates et feuilles, réorganisation des flux…). « Dès 2015, les producteurs de Valprim ont travaillé sur l’organisation du travail et des flux, le rangement, l’ergonomie, indique Marie Barrabé, directrice de Valprim. Certains y ont gagné jusqu’à 15 % de productivité, avec aussi plus de sérénité. » Des travaux sur la robotisation ont également été engagés. Plusieurs prototypes de robot de récolte sont en développement ou en phase de lancement dans le monde. En France, la start-up Syha développe un robot pour la récolte des tomates grappe. Les premiers déploiements commerciaux pourraient s’envisager d’ici 2021-2022. Priva prépare le lancement d’un robot d’effeuillage. Tous ces robots ne seront toutefois pas opérationnels et abordables avant plusieurs années. Et aucune robotisation n’est envisagée pour des tâches plus complexes comme le tuteurage, la taille des bouquets, la descente des plants…
Utiliser tous les moyens pour recruter
Chaque année, les producteurs doivent donc recruter plusieurs dizaines de saisonniers. Plusieurs facteurs jouent sur la facilité de recrutement : la proximité d’une ville, la facilité d’accès, le taux de chômage, les conditions financières et de travail, l’image de l’entreprise… Mais globalement, le recrutement est de plus en plus difficile. « A Nantes, il est plus difficile de recruter depuis cinq ans, parce que la région est dynamique et qu’il y a la concurrence du bâtiment, de l’agroalimentaire, du numérique… », indique la Fédération des Maraîchers Nantais. Les mêmes difficultés se rencontrent dans de nombreuses régions. Tous les moyens sont donc mis en œuvre pour recruter. Pôle Emploi reste un vecteur important, avec un développement de la Méthode de recrutement par simulation, dans laquelle Pôle Emploi fait auparavant passer des tests d’aptitude aux candidats, ou la Préparation opérationnelle à l’emploi collective, action de formation collective de demandeurs d’emploi pour des emplois identifiés par une branche et pouvant comporter une période d’immersion en entreprise. Autres moyens : les bourses à l’emploi de l’Anefa ou d’autres structures, les forums, la presse, les réseaux sociaux, le job dating, les panneaux en bord de route… Le recours aux salariés étrangers se développe également (Nantes, Bouches-du-Rhône, Landes, Lot-et-Garonne), par le biais de contrats OMI, qui permettent aux personnes de certains pays (Maroc, Tunisie, Pologne…) de travailler six à huit mois en France, et plus récemment d’associations s’occupant des migrants. Le bouche-à-oreille reste aussi essentiel et dépend en grande partie de l’image de l’entreprise véhiculée notamment par les anciens salariés.
Fidéliser la main-d’œuvre
Une autre problématique est de fidéliser la main-d’œuvre, que les saisonniers reviennent et que les permanents y restent. La possibilité d’offrir des CDI grâce à l’annualisation du temps de travail ou dans le cadre de groupements d’employeurs est déterminante. Le salaire reste très important. Un 13e mois, la possibilité d’heures supplémentaires, des primes, l’intéressement au résultat, des bons cadeaux… peuvent améliorer la rémunération. L’accueil des salariés est également essentiel. Dans plusieurs régions, des formations sont mises en place pour apprendre à accueillir et intégrer les nouveaux salariés (livret d’accueil, présentation de l’entreprise et des métiers, formation, visite de la coopérative…). Et plus globalement, la qualité de vie au travail est déterminante. Elle passe par de bonnes conditions de travail (équipements, alternance des tâches pour limiter les TMS et la lassitude…), mais aussi par la considération apportée aux salariés, des aménagements d’horaires, une présence quotidienne… La tomate offrant une grande diversité de postes, la possibilité d’évoluer au sein de la structure est également importante. « Bâtir un plan de formation pour les salariés augmente leur employabilité et peut permettre de les fidéliser », estime Marie Barrabé. Au-delà des gestes techniques, les formations à la lutte biologique, à la reconnaissance des ravageurs, auxiliaires et maladies, aux démarches Zéro résidu de pesticides se multiplient. Les formations hygiène et sécurité (gestes et postures, soulever une charge, travail en hauteur…) sont également fréquentes, avec l’objectif d’éviter les accidents de travail et maladies professionnelles. Et d’autres formations plus qualifiantes sont possibles (CACES, agent serriste, assistant chef de culture…). Différents modes de formation de quelques heures à plusieurs mois sont utilisés : formation en interne, par un fournisseur, un technicien du groupement, un organisme de formation, formation par apprentissage, du niveau CAP au niveau ingénieur… Enfin, parce que les structures s’agrandissent, que le nombre de salariés et de postes augmente, les formations en ressources humaines et management se développent pour les chefs d’équipe, les responsables du personnel, les chefs d’entreprise.
Travailler l’attractivité des métiers de la serre
La difficulté à recruter pose la question de l’attractivité des métiers de la serre. « Les producteurs pensent souvent que le travail qu’ils proposent n’est pas intéressant, constate Marie Barrabé. Or beaucoup de gens peuvent être intéressés par la lutte biologique, la détection des ravageurs et auxiliaires, les démarches Zéro résidu de pesticides. » De nombreuses initiatives sont prises pour valoriser les métiers de la serre par l’AOP Tomates-Concombres, Légumes de France, l’Anefa, Pôle Emploi… Rougeline a travaillé sur des films expliquant la production, le conditionnement, les métiers, films qui seront utilisés sur son site internet, les réseaux sociaux, les salons… Savéol a engagé une campagne de communication sur les métiers proposés chez les producteurs et en station. Les opérations Serres ouvertes permettent aussi de communiquer sur les métiers de la serre.
Favoriser la montée en compétences
« Avec l’agrandissement des entreprises, un besoin de montée en compétences des salariés s’est fait sentir », explique Eric Tesch, responsable « Compétences et Métiers » à la Fédération des Maraîchers Nantais. Les maraîchers ont d’abord rafraîchi leurs outils de communication sur les métiers, en mettant l’accent sur le fait qu’il est possible de faire carrière dans une entreprise de maraîchage. Des contrats en alternance ont été établis pour consolider le socle de compétences des salariés en insistant sur les nouvelles technologies et le développement durable. Enfin, la fédération a créé un Parcours Compétences, ensemble de modules de formation de courte durée (1/2 journée à 2 jours), assurés par le CDDM et des partenaires extérieurs, dans tous les domaines (production, management, réglementation…). Les formations sont mutualisées entre plusieurs entreprises. « Quand un producteur exprime un besoin pour des salariés, nous cherchons d’autres entreprises intéressées. Cela favorise l’émulation, le partage d’expérience. »
Faire appel à un consultant spécialisé
Depuis cinq ans, Valprim a mis en place un groupe de travail sur la main-d’œuvre. Les producteurs ont travaillé sur l’attractivité des entreprises, le recrutement, l’accueil, la qualité de vie au travail. Aujourd’hui, toute entreprise bénéficie d’une demi-journée de rencontre individuelle avec un consultant spécialisé en ressources humaines. Un point est fait sur l’exploitation sur les aspects de rangement et organisation de l’espace, gestion des flux, management, communication… Des journées collectives sont aussi organisées deux fois par an pour les chefs d’exploitation et les managers (chef d’équipe, chef du personnel…) sur le recrutement, l’accueil, la fidélisation. Enfin, depuis 2019, les producteurs peuvent avoir un rendez-vous téléphonique d'une heure avec le consultant une fois par mois, pour se remobiliser, échanger sur les problèmes de main-d’œuvre.
Un problème qui touche aussi les stations
La problématique de la main-d’œuvre touche aussi les stations. Savéol, qui assure la commercialisation des tomates de ses adhérents, une partie du conditionnement et a une ferme d’essais et un site de production d’insectes, doit recruter de nombreux saisonniers. « Sur 350 ETP, 150 sont des CDI, indique Marylène Floch, responsable Ressources humaines de Savéol. Nous devons recruter plus de 400 saisonniers de février à octobre, avec 60 % de fidélisation. » Là aussi, tous les moyens sont utilisés : Pôle Emploi, avec la Méthode de recrutement par simulation, la presse, les réseaux sociaux, les forums, des banderoles sur la voie express et si nécessaire l’intérim. Un groupement d’employeurs a aussi été créé avec des structures ayant des saisons inversées, comme des entreprises travaillant le saumon ou la pomme de terre. « La difficulté est d’anticiper le travail de tous les producteurs. Nous devons toujours avoir beaucoup de marge en personnel. Nous pré-embauchons donc les saisonniers en leur faisant suivre en avance la formation hygiène et sécurité obligatoire. Le recrutement est aussi plus difficile depuis deux à trois ans. »