Fertilisation des céréales : de nouvelles méthodes pour piloter l’apport d’azote en temps réel
Les chercheurs de l’Inra et d’Arvalis ont mis au point une méthode de calcul des besoins en azote du blé qui s’exonère du reliquat sortie hiver et du calcul d’un objectif de rendement. Bon pour l’environnement et pour l’économie des exploitations.
Les chercheurs de l’Inra et d’Arvalis ont mis au point une méthode de calcul des besoins en azote du blé qui s’exonère du reliquat sortie hiver et du calcul d’un objectif de rendement. Bon pour l’environnement et pour l’économie des exploitations.
La méthode du bilan est-elle dépassée ? Les ingénieurs d’Arvalis et de l’Inra ont mis au point une nouvelle méthode de pilotage de l’azote sur blé — dit pilotage intégral — qui s’appuie sur l’état de sa nutrition azotée en temps réel. Le calcul d’un indice de nutrition azoté (INN) et la prise en compte d’une série de facteurs (variété, climat, sol…) permettent d’identifier le moment où une carence en azote induit une réduction de production par rapport au potentiel. Cet indice est connu : c’est celui qui a été utilisé pour la méthode Jubil, qui détermine l’utilité d’un troisième apport courant montaison.
Si la méthode du bilan reste scientifiquement fiable, elle affiche des limites : il est fréquent de voir des apports réalisés avant le stade recommandé, à des périodes ou l’azote est très mal valorisé par la plante. Il arrive aussi que pour obtenir une teneur en protéines des grains aux normes, on augmente la dose, sans qu’elle soit davantage valorisée. Résultat : la pollution issue de la fertilisation azotée ne diminue pas. Pire, dans certaines régions, le nombre de captages dont la teneur en nitrates dépasse la norme de 50 mg/l progresse et l’immense majorité du protoxyde d’azote émis en France - 87 % - reste imputable à l’agriculture.
Plus fine et plus puissante, cette méthode intégrale promet d’améliorer nettement l’ajustement des apports en fonction des besoins. « Les repères des agriculteurs vont changer », avertit Marie-Hélène Jeuffroy, directrice de recherche à l’Inra. Ainsi, la méthode intégrale peut recommander d’attendre plusieurs semaines avant de réaliser le premier apport d’azote et de patienter encore avant un deuxième passage. Autre avantage attendu : une baisse de la dose totale à rendement constant et une amélioration des teneurs en protéine du grain.
Une méthode qui permet d'exprimer tout le potentiel de la culture
« Cette méthode de pilotage permet de s’adapter à chaque contexte, en fonction de l’année et de la parcelle et d’anticiper les périodes sans pluie », complète Baptiste Soenen, ingénieur chez Arvalis et responsable du projet. « Elle est plus performante sur la production et la réduction des pertes d'azote. Elle va permettre de s’exonérer du calcul de l’objectif de rendement », complète Christine Le Souder, ingénieur spécialiste de la fertilisation chez Arvalis. La méthode intégrale permet d’exprimer tout le potentiel de la culture quand la méthode du bilan s’appuie sur un rendement olympique (1) qui minimise le potentiel.
Après avoir élaboré conjointement la méthode, Arvalis et l’Inra ont chacun développé un outil différent : Arvalis a bâti un outil informatique basé sur des modèles. Baptisé CHN Conduite, il propose un conseil adapté à chaque parcelle, chaque type de sol, chaque variété et prend en compte des données météo locales. L’outil est complexe mais les résultats sont prometteurs. « Pour la campagne 2016-2017, les essais préconisaient en moyenne une réduction des doses de 33 kg N/ha à l’optimum, sans perte de rendement en moyenne », révèle Baptiste Soenen. Les résultats de la campagne 2017-2018 ont été plus hétérogènes, avec des rendements parfois déplafonnés mais aussi des pertes.
Dans certaines régions, l’outil marche bien mais dans d’autres, il est mis en défaut. « Tous les contextes pédoclimatiques ne peuvent tolérer le même niveau de carence azotée en début de cycle », explique l’agronome. Si elle est trop prononcée, la carence impacte le nombre d’épis/m2 et le potentiel de rendement. « Nous travaillons sur la contextualisation de la dynamique d’INN minimum », précise Baptiste Soenen. Le lancement de CHN Conduite est annoncé pour 2022.
L’outil de l’Inra, baptisé APPI-N, est moins complexe. Sa conception a pris en compte l’avis d’agriculteurs, qui le testent déjà. Le suivi de l’INN est assuré par des mesures au champ, à l’aide de pinces N-Tester. Les essais et les suivis de groupes continuent pour consolider l’outil. Malgré des erreurs d’estimation d’INN, les résultats sont encourageants : l’outil génère une économie d’engrais de 30 et 40 euros/ha et un décalage de la date du premier apport jusqu’à 40 jours. Au printemps prochain, les chercheurs testeront l’intérêt des images satellites Sentinel.
Un développement lourd et coûteux, peu aidé par les pouvoirs publics
L’enjeu est de taille pour le secteur des grandes cultures. Preuve de l’intérêt du sujet, de très nombreux partenaires participent à ces projets : instituts, chambres d’agriculture, ceta, coopératives, négoces. « C’est du jamais vu depuis les années 90 », se félicite Baptiste Soenen pour CHN Conduite. « Nous réunissons plus de 200 essais en France et 60 partenaires, ce qui nous permet de couvrir quasiment tous les contextes pédoclimatiques de blé tendre et blé dur en France. » Même chose à l’Inra, qui recense de nombreuses sollicitations, notamment autour des aires d’alimentation de captage.
Reste un gros bémol. Si ces outils limitent les dommages environnementaux de l’agriculture et améliorent la qualité des productions, leur développement, lourd et coûteux, ne bénéficie d’aucun financement de la part des pouvoirs publics. « Nous avons déposé deux dossiers de financement au Casdar et nous avons essuyé deux refus. C’est incompréhensible », lâche Marie-Hélène Jeuffroy. Ce fonds, issu d’une taxe sur le chiffre d’affaires des exploitations agricoles, est pourtant censé accompagner le développement de l’innovation en agriculture. Dès lors, ces deux outils seront vraisemblablement payants. Pour en connaître le prix, rendez-vous dans deux ans !
La méthode du bilan, encore incontournable
Si l’utilisation d’autres méthodes que la méthode du bilan prévisionnel est possible, le calcul des doses d’azote par cette méthode est obligatoire depuis 2015. Toutes les exploitations agricoles situées en zones vulnérables par la directive Nitrates sont concernées. Les textes d’application varient selon les régions mais la plupart encadrent aussi les volumes apportés par apport et tous encadrent les dates d’épandage. Des reliquats sortie hiver doivent être réalisés, souvent à raison d’un par culture. Les calculs de doses doivent être effectués au plus tard le 15 mai et compilés dans un cahier d’épandage. Les contrôles in situ sont une réalité.
La région Centre aux avant-postes
APPI-N et CHN Conduite sont testés en région Centre-Val de Loire depuis 2017 dans le cadre d’un projet européen baptisé SolinAZO, financé par la Région et l’Europe. Les essais permettent de comparer une modalité fertilisée selon la méthode du bilan à une modalité fertilisée selon les nouvelles méthodes, avec des résultats prometteurs. Dans neuf essais, la méthode APPI-N a conduit à un retard moyen du premier apport de 16 jours et une diminution moyenne de la dose totale de 33 kg/ha par rapport au bilan, sans changement significatif du rendement, de la teneur en protéines des grains et du CAU. Sur trois essais, une augmentation de la dose par rapport à la méthode du bilan a permis une augmentation du rendement de 4,5 q/ha en moyenne, tout en majorant le taux de protéine des grains de quasiment un point. SolinAZO s’achèvera en 2021.