La banane a pris durablement le virage de la durabilité, mais à quel prix ?
A l’occasion d’une conférence de presse de l’AIB, la filière française a fait le point sur ses nombreuses initiatives pour rendre sa banane plus durable. Une mutation nécessaire mais rendue complexe par les contraintes climatiques et économiques. Et qui pose des questions. Qui paye le prix de la durabilité ? Qui supporte ces risques et ces coûts ? Quelle création de valeur pour compenser, alors que ce fruit reste l’un des moins cher du rayon ?
A l’occasion d’une conférence de presse de l’AIB, la filière française a fait le point sur ses nombreuses initiatives pour rendre sa banane plus durable. Une mutation nécessaire mais rendue complexe par les contraintes climatiques et économiques. Et qui pose des questions. Qui paye le prix de la durabilité ? Qui supporte ces risques et ces coûts ? Quelle création de valeur pour compenser, alors que ce fruit reste l’un des moins cher du rayon ?
Lors d’une rare prise de parole publique, la filière française de la banane, par la voix de son interprofession AIB, a tenu fin novembre en conférence de presse à faire un bilan de parcours quant à son engagement pour une banane durable.
La durabilité est aujourd’hui une demande très forte des consommateurs. « Les attentes sociétales en termes de durabilité ont changé, passant dans les années 70 de la productivité puis la sécurité sanitaire à aujourd’hui une responsabilité globale : sociale, santé, biodiversité, changement climatique, durabilité des territoires », rappelle François-Xavier Côte, direction générale déléguée à la recherche et à la stratégie du Cirad.
« La banane a continué sa mutation, confirme Philippe Pons, président de l’AIB, mais elle est aussi contrainte par des facteurs exogènes. » Il évoque les contraintes climatiques de plus en plus fortes, mais aussi économiques (hausse des coûts des intrants, du carton et du fret maritime) et logistiques.
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La filière banane expérimente la durabilité à chaque stade
Le président de l’Association Interprofessionnelle de la Banane évoque de nombreux exemples à chaque stade de la filière.
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Au stade transport
Au stade transport, les opérateurs ont pris des dispositions vertueuses, avec des changements de motorisation, une régulation de la vitesse des bateaux, un taux de souffre réduit.
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Au stade mûrisserie
Au stade mûrissage, l’adaptation et la modernisation des installations permet des économies d’énergie.
Au stade de la distribution
Au stade de la distribution, Philippe Pons rappelle la part de plus en plus importante des bananes vendues enrubannées, comparé à celle des sachets plastique. « La part est croissante, et je pense qu’en considérant la GMS et le commerce traditionnel, on doit être à presque la moitié de bananes enrubannées [la part de marché des bananes enrubannées comparé au vrac est précisément de 43 %, à la fois en volume et en valeur ]. La vente de bananes en ruban permet moins de manipulation en rayon donc moins de pertes [l’Ademe estimait à 10 % le taux de freinte en rayon pour la banane en vrac, NDLR]. Et le poids du plastique est de l’ordre de 5 fois moins. »
La part des bananes vendues enrubannées ne cesse de progresser
Il évoque aussi des pistes en cours autour de l’anti-gaspi. « La banane peut et doit se présenter aux consommateurs dans un aspect esthétique moins parfait qu’elle ne l’est aujourd’hui. De même au niveau des plateformes, nous travaillons en tant que filière à un seuil d’acceptation des fruits plus large : sur l’amplitude de couleur -nous sommes en discussion- et sur les aspects cosmétiques (défauts visuels). »
Des discussions sont en cours pour élargir le seuil d’acceptation des bananes au niveau des plateformes, en termes d’amplitude de couleur et de défauts visuels.
Au stade production, les initiatives, coûteuses, se multiplient néanmoins
Mais c’est au stade production que les initiatives sont pléthores. François-Xavier Côte cite en vrac : les plantes de service, la fauche mécanique pour supprimer les herbicides, les outils d’aide à la décision pour diminuer les fongicides, le piégeage aux phéromones contre les charançons pour limiter les insecticides…
« Le recours aux jachères assainissantes avant plantation associé à des vitroplants -du matériel de plantation sain- est une innovation majeure depuis quelques années très utilisées aux Antilles et en Afrique », se réjouit François-Xavier Côte.
« Sur les 500 000 hectares mondiaux de bananes, certains territoires sont plus en avance que d’autres, mais pour tous il y a une prise de conscience »
« Les Antilles sont à la pointe du processus et en Afrique ils avancent aussi », estime François-Xavier Côte. Denis Loeillet, agroéconomiste et responsable de l’Observatoire des Marchés et des innovations du Cirad, correspondant Cirad filières Banane dessert et plantain, complète : « Sur les 500 000 hectares mondiaux de bananes, certains territoires sont plus en avance que d’autres, mais pour tous même en Amérique il y a une prise de conscience de la nécessité de faire sa mutation. On voit se développer des initiatives sur les aspects environnementaux -réduction des phytos-, et sociaux avec le living wage [salaire vital]. »
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François-Xavier Côte évoque aussi des projets en préparation : de nouvelles variétés de bananes résistantes aux maladies et qui permettraient en outre de répondre à un objectif de diversification de ce fruit qui pour l’instant est une monoculture mondiale de Cavendish.
Coûts et risques de la durabilité : qui paye le prix ?
« Ces innovations changent la façon de produire et ont donc un coût et des risques, affirme François-Xavier Côte. Un coût sur l’investissement dans les technologies, dans les énergies, dans la main d’œuvre. Par exemple la fauche mécanique aurait un coût de 400 €/hectare selon nos chiffres Cirad. Elles présentent aussi des risques : des risques sociaux (hausse de la pénibilité), des risques sur la productivité - l’agroécologie est plus sensible aux aléas-, un risque commercial car l’aspect des fruits peut-être différent. Qui supporte ces risques et ces coûts ? Quelle création de valeur pour compenser ? »
Pour Philippe Pons, les enjeux de la banane sont « une responsabilité partagée ». « La prise de risque est fondamentale si on veut assurer la durabilité de la filière, tout en garantissant que la banane reste un fruit accessible pour le consommateur. »
Car la banane est l’un des fruits les moins chers du rayon, un peu moins de 1,90 €/kg en moyenne dans les rayons français. Produit d’appel du rayon fruits et légumes, les distributeurs ont fait le choix de ne pas dépasser le prix psychologique de 1,99 €/kg, « un choix qui a indéniablement son rôle dans l’accessibilité de notre produit », estime Philippe Pons.
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La durabilité, combien ça coûte pour le producteur ?
François-Xavier Côte estime : « Le coût de la durabilité est fonction du nombre d’innovations mises en place et lesquelles. Aujourd’hui, arrêter certains pesticides ne représente que quelques pourcentages du coût actuel de la banane. Les innovations environnementales n’impliquent “que” 10 à 20 centimes de différence sur le prix final. Va donc se poser la question de la reconnaissance par le consommateur. »
« Aujourd’hui, la filière fait évoluer son produit à prix constant »
Pour autant, l’AIB l’affirme, elle n’est pas en train d’annoncer des hausses de prix dans les rayons. « Aujourd’hui, la filière fait évoluer son produit à prix constant », ce qui est permis par moins de marge, la massification des flux et un taux de casse en rayon réduit. Mais c’est un modèle qui ne pourra durer.