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A Medfel, le changement climatique est une réalité à laquelle il faut s’adapter

Un panel de représentants de la filière fruits et légumes est venu témoigner sur le salon Medfel de la réalité du changement climatique. Face à cela, nos filières ont déjà démarré une transition, celle de la diversification de culture, surtout dans le Grand Sud de la France et en Corse.

Face au changement climatique, quelles diversifications possibles ? A Medfel cette année, Tristan Margalet (Greype France), Benoît Dufaÿ (France Pistache), Yannick Chevrier (coop La Tour), Mathieu Donati (Agrucorse) et Stéphane Durand (Biocoop) en ont débattu ; de gauche à droite. Animé par Florence Rabut (au centre).
© Julia Commandeur

Salle comble pour la conférence de Medfel 2024 sur le changement climatique et les diversifications possibles pour la filière fruits et légumes. Et pourtant, elle était la dernière de la journée, dans un contexte de grève des contrôleurs aériens et de trains complets. Il faut dire que le sujet est d’importance.

Lire aussi : Changement climatique : pour Serge Zaka, « il faut sortir de la stratégie de pansement avec une vraie diversification fruitière »

« Ce qu’on observe nous, Biocoop, sur les fruits et légumes, c’est une hausse des incidents climatiques qui ont des incidences, économiques notamment, assez fortes sur les producteurs de nos groupements, et donc l’incertitude », témoigne Stéphane Durand, directeur chez Biocoop. La coopérative fait face en diversifiant ses sourcings, au-delà de ses six groupements de producteurs qui restent néanmoins prioritaires.

 

En Corse, le clémentinier ne souffre plus du gel

Mathieu Donati, producteur d’agrumes en Corse et directeur d’Agrucorse confirme : « La Corse est un peu la sentinelle de ce qui se passe en termes de changement climatique. On observe un glissement des productions vers le Nord. Ce qu’on voit arriver chez nous aujourd’hui sera demain chez vous ! »

La culture commerciale d’agrumes a été introduite en Corse dans les années 60 et a vu un développement rapide, jusqu’à 3 000 ha. Mais le gel a causé une baisse des surfaces (1 000 ha) car à -5°C, le clémentinier meurt. Les producteurs ont fait le choix de zones de production plus proches de la mer.

« Avec les changements climatiques les surfaces sont remontées à 2 000 ha et nous n’avons plus de souci de gel. Nous sommes dans une limite Nord pour l’aire géographique de l’agrume, qui arrivera dans le sud de la France. La floraison a lieu plus 2-3 mois plus tard que le Maroc et autres producteurs majeurs de la Méditerranée mais les fruits arrivent en même temps. Ça ouvre d’énormes perspectives, la Corse demain sera peut-être la capitale méditerranéenne de l’agrume ! »

 

Prendre le virage de la diversification

François Gemenne, l’un des co-auteurs du 6e rapport du GIEC,  a exhorté le monde agricole à « ne pas traiter le changement climatique comme une crise », puisqu’il va « s’installer sur toute la durée du siècle ». « Il y a urgence à se projeter sur le climat de sa région à l’avenir, à adapter certains modèles agricoles et types de cultures qui vont permettre d’économiser l’eau et de garantir une production pérenne », conclut-t-il. 

Nos filières fruits et légumes ont déjà démarré une transition, celle de la diversification de culture, surtout dans le Grand Sud de la France et en Corse. De nouvelles plantations s’installent, de nouvelles espèces sont testées. Il n’est ici pas question d’opportunisme. Il faut construire des filières rentables et performantes.

Lire aussi : Changement climatique : des producteurs ont déjà pris le virage de la diversification

 

Bientôt une clémentine du Roussillon ?

La coopérative bio Coop La Tour dans les Pyrénées-Orientales a démarré la diversification bien avant que les incidents liés au changement climatique soient autant médiatisés. Le département souffre de problèmes de sécheresse et de chaleur estivale, ce qui influe négativement sur la qualité des fruits. Également confrontés au problème de la sharka en pêcher, les producteurs roussillonnais ont fait le choix de tester d’autres cultures pour rentabiliser leur outil coopératif.

« Il y a un enjeu de maintenir les productions actuelles car les producteurs le font bien, tout en faisait des choix de diversifications d’espèces adaptées aussi bien au climat qu’au commerce », affirme Yannick Chevrier, directeur chez Coop La Tour.

Lire aussi : Face à la sécheresse, comment l'agriculture des Pyrénées-Orientales envisage sa gestion de l'eau ? (février 2024)

« Nous avons réalisé plusieurs tests. La pomme : bof. Le kaki et la grenade : très bof. Mais la clémentine, qui est une espèce déjà installée dans le paysage commercial français, nous semble intéressante. » Si la clémentine est déjà bien connue en Corse, il y avait une méconnaissance agronomique chez les producteurs du Roussillon, en particulier des contraintes agronomiques. 

« On a commencé à planter il y a 5 -6 ans. A l’époque on n’avait pas les problèmes d’eau actuels en tête. Est-ce que les clémentiniers vont tenir à long terme ? L’année dernière, les vergers n’ont pas été arrosés et nous avons eu la bonne surprise de constater que le clémentinier est résilient, bien que les fruits ont eu des problèmes de tenue ensuite », témoigne Yannick Chevrier.

Dans le Roussillon, les clémentiniers semblent montrer une bonne résilience au manque d’eau, même si les fruits peuvent présenter des problèmes de tenue.

Un peu plus de 10 hectares de clémentiniers ont été plantés en bio par la coopérative. Cette année, les vergers seront en production avec peut-être entre 100 et 150 tonnes récoltées en bio et de nouvelles surfaces seront plantées. « Avec nos partenaires Biocoop nous voulons construire la filière de la clémentine du Roussillon en termes de conditionnement, de calibre etc. Il faut segmenter le marché pour lui faire sa place sans prendre celle de la clémentine de Corse. »

 

En Corse aussi, on teste de nouvelles cultures et des porte-greffes résistants

En Corse aussi, outre un gros travail sur la question de l’eau (réseautage des infrastructures hydrauliques avec les collectivités de l’eau, niveau d’irrigation des arbres, etc.), les producteurs s’attèlent à tester de nouvelles cultures. Biocoop a d’ailleurs rappelé qu’il avait commencé la commercialisation de l’avocat corse bio cette année.

Mais la diversification se porte avant tout vers les agrumes. « On a évalué toutes les espèces d’agrumes par rapport à leur consommation d’eau, étant donné que les contraintes de température ne nous inquiètent pas », explique Mathieu Donati.

Ainsi la Corse mise sur le citron et l’orange, des cultures ancestrales sur l’Île de Beauté et pour lesquelles des demandes d’IGP sont en cours (la clémentine et le pomelo de Corse sont déjà IGP). « Et plus récemment, nous avons testé une mandarine très améliorée dont les fruits arrivent en février-mars, sans pépin et facile à éplucher comme la clémentine et qui a le goût exceptionnel de la mandarine », glisse Mathieu Donati.

Lire aussi : La Corse veut ses IGP en citron et en orange

Pour ce spécialiste des agrumes, l’adaptation au changement climatique passe donc par la diversification variétale et d’espèce mais aussi par la recherche sur les porte-greffes. Les maladies et ravageurs sont aussi une composante du changement climatique. Objectif : trouver des porte-greffes résistants au HLB (Huanglongbing, maladie du greening des agrumes). « Aujourd’hui nous avons de bonnes pistes », estime-t-il.

Enfin, il prône un changement dans l’usage des fruits. Il y a 5 mois a été ouvert l’usine de transformation industrielle des fruits corses en jus de fruits, huiles essentielles et autres pour valoriser tous les fruits même avec des défauts d’aspect : L’Atelier Corse Fruits & Légumes, dont FLD vous avez rapporté l’avancées des travaux fin 2022.

 

Exemple d’une nouvelle culture en France : la pistache

La pistache, c’est le symbole de l’adaptation au changement climatique en arboriculture. Tout le monde en parle et pour cause : faibles besoins en eau et capacité à pousser à peu près partout, y compris dans des friches caillouteuses et desséchées. « La pistache profite du changement climatique, observe Benoit Dufaÿ, chargé de mission à France Pistache, syndicat de producteurs. On retrouve aujourd’hui les conditions pour cultiver la pistache sur le bassin méditerranéen français. »

Comme le rappelle Benoit Dufaÿ, la pistache vient des hauts plateaux d’Iran où le climat est chaud mais avec des hivers très froids. « Le pistachier peut donc résister à des -15°C et ses besoins en eau sont limités. »

La filière de la pistache française a pris naissance en Paca en 2018, des producteurs et des artisans confiseurs et nougatiers, face au constat d’un marché dynamique avec une balance négative, un besoin de diversification pour les producteurs et d’une nécessité d’adaptation climatique. Aujourd’hui on compte 450 ha de pistachier en France, de la région Paca à l’Occitanie en passant par la Corse. Mais les vergers ne sont pas encore en production : la durée de mise à fruit du pistachier est de 6 ans, celle du “rythme de croisière” de 10 ans. 

« Aujourd’hui nous avons du recul sur la tenue des arbres. Pour les fruits, 30 kg ont été récoltés l’année dernière et avec la montée des volumes nous allons pouvoir tester et nous faire la main sur la transformation. Nous espérons ainsi avoir de la pistache française sur le marché d’ici deux-trois ans », déroule Benoit Dufaÿ.

« La pistache n’est pas difficile à cultiver. Mais il y a un enjeu pour installer des unités de 1ère transformation chez les producteurs » - Benoit Dufaÿ, France Pistache

« La pistache n’est pas difficile à cultiver ; la problématique c’est le post-récolte avec un délai très court de deux jours pour éplucher et sécher la pistache. Il y  a un enjeu pour installer des unités de première transformation chez les producteurs et ensuite des casseries plus grandes pour industrialiser les volumes. »

Deux marchés pour la pistache : le snacking (pistache transformée) et les artisans confiseurs nougatiers et chocolatiers (pistache non transformée). Ces acheteurs, « premium », permettront aux producteurs de « se faire la main » en termes d’exigences pour pouvoir plus tard toucher d’autres acheteurs. Des échantillons des premières récoltes leur seront donc envoyés. Enfin, Benoit Dufaÿ ne cache pas la possibilité pour France Pistache d’évoluer en interprofession avec la mise en place de contractualisations.

 

Faire de l’origine France pour s’affranchir du changement climatique ?

Greype France est une société d’import-export basée sur Saint-Charles à Perpignan. Elle commercialise des fruits et légumes d’Espagne et du Portugal. « Mais face à la montée de la demande de l’origine France chez les distributeurs et une attente des consommateurs, on se lance nous aussi en production », précise Tristan Margalet, président-directeur général de Greype France. Face à la sharka sur les fruits à noyau et les considérations climatiques, c’est l’agrume qui a été choisi, avec une dizaine d’hectares plantés. 

« Nous n’en sommes qu’au début, à la phase d’essais en production, nuance Tristan MargaletIl va falloir 15 ans avant d’avoir une vraie filière. Donc le volet commercialisation, on en discute avec les clients, pour voir leur positionnement, mais de loin. »

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