Biocontrôle : la technique de l'insecte stérile en test
Les premiers projets avec la technique de l’insecte stérile sont déployés en France. Une technique validée à l’étranger mais qui nécessite d’être ajustée au contexte des bassins de production concernés. Son déploiement à une échelle régionale nécessite l’implication d’acteurs hors cadre agricole pour favoriser son adoption.
Les premiers projets avec la technique de l’insecte stérile sont déployés en France. Une technique validée à l’étranger mais qui nécessite d’être ajustée au contexte des bassins de production concernés. Son déploiement à une échelle régionale nécessite l’implication d’acteurs hors cadre agricole pour favoriser son adoption.
La technique de l’insecte stérile (TIS) est une méthode de lutte contre des insectes ravageurs de cultures ou vecteurs de maladie chez l’humain et le bétail déjà éprouvée dans divers pays. Elle consiste à lâcher, de façon répétée et massive, des mâles stérilisés par ionisation, de l’insecte ciblé. Leur accouplement avec des femelles sauvages se traduira par des pontes non viables, permettant une réduction progressive des populations locales. « En combinaison avec d’autres méthodes de biocontrôle, l’objectif après deux ou trois ans est de supprimer les traitements phytosanitaires sur un ravageur principal d’une culture, sur une zone définie », précise Clelia Oliva, chargée des projets TIS au CTIFL et animatrice du Collectif TIS (voir encadré). Plus de 30 projets sont déjà en cours dans le monde dont 18 sont en phase opérationnelle avec des résultats positifs. Il s’agit majoritairement de ravageurs ou vecteurs de la famille des diptères (mouches) ou des lépidoptères. En France, la technique fait l’objet de tests pilotes depuis 2019 pour trois ravageurs (voir encadré). Elle est aussi envisagée contre la mouche de l’olive, la mouche des fruits Bactrocera dorsalis ainsi que contre le moustique tigre. « La technique est mentionnée dans la stratégie nationale de déploiement du biocontrôle, précise Simon Fellous, chercheur à l'Inrae. Les ministères lui portent donc un intérêt. » Mais pour que les projets en cours aboutissent à un déploiement effectif, plusieurs verrous sont à lever. Un travail qu’effectuent les groupes de travail du collectif TIS créé en 2018. Le premier est réglementaire. Le cadre réglementaire pour ces insectes existe, au travers du statut « d’organisme utile aux végétaux » au même titre que les macro-organismes indigènes utilisés en PBI. Mais le transport de ces insectes vivants en France et depuis l’international pose problème. « Il y a besoin de clarifier les normes de transport international d’insectes vivants pour que les transporteurs puissent se positionner », mentionne Clelia Oliva. Le second verrou est financier. « Il est difficile de trouver des financements pour aller à la vitesse espérée par les filières quand un projet est au stade de développement, explique Simon Fellous. L’obtention de financements publics demande des années et nous en sommes à un stade encore trop en amont pour que les industriels investissent. » « Or les tests pilotes, prévus en 2021, sont cruciaux, insiste Clelia Oliva. S’ils sont faits sans moyen, on gâche la seule chance de voir la technique approuvée. Et comme cette technique se déploie à grande échelle, il est difficile de travailler dans un budget prédéfini. »
Trouver un mode d’organisation économique territorial
Les échelles spatiales et temporelles sont en effet la particularité de cette méthode. Lorsqu’il s’agit d’un ravageur de culture de plein champ, elle ne peut s’envisager que sur des îlots de parcelles allant parfois jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres. Sa mise en place nécessite donc l’adhésion de plusieurs producteurs, parfois non concernés par le ravageur, des organisations de producteurs, des riverains et des collectivités territoriales. « La concertation avec les acteurs est centrale dans le développement de la TIS en France, continue le chercheur. Il s’agit de construire un chemin commun où les objectifs de chacun sont conciliés. » Du fait de cette échelle, un mode d’organisation économique territorial est aussi à imaginer. Les coûts de mise en œuvre peuvent être élevés entre le centre d’élevage, la logistique, la concertation, les lâchers et leurs suivis. « Mais dans tous les projets développés à l’étranger, le retour est a minima de 2,50 € pour 1 € investi », souligne Simon Fellous. Dans le projet Oksir sur le carpocapse des pommes au Canada, une partie du financement est assurée par une taxe payée par les habitants en contrepartie d’un environnement sans insecticide. Dans d’autres régions, c’est une taxe sur les exports qui le finance. « Pour chaque projet, il est nécessaire de réunir les industriels du biocontrôle, les financeurs publics et les filières concernées pour trouver un modèle spécifique », indique Clelia Oliva. Pour la production, une chaîne de valeur est possible lorsque la méthode est appliquée sur un ravageur principal et peut conduire à diminuer drastiquement le nombre d’applications de produits phytosanitaires. La méthode nécessitant des lâchers a minima annuels sur du très long terme, peut aussi intéresser les industriels du biocontrôle. Le rôle de chacun et notamment des producteurs est aussi à définir sur chaque projet. « C’est à eux de se positionner afin d’être acteurs dans le projet », souligne Simon Fellous.
Effets secondaires sur les écosystèmes
Fait nouveau dans la protection des cultures, la concertation est aussi faite avec des associations de défense de l’environnement et les riverains des cultures. « Il s’agit de pouvoir répondre à leurs préoccupations en amont et non pas a posteriori comme on l’a fait pour les produits phytosanitaires », indique le chercheur de l’Inrae. Pour une grande part, elles concernent les potentiels effets secondaires de cette méthode sur l’environnement. « A titre d’exemple, certains se questionnent sur les impacts de cette technique sur les communautés d’oiseaux et d’insectes. A l’heure actuelle, la recherche ne sait pas évaluer les effets écosystémiques de chacune des nombreuses solutions alternatives aux insecticides. Nous avons donc créé, notamment avec l’Office pour les insectes et leur environnement (OPIE), un groupe de travail national pour les étudier. »
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Trois projets en France avec la méthode TIS
L’efficacité de la TIS sur la mouche méditerranéenne des fruits est déjà prouvée à travers plusieurs programmes en cours dans le monde. Le projet CeraTIS a débuté cette année en Corse sur une zone de 800 ha regroupant des producteurs d’agrumes et de fruits d’été. Il a débuté avec des enquêtes auprès des producteurs partenaires, des organisations professionnelles et des techniciens. Les premiers lâchers de cératites stériles, importées d’Espagne, devraient avoir lieu en 2021 pour affiner la méthodologie et évaluer l’efficacité sur la zone cible. Après cette première phase terrain, de nouveaux entretiens seront effectués pour cerner les niveaux d’engagement des acteurs afin d’élaborer des scenarios de modèles d’affaires. Cette enquête est réalisée en partenariat avec l’équipe Valbio du Gredeg (CNRS – Université Côte d’Azur).
La TIS sur Cydia pomonella est déjà utilisée avec succès au Canada. Son utilisation en France est donc une transposition de la technique et a débuté directement sur des essais terrains en 2019 sur noix. Les carpocapses stériles sont importés de l’usine canadienne. Un développement local de la production de carpocapses stériles est également à l’étude par le CTIFL. Une enquête de perception de la TIS a été menée en Isère auprès de différents groupes d’acteurs (voir page 28). La zone cible est constituée de plusieurs îlots de vergers de noyers d’environ 4 ha, qui sont suivis depuis 2017 afin de connaître la variation des populations sauvages. Des premiers tests ont permis en 2019 de pratiquer et valider les méthodes de lâchers et d’évaluer la dispersion des insectes stériles.
Ce projet est en phase d’étude de faisabilité technique. L’Inrae de Montpellier travaille depuis 2017 sur l’élevage, la domestication et la stérilisation de la mouche D.suzukii. La maîtrise d’un élevage de qualité est maintenant possible. Contrairement aux deux autres cas, l’échelle de la parcelle est possible puisque les lâchers se font sous tunnel, donc en zone fermée. « Vu le nombre de plantes hôtes de D. suzukii, il n’était pas pertinent de travailler à l’échelle du paysage », explique Simon Fellous, Inrae. Des lâchers seront effectués en 2021, sous réserve de financements, sous serre de fraise sur le centre CTIFL de Balandran, en conditions contrôlées pour évaluer l’efficacité de la technique. Un premier essai en serre de production est aussi espéré en 2022.
Le collectif TIS
Le collectif TIS a été créé en 2018 pour rassembler les différents acteurs concernés par son usage possible en France, pour la lutte contre des vecteurs de maladie pour l’homme et la lutte contre des ravageurs en agriculture. Il a pour but de favoriser l’échange afin d’identifier les questionnements et lever les verrous de son utilisation. Il vise à assurer la représentation des différents acteurs : recherche (sciences dures et sciences sociales), industrie du biocontrôle, conseil technique, producteurs, associations de défense de l’environnement et de riverains, ministères et collectivités territoriales.
Une méthode à déployer par étape
La TIS ne peut s’envisager que sur des insectes qui se reproduisent exclusivement de façon sexuée et dont l’élevage de masse est possible. Son déploiement nécessite un temps long et diverses étapes. Les premières concernent l’acquisition de données sur le site et l’insecte ciblés.
1/Le paysage : la distribution des cultures hôtes doit être étudiée ainsi que celle de l’insecte.
2/L’insecte : les variations de population doivent être connues afin de déterminer la période de lâcher la plus opportune. « Les lâchers doivent se faire au moment où la population sauvage est la plus basse, précise Clelia Oliva. Le ratio entre insectes stérilisés et insectes sauvages est en effet la clef de réussite. » La densité de population de l’insecte doit être mesurée pour définir le nombre d’individus stérilisés à relâcher et la fréquence des lâchers afin d’atteindre ce ratio.
3/La dispersion : la dispersion de l’insecte dans ce paysage doit être connue pour définir le nombre et les lieux de lâchers.
Une fois l’approvisionnement de masse en insectes stérilisés possible :
4/Une zone isolée doit être définie. « Afin d’éviter l’arrivée de femelles sauvages de l’extérieur de la zone de lâcher, il est impératif de travailler avec des zones tampons. » Ces zones tampons sont naturelles : autres cultures que la plante hôte de l’insecte, ou créées de façon artificielle en réduisant drastiquement la population autour de l’îlot par tous les moyens phytosanitaires possibles. Pour certains ravageurs comme D. suzukii, le projet est mené à l’échelle d’un tunnel, donc l’isolement se fait par des filets aux ouvertures.
5/Un à deux lâchers hebdomadaires sont à effectuer sur une période à définir selon l’insecte. En parallèle, il est nécessaire de diminuer le stock de ravageurs sur le terrain par la prophylaxie, et les autres outils de biocontrôle. « Il y aura toujours une réalimentation en individus sauvages du site et donc les lâchers d’insectes stériles seront toujours nécessaires mais après quelques années, le nombre de lâchers et la quantité d’individus pourraient baisser. »
6/La population d’insectes cibles doit être suivie quantitativement et qualitativement.
Prendre en compte tous les acteurs de la région ciblée
Les projets mis en place à l’étranger ont souligné l’importance capitale d’intégrer toutes les personnes concernées par cette technique dans et en dehors du monde agricole pour renforcer les chances de succès. Dans le cadre du projet sur le carpocapse de la noix, une enquête a été effectuée dans la région Drôme Isère, sur le bassin de production de la noix de Grenoble auprès des professionnels (producteurs de noix, autres producteurs, techniciens, apiculteurs), associations protection de la nature, de consommateurs et de riverains. Pendant les entretiens, le principe de la TIS, ses modalités de mise en place, le carpocapse et les bénéfices de la technique étaient présentés. La technique est accueillie positivement. Pour les consommateurs et riverains, l’intérêt majeur de la méthode est sans conteste le remplacement des pesticides. La réversibilité de la méthode est également pour tous un gage d’assurance. Cependant, certaines questions émergent. Elles sont de l’ordre générique et faciles à répondre : sur l’ionisation, sur la non-utilisation d’OGM, d’autres nécessitent des études complémentaires : efficacité, dangerosité sur d’autres cultures, sur la faune. La démarche consultative est saluée par tous. Les informations sur les avancées et la poursuite des travaux continueront à être diffusées en toute transparence.