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Eau en agriculture : « pas de bonnes pratiques sans dialogue collectif »

L’eau en agriculture : quels sont les principaux défis ? Les bonnes pratiques déjà en place ? Les prochaines étapes politiques ? L’AREFLH a organisé une conférence sur le sujet le 1er février.

« Pas de nourriture sans sol et sans eau ». C’était le message de Pedro Narro du Comité des Régions (chargé de mission Climat, énergie et Green Deal à la Commission pour l'environnement, le changement climatique et l'énergie), lors de la matinée de l’AREFLH - Assemblée des Régions Européennes Fruitières, Légumières et Horticoles- sur l’utilisation de l’eau en agriculture, le 1er février à Bruxelles et en distanciel. 

Ayant lieu en pleine crise agricole européenne, le sujet de cette conférence était pourtant prévu depuis longtemps par l’AREFLH. Car comme l’a rappelé sa présidente Simona Caselli, la sécheresse en Espagne a causé plus de 80 % de pertes sur les fruits et les légumes. Juste après en Italie l’Emilie-Romagne a été inondée, la Grèce également. « L’eau est vraiment un problème majeur, sa gestion est très importante. On ne peut plus penser l’eau comme une ressource facilement accessible et gérable. C’est déjà un enjeu majeur », martèle-t-elle.

« Les agriculteurs qui manifestent demandent des solutions de long terme et des investissements, dans les infrastructures notamment, et une gestion régionale des politiques de l’eau », résume Pedro Narro.

 L'eau, priorité de l'UE : vers un Blue Deal de l'agriculture ?

« Il y a un fossé entre les investissements nécessaires et le budget, reconnaît Luca Perez, de la DG Environnement de la Commission européenne (chef d’unité adjoint pour la gestion durable de l’eau douce et en charge du suivi de l’initiative de l’UE pour la résilience de l’eau). Dans de nombreux Etats membres les infrastructures commencent à vieillir. Il faut les rénover mais aussi investir dans infrastructures respectueuse de la nature pour restaurer les cycles de l’eau. Il y a déjà des choses en place déjà mais pas assez, et on n’en voit pas encore les effets. Côté innovations, des solutions existent : technologies émergentes, numérisation, capteurs IA… Mais leur déploiement est loin de suffire pour avoir un impact de taille. »

 

Bonnes pratiques et innovations : quelques exemples concrets

« L’innovation, il en faut, il faut l’amener à Bruxelles, partager, montrer des solutions concrètes de meilleures pratiques. Il faut les montrer pour les répliquer et inspirer », appelle Pedro Narro. La conférence de l’AREFLH a justement été l’occasion de donner la parole à des témoins de bonnes pratiques. Tous ces projets montrent l’importance de collaborer entre le monde agricole, industriel, la recherche et les élus locaux.

 

  • Dans les Pays de la Loire, l’importance du dialogue

Rappelant que les politiques de l’eau doivent être menées à un niveau territorial pour prendre en compte les spécificités pédoclimatiques et la morphologie des territoires, la Région Pays de la Loire milite aussi pour des discussions, un dialogue. « La Région entraîne mais ne punit pas », résume Lydie Bernard, vice-Présidente de la région Pays de la Loire, intervenant à distance à la conférence.

Elle évoque ainsi le travail collectif réalisé sur le Sud-Vendée sur les 26 réserves de substitution, « des réserves d’eau bâchées, qui sont remplies en puisant dans la nappe phréatique quand celle-ci déborde, au lieu que les excès aillent à la mer. C’est cadré, sous arrêté préfectoral. Les agriculteurs paient une redevance pour utiliser l’eau des réserves. En Sud-Vendée, la profession agricole a pris l’engagement de réduire de 20 % ses quantités d’eau. Engagement tenu, aujourd’hui ils sont à 18 %. Les associations environnementales qui ont soutenu les projets sont plutôt satisfaites car les niveaux d’eau du Marais poitevin y ont augmenté de 1 mètre et on a donc retrouvé de la biodiversité. Et le particulier n’a plus son puits à sec car les agriculteurs ne pompent plus l’été. » 

Quels sont les besoins des territoires pour s’adapter au changement climatique ? Quelles solutions fournir ? Une enquête de 2021 (attention 2021, c’est-à-dire avant les événements climatiques de 2022 et 2013) de l’Association Climatologique de la Moyenne-Garonne a voulu connaître les attentes et les besoins des agriculteurs face aux aléas climatiques et l’adaptation au changement climatique. Elle était adressée aux agriculteurs du Lot-et-Garonne, de la Gironde, du Gers, du Lot, du Tarn-et-Garonne, de la Dordogne (294 répondants) mais aussi aux élus locaux (74 répondants). Les résultats montrent que les enjeux locaux ne sont pas tous évalué au même niveau par les élus et par les agriculteurs. « Il y a un manque de lien entre le monde agricole et le monde politique », souligne Julia James, de l’Association Climatologique de la Moyenne-Garonne. « 53 élus sur les 74 interrogés avouent avoir du mal à s’adapter aux aléas climatiques. Le financement et l’administratif sont lourds pour les petites communes. Il y a aussi un manque de données et de sensibilisation. Leurs données viennent de la presse et de stations météo pour ceux qui en sont équipés. Les élus souhaitent se positionner comme relais mais ni leur rôle ni l’échelle d’action ne sont clairement définis. »

 

  • En Italie, le système d’irrigation informatique Irriframe

En Italie, le service Irriframe est né d’Irrinet, système d’irrigation informatique visant à conseiller les agriculteurs sur une gestion efficace de l’eau.  Depuis 2012, Irriframe, l’ANBI (Association italienne des consortiums de d'irrigation et les Consorzi di Bonifica (consortiums de mise en valeur des terres en charge de distribuer l’eau aux exploitations agricoles) fournissent aux agriculteurs, sur le portail web Irriframe, toutes les informations nécessaires à une utilisation rationnelle et efficace de l'eau, afin de réaliser des économies d'eau substantielles tout en maintenant une productivité élevée, voire en l'améliorant. 

Parmi les informations disponibles: le moment précis de l'intervention d'irrigation et le volume d'eau, sur la base des données du bilan hydrique sol/plante/atmosphère et de la viabilité économique de l'intervention d'irrigation, la surveillance des nappes phréatiques, les besoins en eau des cultures calculés par Irrinet et l’automatisation de l'acheminement de l'eau en fonction des besoins en eau des cultures (à l'aide de vannes Smart), l’intégration de capteurs et station climatique privés, le logiciel de fertirrigation Fertirrinet, etc.

Irriframe fonctionne au niveau national depuis 2012, couvrant la plupart des zones irrigables italiennes, soit plus de 7 millions d'hectares gérés. Il est accessible aux agriculteurs gratuitement sur inscription suite à la saisie des données relatives à leur exploitation et cultures. 

Selon Gioele Chiari du CER (Canale Emiliano Romagnolo) en charge d’Irrinet, le recours à Irrinet permet une hausse de rendement en moyenne de +13 % et une baisse de l’eau de -27 %. Soit efficacité de l'utilisation de l'eau à +47 % (25 kg/m3 contre 17 kg/m3 pour un système traditionnel). « On doit vraiment changer nos objectifs et la manière dont on contrôle les agriculteurs. Il faut calculer la quantité d’eau dont les systèmes agricoles ont besoin et non de les baisser en pourcentage », a-t-il appelé.

 

  • En Andalousie, des outils d’aide à la décision adaptées aux cultures méditerranéennes

Reconnaissant une limitation importante des ressources en eau disponibles pour l'agriculture (sécheresse, concurrence avec d'autres secteurs), le manque de connaissances des cultures méditerranéennes, et le manque de formation dans le secteur agricole sur les bonnes pratiques de conservation de l'eau, le chercheur Ignacio Lorite de l’IFAPA (Institut de formation et de recherche en agriculture et pêche d'Andalousie) a néanmoins souligné les progrès réalisés en Andalousie dans la gestion de l’eau : développement de nouveaux outils de télédétection, promotion de l'utilisation des capteurs dans l'agriculture, outils d'aide à la décision adaptés aux cultures méditerranéennes, évaluation et promotion des stratégies d'irrigation déficitaire… 

Sur ces dernières, une stratégie d’irrigation déficitaire en amande a été un succès, avec une productivité doublée. « La réduction de l’apport en eau a effectivement causé une baisse de la récolte la première année puis on a vu une hausse de la résistance des arbres. Mais jusqu’à quel niveau la plante peut-elle résister à ce stress hydrique ? », souligne Ignacio Lorite.

Et afin d’anticiper les futurs besoins en eau des cultures dans les conditions climatiques futures (températures élevées, forte concentration de CO2), l’IFAPA dispose même de serres d’expérimentation reproduisant ces conditions météorologiques futures. Des modèles ont ainsi été développés pour l’olive (AdaptaOlive), qui est la première culture irriguée d’Andalousie (62,3 % des cultures irriguées en Andalousie sont de l’olive). 

Des outils d’aide à la décision adaptés aux cultures méditerranéennes sont aussi mis en place. Celui pour l’olive génère des programmes d'irrigation et de fertilisation pour différents systèmes d'oliveraies en fonction de l'allocation d'eau disponible, des conditions météorologiques et de plantation. Il compte actuellement plus de 5 000 utilisateurs. Celui pour l’amande, l’application App Riego Almendro, permet de créer des calendriers avec une irrigation déficitaire régulée et une stratégie d'irrigation de survie lorsque l'approvisionnement en eau est très limité. Il compte actuellement plus de 500 utilisateurs.

De nouveaux projets faisant appel à l'intelligence artificielle et aux nouvelles technologies (jumeaux numériques par exemple) sont actuellement en cours. « En Andalousie, nous avons été capables de créer des solutions. Mais les coopératives et organisations agricoles sont nécessaires pour relayer, car nous institut ne pouvons pas entrer en contact avec 20 000 agriculteurs », conclut Ignacio Lorite.

 

  • Dans les Flandres, des eaux d’irrigations fournies par le surgélateur Ardo

Aux Pays-Bas comme en Flandre, les agriculteurs recherchent activement des sources d'eau alternatives. L'eau est également indispensable à l'industrie, pour leurs processus. Après utilisation par l’industrie, l’eau est purifiée et rejetée dans les eaux de surface. L'objectif du programme F2AGRI est de rendre les eaux usées purifiées par l'industrie - autrement dit les effluents- disponibles sur les terres des agriculteurs et des horticulteurs. L'entreprise de transformation de légumes Ardo (Ardooie, Flandre) et la brasserie Bavaria (Lieshout, Pays-Bas) participent à ce projet. 

Légumes d’industrie : comment gérer l’eau, du champ à l’usine

Ardo va proposer ses effluents comme eau d'irrigation à la coopérative agricole INERO CVBA, qui compte 47 agriculteurs parmi ses membres. Pour ce faire, l'eau sera stockée dans un bassin d'une capacité de 150 000 m³ avant d'être distribuée grâce à 6 pompes de 600 m³/h  le long de 24 km de conduites souterraines sur environ 500 ha. Au total, 143 points de dérivation sont prévus. Les agriculteurs peuvent raccorder leur enrouleur à un point de prélèvement et commencer immédiatement à irriguer. Le réseau d'irrigation pourra fonctionner à haute pression et dans différents circuits. Les agriculteurs pourront irriguer dix parcelles simultanément. Les agriculteurs seront ainsi armés contre les sécheresses à venir.

« On note aujourd’hui une satisfaction des agriculteurs, souligne Sabien Pollet, d’Inagro. Ce projet, à plusieurs dizaines de millions d’euros, est financé pour moitié par l’UE, l’autre moitié de financements privés et de la région Flandres. Seuls, les agriculteurs n’auraient pas eu les moyens de mettre en place ces infrastructures. »

 

  • Aqua4D, une technologie avancée de traitement de l'eau 

L’entreprise suisse Aqua4D, qui va fêter ses 20 ans et la 8e génération de sa technologie, propose une technologie avancée de traitement de l’eau, afin d’améliorer l’efficacité de son utilisation et la gestion de la salinité des sols.

« On ne vend pas un produit mais on monte un projet avec l’agriculteur pour créer un système d’irrigation plus efficace », tient à souligner Javier Meyer d’Aqua4D. Il explique que l’entreprise travaille notamment avec les Amandes de Californie, pays où la réglementation pour la gestion de l’eau est « très stricte » et où l’on voit aussi des problèmes de salinisation des sols. « Alors que les Californiens observent une baisse de production à cause de la salinisation, sur notre projet le rendement est à +38 % et l’amélioration de l'humidité de +31,5 % ! »

Conscient que le financement est un point important, Aqua4D travaille avec des partenaires financiers. L’entreprise s’implique aussi dans la R&D avec les instituts de recherche. Pour les grandes cultures, Aqua4D rentre dans le programme cadre Horizon 2020, le programme de financement de la recherche et de l'innovation, ce qui va « nous permettre de réduire les coûts pour toucher les petits exploitants ».

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