Elodie et Julien Bahuon de la Ferme Saint Eloi : « Nos animaux, c’est ce qu’on préfère filmer »
Julien et Elodie Bahuon sont éleveurs bovins dans le sud de la Bretagne, en agriculture biologique. En mars 2021, ils ont créé leur chaîne YouTube pour partager leur métier au quotidien. Ils sont également présents sur Facebook et Instagram. Malgré un emploi du temps chargé, ils arrivent à tenir la cadence sur les réseaux sociaux et ont désormais des abonnés fidèles.
Julien et Elodie Bahuon sont éleveurs bovins dans le sud de la Bretagne, en agriculture biologique. En mars 2021, ils ont créé leur chaîne YouTube pour partager leur métier au quotidien. Ils sont également présents sur Facebook et Instagram. Malgré un emploi du temps chargé, ils arrivent à tenir la cadence sur les réseaux sociaux et ont désormais des abonnés fidèles.
Elodie et Julien Bahuon sont éleveurs à Sulniac dans le Morbihan, en production biologique. Monsieur a démarré en 2016 avec un élevage allaitant et un élevage porcin. Madame a rejoint la ferme de Saint Eloi en 2019 avec la reprise de l’élevage laitier voisin. Tous deux ont connu le milieu agricole chez leurs grands-parents mais ils se sont installés hors cadre familial. Avant de devenir agriculteur, Julien a travaillé 15 ans dans un élevage porcin et Elodie était dans la vente de fleurs.
Aujourd’hui, la ferme de 120 ha est en grande majorité consacrée à l’herbe. Ils cultivent également 10 ha de maïs fourrage et 10 ha de méteil grain. Les 50 vaches laitières sont principalement des Holstein’s mais le troupeau se compose aussi de Normandes, Pies rouges et Jersiaises. Le cheptel bovin compte également une trentaine de vaches allaitantes de race Limousine. Après quelques années dans la profession, « on ne nous prend plus pour des rigolos » observe Julien. Quand ils parlent de leur métier, ils insistent sur le bien-être animal qui pour eux est une réalité au quotidien. Ils pratiquent la méthode Souvignet avec les Limousines et peuvent aujourd’hui caresser leurs bêtes. Pourtant au début, elles étaient « sauvages », « fuyantes », se rappelle Julien. A la maison, trois enfants encore jeunes remplissent aussi les journées. Cela n’empêche pas le couple, depuis près de deux ans, d’être présent sur les réseaux sociaux pour parler de leur quotidien d’éleveurs.
Sans mise en scène, ils partagent ce métier qui leur tient très à cœur. Sans filtre, il leur arrive de laisser s’échapper un petit coup de gueule. « Malgré tout ce boulot », les revenus ne suivent pas, c’est ce qu’ils ont voulu exprimer récemment dans une vidéo. Mais la passion de l’élevage reste intacte et c’est l’essentiel. Comment et pourquoi ont-ils fait ce choix de communiquer ? Ce lundi 5 décembre, ils ont pris un moment pour nous l’expliquer au téléphone. Entretien.
Pourquoi êtes-vous sur les réseaux sociaux ?
Julien et Elodie Bahuon – « A l’origine, nous n’étions pas sur les réseaux. Nous avons ouvert un compte Facebook en 2016, au moment de la reprise. Nous avons bénéficié d’un financement participatif pour l’installation et nous avons été aidés par la famille. Nous avons démarré pour que tout le monde ait des nouvelles, même nos clients. Nous voulions montrer notre travail, les naissances… Nous avons aussi lancé un système de parrainage des animaux. On a essayé de développer la communication et on a vu que ça marchait. Souvent les reportages que l’on a l’occasion de voir montrent les plus grosses exploitations ou au contraire des exploitations un peu marginales, avec très peu de bêtes.
On montre la réalité d'un métier qui est encore un peu trop dévalorisé
A travers ce qu’on fait, les gens voient en conditions réelles un élevage représentatif de la majorité des élevages de France. Notre charge de travail est celle de beaucoup d’élevages. On montre la réalité d’un métier qui est encore un peu trop dévalorisé dans les livres et les médias. Certains pensent que les éleveurs sont des barbares alors que notre préoccupation, c’est le bien-être animal. »
« Les gens voient en conditions réelles un élevage représentatif de la majorité des élevages de France. »
Sur quels réseaux sociaux êtes-vous présents ?
Julien Bahuon - « Elodie s’est inscrite à une formation de montage et le formateur lui a conseillé de créer sa chaîne YouTube. Nous avons donc démarré " Notre quotidien d’éleveurs " en mars 2021. Nous sommes également présents sur Facebook avec des post hebdomadaires. On est aussi tous les jours sur Instagram, qui fait le lien entre la vie privée et la vie professionnelle. Avec tous ces réseaux, on se livre pas mal et les gens nous connaissent plus qu’on ne pense. C’est une façon de partager notre travail. »
Combien avez-vous d’abonnés et quelle est votre meilleure audience ?
J. B. - « On a 14 000 abonnés sur notre chaîne YouTube. A 70 %, ce sont des personnes issues du milieu agricole : des agriculteurs, des retraités, des jeunes… Nous avons des abonnés en France et à l’étranger : au Canada, en Belgique, en Suisse, au Portugal, à Tahiti… Ils ont le même type d’élevage. L’autre jour, j’ai discuté pendant 2 h avec un Québécois.
Notre vidéo Coup de gueule a fait 56 000 vues
Notre vidéo la plus vue, c’est celle de Prudence, une vache qui était tombée sur le béton. La première vidéo aussi a fait une forte audience. C’était sur la production de porcs. Ca a plu. Il n’y a pas beaucoup d’éleveurs sur YouTube qui montrent les animaux. Et récemment notre vidéo " Coup de gueule " a fait 56 000 vues. »
Vous êtes revenus sur cette vidéo avec une mise au point. Elle a donc suscité beaucoup de réactions ?
J. et E. B. - « Ce que l’on voulait dire, c’est qu’on a beau aimer notre métier, ce n’est pas normal que ça ne paie pas. Ca a généré énormément de commentaires et on a répondu à 80 % des messages. On s’est dit que les gens avaient fait l’effort de réagir et que nous devions faire l’effort de leur répondre. Même si ça nous a pris énormément de temps. Nous avons eu quelques commentaires méprisants mais la majorité des réactions étaient bienveillantes. »
Avez-vous régulièrement des réactions négatives ?
J. et E. B. - « Nous avons peu de commentaires négatifs mais il y a une personne, toujours la même, qui a eu des réactions hostiles pendant 6 mois. Il est arrivé que ce soit un abonné qui lui réponde bien sèchement. Nous ne sommes pas attaqués par les associations animalistes. On montre nos animaux et ils voient qu’on en prend soin. On a fait plus d’une centaine de vidéos maintenant et avec YouTube, on a la reconnaissance qu’on n’a pas sur les prix. La plupart du temps, ça fait plaisir d’avoir des commentaires. »
« Il y a des parents qui nous regardent avec leurs enfants. »
Y-a-t-il un post que vous regrettez ?
Elodie B. - « Non. Pour le coup de gueule, il y a un jour où je me suis dit " on n’aurait peut-être pas dû ". Mais, c’est passé. On a même appris que la vidéo est utilisée comme support pédagogique en cours de comptabilité dans un lycée agricole proche de chez nous. »
Y-a-t-il des post qui vous ont amusé ?
E. B. - « Quelquefois, on s’amuse avec des petites choses mais c’est plus sur Instagram. Par exemple, quand on danse dans la salle de traite. Une autre fois, quand les cochons s’étaient échappés. On ne riait pas mais, même quand c’est compliqué, on garde le sourire. »
Vous avez environ 30 % de grand public dans votre audience. Pourquoi vous suivent-ils selon vous ?
J. et E. B. - « Il y a des parents qui nous regardent avec leurs enfants. On a des commentaires du style " on a pris l’habitude de vous regarder le dimanche matin ". Nous, on montre la réalité. Ca se passe comme ça chez nous. C’est sans doute ce qu’ils recherchent. Souvent, l’image qu’a le grand public de l’agriculture est vraiment faussée. Les gens pensent par exemple qu’un animal qui a des cornes et qui est noir, c’est un taureau. Pour beaucoup, les vaches Angus sont des taureaux. »
Comment préparez-vous et tournez-vous vos vidéos ? A quelle cadence les postez-vous ?
J. et E. B. - « Nos animaux, c’est ce qu’on préfère filmer. On ne prévoit pas trop à l’avance. Quelquefois, 10 minutes avant, on dit : " On va filmer ". Il n’y a pas de scénario. On se filme au quotidien et on poste une vidéo par semaine, le mercredi ou le jeudi. On réalise aussi une vidéo plus longue, sur un thème précis, comme le chantier d’ensilage par exemple. On la met en ligne le week-end, tous les 15 jours. Un rendez-vous ou deux par semaine, c’est un peu compliqué avec notre emploi du temps. Mais si on ne poste pas de vidéo pendant 10 jours, on est " rappelés à l’ordre " par les internautes. On fait attention et on essaie de montrer de belles images. On évite de filmer quand il y a trop de boue par exemple. Il faut rester assez général et ne pas employer trop de termes techniques pour le grand- public qui découvre notre ferme. Ce qu’on veut montrer, surtout aux éleveurs, c’est qu’on arrive à maîtriser nos animaux, à les rendre " cool ". »
Vous semblez à l’aise devant la caméra et toujours de bonne humeur, est-ce naturel ?
Elodie B. - « Je suis plus à l’aise qu’il y a un an mais je n’aime pas trop parler en public. Là, on est dans notre quotidien et au quotidien tout va bien. Il y a des moments moins faciles mais on ne va pas pleurer sur notre sort. »
On a acheté une vache qui s'appelle Macron et qui est fille de Hollande
Vous avez une vache qui s’appelle Macron, est-ce pour passer des petits messages politiques ?
J. et E. B. – « On a acheté une vache qui s’appelle Macron et qui est fille de Hollande. Mais non, on ne s’intéresse pas à la politique, ni même au syndicalisme agricole. On ne se retrouve pas dans leurs discours. On s’est installés hors cadre familial, on était salariés avant de s’installer. On a senti en s’installant qu’on aurait nos preuves à faire. On cherche un peu notre place et on cherche de la reconnaissance. »
Y-a-t-il des choses qui vous énervent dans le domaine agricole sur les réseaux sociaux ?
J. B. - « On n’aime pas trop le placement de produits par des agriculteurs. On trouve aussi quelquefois que les personnes s’exposent. Une tendance que j’aime bien sur Instagram, c’est celle de jeunes femmes qui se prennent en photo avec leurs animaux. Ce sont plus rarement des hommes. C’est peut-être l’héritage de schémas anciens : " les hommes sur les tracteurs et les femmes à la traite ". Pourtant, ce sont les animaux qui nous font vivre, pas le matériel. »
« Il faut rester assez général et ne pas employer trop de termes techniques pour le grand- public qui découvre notre ferme. »
Combien de temps passez-vous sur les réseaux sociaux ?
E. B. - « Une heure et demie à 2 h par jour. Et les montages vidéo prennent du temps, entre 5 h et 20 h. C’est pour les vidéos tournées avec le drone que je passe le plus de temps. Il faut tout rassembler, tout trier, mettre les vignettes sur YouTube. Pourtant, je fais plus simple qu’avant au niveau des transitions. Mais c’est important de le faire et de le faire bien, c’est-à-dire régulièrement. Sinon, on a des messages de YouTube. Je m’occupe de la mise en ligne. Julien passe du temps le soir à consulter Facebook. Et c’est lui qui répond aux commentaires. Avec les réseaux sociaux, on ne regarde plus la télé. »
Que diriez-vous à des agriculteurs qui voudraient se lancer ?
J. et E. B. - « Allez-y mais ne soyez pas trop techniques. C’est le départ qui est compliqué mais il n’y a pas besoin de jouer. »
Pourriez-vous devenir des YouTubeurs influenceurs ?
J. et E. B. - « On a dit oui une fois à un assureur parce que c’était une vidéo où on parlait de notre ferme. Mais si ça n’a rien à voir avec des produits que l’on utilise, c’est non. On ne se considère d’ailleurs pas trop comme des YouTubeurs. C’est en allant à l’extérieur, et en étant reconnus quelquefois, qu’on s’en rend compte. Ca fonctionne actuellement mais on ne mise pas tout là-dessus. Notre métier, c’est agriculteurs. »