A Taïwan, la culture du litchi se concentre désormais sur le marché intérieur
Sur les pentes montagneuses du sud de l’île de Taïwan, le litchi est cultivé de manière massive depuis un peu plus d’un siècle. Des exploitants s’adaptent à un marché versatile et complexe. Reportage entre monts et typhons. [Texte de Morgan Railane]
Sur les pentes montagneuses du sud de l’île de Taïwan, le litchi est cultivé de manière massive depuis un peu plus d’un siècle. Des exploitants s’adaptent à un marché versatile et complexe. Reportage entre monts et typhons. [Texte de Morgan Railane]
Si la Chine continentale reste le premier producteur mondial de litchis avec plus de 200 000 tonnes par an, Taïwan n’est pas très loin avec 130 000 tonnes (chiffres 2022). Dans le village de Hsin Tian, dans la province de Dashu (qui veut dire « grand arbre » en mandarin), la famille Jhen cultive cet arbre fruitier depuis plusieurs générations. « La légende dit qu’un prince, pour satisfaire sa femme préférée, dépensait des fortunes dans ces fruits. On les a appelés les litchis de jade : "Yuhebao" ; Yu pour "jade", Bao pour "entourée" », traduit Salomé, une amie de la famille exploitante.
« En Europe, nous sommes surtout habitués aux litchis rouges qui viennent de Madagascar », explique Camille Barthès, ancien responsable de production agricole en Chine chez Andros pendant douze ans. « En Chine, la variété la plus cultivée est le Black Leaf qui est plus goûteux. » À Taïwan, le « Haak Yip », le nom local du Black Leaf, représente 80 % du total des litchis cultivés sur les reliefs pentus du centre et du sud de l’île. Cette variété s’est imposée selon les lois des marchés.
Une culture exigeante
Madame Wong Jhen, productrice, a connu cette évolution. « La variété qu’on cultive est là depuis vingt-trois ans, se souvient-elle. Elle est mieux payée, mais elle est plus fragile et plus difficile à cultiver. On a coupé les anciennes variétés qui sont plus petites, avec un noyau plus gros, mais plus résistantes. Le goût est plus concentré, plus "croustillant". J’ai juste gardé quelques arbres ». Pour obtenir cette qualité, la récolte doit être rapide pour éviter des pertes conséquentes : trois jours au maximum doivent séparer la cueillette de l’assiette. La saison s’échelonne entre mai et août. « Mais, avec le changement climatique, la récolte devient plus précoce. Les altitudes des plantations ont aussi un impact », explique madame Wong Jhen Jin Chun.
« L’arbre pousse lentement, cinq ou six ans avant de donner des fruits. Mes arbres les plus vieux ont cinquante ans. Certains sont aussi grands que trois étages de maison. Ils n’ont pas été taillés ». En général, on compte une centaine d’arbres par hectare : un spécimen d’une vingtaine d’années produit environ 140 kg de fruits. La récolte peut s’élever jusqu’à 200 kg pour des arbres matures. Au sol, la terre est cuivrée et granuleuse. La coupe des branches feuillues qui tombent au pied des arbres fournit l’humus nécessaire. La culture reçoit les pluies régulières du sud, mais reste protégée par les monts. Certaines parcelles prennent pourtant le vent, car les typhons sont de plus en plus nombreux dans la région.
Main-d’œuvre et travailleurs immigrés
Fière de ses arbres, madame Wong Jhen cultive ses deux « gian » (hectares) depuis trente-trois ans. Elle a repris l’exploitation de son mari, qu’elle gère avec ses deux frères Jhen Guei-Lian et Jhen Syue-You. Et tous sont désormais âgés, preuve d’un territoire vieillissant et d’un métier qui peine à attirer les jeunes. D’ailleurs, les trois enfants de madame Wong Jhen Jin-Chun – une fille et deux fils – travaillent dans d’autres secteurs d’activité.
« Il n’y a des recettes que pendant trois mois dans l’année. Même les immigrés vietnamiens ou philippins viennent ici moins longtemps pour travailler ou pour plus cher. Il n’y a pas de jeunes Taïwanais dans les champs », souffle madame Wong Jhen. Ses demandes de personnels ne sont désormais plus satisfaites par le gouvernement qui gère les flux de travailleurs étrangers. De nombreuses exploitations ne seront pas transmises dans les prochaines années.
Retour sur le marché interne
Sa fille Lina se plaint de la situation : « Cette année, on a fait 20 % de ce qu’on faisait l’an dernier, à cause du climat et des punaises arrivées il y a huit ans ». Mais les insectes ne sont pas le seul souci des producteurs taïwanais : la concurrence de Hainan, la presqu’île chinoise voisine, pèse. « Avant, on exportait. Mais toutes les commandes sont parties là-bas », regrette l’exploitante. « À Taïwan, on produit moins et un peu plus tard que les autres », raconte-t-elle encore. Désormais, la production doit donc s’écouler localement. D’autant qu’on transforme peu le litchi. Il est parfois séché, mais cela coûte très cher. Un boulanger local a fait du pain au litchi ; le fruit peut aussi servir dans des liqueurs avec du longam. Mais l’essentiel de sa consommation se fait en frais et sa commercialisation s’effectue désormais presque exclusivement dans l’île.
Après avoir pratiqué la vente au détail sur le bord des routes, Wong Jhen approvisionne des grossistes. « Mais ils cassent les prix, proteste sa fille, esthéticienne. Cette année, nous avons mis une partie de la production sur ma page Instagram. Cela a tourné assez vite et nous avions des transporteurs pour livrer. Le gouvernement a aussi mis en place une chaîne logistique avec les services postaux qui achètent à un prix fixe. C’est un circuit court qui casse la spéculation des grossistes. Cela a bien marché avec des prix de l’ordre de 100 DNT (nouveau dollar taïwanais) par Gin (600 grammes) ! Parfois 120… ». Soit 5 à 7 € le kilogramme.
La punaise puante du litchi
La punaise puante du litchi mesure trois centimètres de long. Son aire de prédation s’étend entre le Pakistan et l’Australie. Pour l’éradiquer, les frères de madame Jhen appliquent un insecticide « assez classique. C’est un acétamipride qui s’applique sur d’autres cultures aussi », explique Camille Barthés, ancien responsable de production agricole en Chine chez Andros pendant douze ans. Les frères de Madame Jhen ont pourtant été intoxiqués, probablement par erreur de manipulation, car cet insecticide est toxique à faible dose. Dans ses champs, la cultivatrice porte un masque, mais précise : « Ce produit est allégé. On a un comité des producteurs qui suit les directives du gouvernement et qui fait des contrôles aléatoires ».
Le gouvernement taïwanais assure en partie les récoltes selon la taille de l’exploitation et le nombre de personnes qui en vivent et qui sont, en sus, exonérées de taxes. Cultiver bio ? « Ce n’est pas possible à 100 %. On met une mini-dose de produit. De toute façon, si on ne le fait pas, les arbres meurent. Les envelopper pour éviter les insectes est impossible vu la taille des arbres. L’ancienne variété, elle, résistait », soupire l’exploitante. Elle conserve toutefois une recette naturelle : « on met des engrais bio avec des enzymes quand le fruit arrive. C’est à base de soja haché. Cela me coûte 1 500 DNT (nouveau dollar taïwanais) par an », détaille-t-elle, soit environ 45 €.
L’alternative dangereuse de l’ananas
Dans un contexte de marché difficile pour le litchi, dans les champs, l’ananas prolifère avec une croissance rapide et grâce à une culture qui ne nécessite que peu de travail manuel en dehors de la récolte. S’il tend à remplacer le litchi, son développement pose de sérieuses questions environnementales. « L’ananas ne retient pas l’eau et les pluies ravinent le long de ces cultures. Un arbre à litchis retient une tonne d’eau et ses racines profondes tiennent la montagne », explique madame Jhen. Son exploitation est contiguë d’un temple bouddhiste qui empiète au fil des années sur les cultures. Mais Wong Jhen ne partira pas : « Je dois entretenir la montagne. Sinon tout va partir avec les pluies et les typhons. ».
En chiffres
11 000 ha de litchis dans l’île
4 600 ha dans le centre de Taïwan
30 000 à 32 000 tonnes produites par an
6 ans avant mise à fruits
30 ans pour la pleine production
200 kg/arbre/an