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Engrais/Grandes cultures : des inhibiteurs d’uréase pour réduire la volatilisation de l’ammoniac

Les engrais avec inhibiteurs d’uréase constituent une des solutions pour réduire les pertes d’azote par volatilisation de l’ammoniac. Mais le profil environnemental de ces inhibiteurs pose question.

Avec de premiers produits commercialisés en 2012, les engrais uréiques avec inhibiteurs d’uréase sont relativement récents en France. « Leur utilisation s’est développée et a atteint 185 000 tonnes sur la dernière campagne, ce qui correspond à 18 % de l’urée utilisée en France », précise Philippe Eveillard, Unifa(1). Intérêt de ces fertilisants : la réduction des pertes d’azote par volatilisation ammoniacale au moment de l’épandage qui touche l’urée plus que les autres engrais azotés. « Dans le réseau d’expérimentation EvaMin mené entre 2016 et 2018, nous avons enregistré une augmentation moyenne de volatilisation de 11,5 % d’azote avec l’urée par rapport à l’ammonitrate, et de 5,6 % pour la solution azotée », expose Mathilde Lejards, ingénieur régionale à Arvalis spécialisée sur la fertilisation azotée. Si la majorité des pertes d’azote strictes se situent entre 0 et 15 % avec l’urée selon les essais EvaMin, elles peuvent dépasser les 30 % dans certaines conditions.

Les inhibiteurs d’uréase freinent la transformation de l’urée en ammonium, laissant plus de temps à l’azote uréique de s’infiltrer dans le sol, ce qui réduit par là même les pics d’ammoniac. La molécule la plus utilisée parmi ces inhibiteurs est le NBPT(2). « Les engrais avec NBPT donnent des résultats équivalents à l’ammonitrate dans la réduction des pertes par volatilisation », signifie Mathilde Lejards. Leur coût d’achat est généralement intermédiaire entre celui de l’urée et de l’ammonitrate.

De bons résultats sur le taux de protéine et le rendement des blés

Outre les tests sur la volatilisation, l’impact de ces engrais a été mesuré sur la production du blé tendre. « Les effets sont positifs sur le rendement, notamment en sols calcaires, résume Mathilde Lejards. Sur le taux de protéines, il n’y a pas de différence significative par rapport à l’ammonitrate mais il se dégage une petite différence avec l’urée en faveur des engrais avec inhibiteurs d’uréase. » (Voir tableau.) « Les sols calcaires sont les conditions où l’on voit le plus d’intérêt à utiliser ces engrais car le pH élevé de ces sols favorise les pertes d’azote par volatilisation », ajoute Grégory Véricel, ingénieur recherche et développement sur la fertilisation à Arvalis.

Sur maïs où l’utilisation de l’urée est fréquente, les essais d’Arvalis mettent en évidence un effet moindre sur le rendement des engrais avec inhibiteurs d’uréase, si ce n’est dans les conditions où la valorisation des engrais azotés n’est pas optimale (sécheresse, vent…).

Les inhibiteurs d’uréase arrivent à point nommé pour réduire les émissions d’ammoniac, un gaz considéré comme un polluant car il est précurseur de microparticules dans l’air. Il émane essentiellement de l’agriculture où la fertilisation minérale pèse pour un tiers dans ses émissions. Les inhibiteurs d’uréase font partie des solutions mises en avant dans l’officiel Guide de bonnes pratiques agricoles pour l’amélioration de la qualité de l’air. Mais ce conseil est assorti d’une réserve : « Dans son rapport de mars 2019 sur l’évaluation de l’utilisation des inhibiteurs d’uréase, l’Anses(3) indique que les données disponibles sont insuffisantes […] pour conclure à l’absence d’effet nocif sur la santé et l’environnement. »

Des additifs qui attendent toujours d’être homologués

« Le NBPT est classé comme reprotoxique dans Reach(4) », indique Philippe Eveillard. Par ailleurs, des additifs liquides à base d’inhibiteurs d’uréase attendent encore leur autorisation de mise en marché de l’Anses, à cause de « données manquantes » sur l’exposition de l’opérateur, du consommateur ou encore le comportement dans l’environnement. Ces additifs ont vocation à être ajoutés à la solution azotée juste avant application pour réduire les pertes d’azote par volatilisation. Plusieurs engrais uréiques avec inhibiteurs d’uréase se sont succédé les années qui ont suivi 2012 (Nexen, Utec, Novius, Limus + urée) mais aucun n’a été autorisé depuis 2016 en France.

Les informations de Reach et les avis de l’Anses jettent le trouble sur l’innocuité des inhibiteurs d’uréase. Mais d’ici l’entrée en vigueur en 2022 de la nouvelle réglementation européenne sur les fertilisants en France, les engrais uréiques avec inhibiteurs d’uréase déjà commercialisés ne devraient pas être remis en question.

(1) Union nationale des industries de la fertilisation.
(2) N- (n-butyl) thiophosphorique triamide.
(3) Agence nationale de sécurité de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
(4) Règlement européen sur les substances chimiques.

D’autres formes réduisent les pertes par volatilisation

Il existe d’autres formes d’engrais pour réduire les pertes d’azote par volatilisation.

CoteN et Agrocote Max sont des engrais à base d’urée enrobés de polymère pour une libération progressive de l’azote. Testés par Arvalis sur maïs, ces engrais ne montraient pas de résultats probants sur le rendement final comparés à de simples applications d’urée malgré la réduction de volatilisation avérée.

Nutrisphere N est un additif pour les engrais uréiques validé par l’Anses. Il agit en créant un micro-environnement chargé négativement autour de l'engrais, amenant à une réduction de volatilisation. « Le produit a donné des résultats décevants sur le rendement et le taux de protéines du blé, sans différence significative avec d’autres engrais, remarque Grégory Véricel, d’Arvalis. Mais ces résultats ne portent que sur une première année d'expérimentation et ils nécessitent d'être confirmés. » Les vendeurs de Nutrisphere N mettent en avant son bon profil environnemental.

D’autres engrais avec réduction de perte d’azote par volatilisation sont à l’essai.

Les objectifs de réduction d’ammoniac ne seront pas atteints

Pour chaque État membre de l’UE, la directive NEC a fixé des objectifs de réduction d’émissions de polluants atmosphériques, parmi lesquels l’ammoniac. Elle a débouché en France sur le Plan de réduction des émissions de polluants atmosphériques (Prepa) avec un Guide de bonnes pratiques agricoles pour l’amélioration de la qualité de l’air édité début 2019. Aucune mesure obligatoire pour la réduction des émissions d’ammoniac agricole (dont deux tiers viennent de l’élevage) n’a été prise alors que dans un pays comme l’Allemagne, les engrais uréiques font l’objet de contraintes d’utilisation. En France, l’objectif de réduction de 4 % d’ammoniac a été fixé pour 2020 (comparé à 2005). Pour le moment, c’est une hausse de 3 % qui a été enregistrée. L’objectif ne sera pas atteint mais aucune mesure n’est programmée pour corriger le tir.

Avis d'expert : Kevin Larrue, ingénieur au service agronomie de la coopérative Océalia, Poitou-Charentes

« Un hectare sur cinq reçoit des engrais avec inhibiteurs d’uréase »

« En cinq ans, nous avons mené beaucoup d’essais sur les engrais uréiques avec inhibiteurs d’uréase. Les résultats se sont révélés excellents sur les blés et les maïs, avec une constance assez remarquable par rapport à l’urée et aussi l’ammonitrate. Les premières utilisations de ce type d’engrais chez les agriculteurs existent depuis quatre ans et notre coopérative propose des solutions Novius, surtout. L’imprégnation de l’urée avec cette solution s’effectue au port de la Pallice (La Rochelle), à destination de plusieurs structures de développement. Actuellement, ce type d’engrais est utilisé sur un hectare sur cinq dans notre région et cela progresse. Sur céréales, ils sont positionnés plutôt en deuxième apport à 'épi 1 cm' ou au troisième à 'dernière feuille étalée'. Sur maïs, c’est sur les deux apports d’engrais azotés ou le second seulement. Ces engrais montrent leur intérêt surtout dans les conditions qui mettent en défaut l’urée quand il y a volatilisation de l’ammoniac : vent, conditions sèches après l’apport, températures douces, sols calcaires… autant de conditions que l’on peut connaître assez souvent en Poitou-Charentes. Le prix des engrais avec inhibiteurs d’uréase est intermédiaire entre celui des urées et de l’ammonitrate. Avec ces engrais, on prend une assurance sur le rendement et la qualité de nos productions quand les conditions météorologiques sont défavorables. Le taux de protéines en blé est très important pour nous avec plus de la moitié des blés Océalia qui partent à l’export. »

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