[Edito] 2024, la mère de toutes les manifestations agricoles
Jamais une manifestation agricole n’a eu une telle ampleur : tous les syndicats, toutes les formes d’agriculture, toutes les filières étaient là, sur les barrages routiers. Résultat au 1er février : près d’une trentaine d’annonces entre Paris et Bruxelles. Le round suivant se passera au Salon de l’Agriculture fin février. Mais d'ici là on peut s'attendre à une vive réaction des ONG furieuses des mesures lâchées pour éteindre la crise.
Jamais une manifestation agricole n’a eu une telle ampleur : tous les syndicats, toutes les formes d’agriculture, toutes les filières étaient là, sur les barrages routiers. Résultat au 1er février : près d’une trentaine d’annonces entre Paris et Bruxelles. Le round suivant se passera au Salon de l’Agriculture fin février. Mais d'ici là on peut s'attendre à une vive réaction des ONG furieuses des mesures lâchées pour éteindre la crise.
Quinze jours. Il a fallu quinze jours et une bonne vingtaine d’annonces pour décider les dizaines de milliers d’agriculteurs de lever les barrages routiers et de retourner dans leur ferme. Bon nombre d’entre eux n’étaient pas complètement convaincus, car la profusion de mesures annoncées a semé quelque peu la confusion. Mais le 1er février au soir, les principaux syndicats agricoles, FNSEA, JA et Coordination rurale, ont donné la consigne de lever le camp.
La souveraineté alimentaire inscrite dans le code rural
Il faut dire que le résultat de ces blocages monstres partout autour des grandes villes a été payant pour la FNSEA, les JA et la Coordination rurale, mais pas uniquement en argent sonnant et trébuchant : enveloppes de soutiens aux filières en difficulté (bio, viticulture), mesures fiscales (GNR, frais de succession, élevage bovin…) et sociales (TO-DE…), révisions ou assouplissements sur plusieurs mesures environnementales (Ecophyto, ZNT, jachère…), mesures de sauvegarde face aux importations ukrainiennes…
Au-delà de toutes les annonces structurelles et conjoncturelles, celle d’Emmanuel Macron d’inscrire dans le code rural la souveraineté agricole et alimentaire est la plus symbolique. Mais il faut aussi des symboles pour permettre à chacun de sortir de cette crise la tête haute.
Gabriel Attal s’en sort plutôt bien
Le jeune Premier ministre, Gabriel Attal, si Parisien comme la quasi-totalité de son gouvernement, vient de passer avec succès son baptême du feu. Elisabeth Borne, elle, n’avait pas compris le message et la détresse derrière le formidable « coup de comm » des panneaux retournés avec le slogan « on marche sur la tête » dès la fin octobre 2023 et qui, tout comme les manifestations, avait démarré en Occitanie et s’était répandu comme une traînée de poudre sur tout le territoire national.
Rien d’étonnant que la gronde ait pris naissance en Occitanie, l’une des régions les plus sinistrées en matière de revenu agricole. Avec l’Auvergne-Rhône-Alpes et de la Corse, elle est depuis longtemps en queue de peloton de la richesse agricole. L’équivalent du PIB agricole en 2022 était de 32 500 euros par actif agricole, soit 20 000 euros de moins que la moyenne nationale. Pourtant, cette région est constituée majoritairement de plus petites exploitations que la moyenne nationale – 49 ha contre 63 ha – avec deux fois plus de surfaces en bio que la moyenne – 19,4 % contre 10%. Bref, des structures jugées pourtant les plus vertueuses aux yeux des associations environnementales !
Convergence des luttes agricoles
C’est la grande originalité de cette manifestation de 2024 : la convergence des luttes. Agriculteurs conventionnels et bio, éleveurs, producteurs de grandes cultures, maraîchers, viticulteurs… Ils étaient tous sur les blocages d’autoroutes au même moment. Une première ! Et plus fort encore, c’est un véritable raz-de-marée européen avec des manifestations en Allemagne, Pologne, Pays-Bas, Belgique, France, puis en Espagne, Portugal, Grèce… qui a fait peur aux responsables politiques nationaux et bruxellois, à quelques mois des élections européennes et la menace d’un raz-de-marée de l’extrême droite, mais aussi avec en mémoire le souvenir cuisant des gilets jaunes.
Les agriculteurs touchés au porte-monnaie par le changement climatique
Les agriculteurs de toute l’Europe ont crié leur frustration de ne pas avoir été entendus depuis si longtemps, leur ras-le-bol des normes incohérentes, des tracasseries administratives et des difficultés économiques. Mais aussi de se faire traiter de pollueurs et responsables du changement climatique alors qu’ils sont les seuls pour qui le changement climatique engendre directement des pertes de revenu – du fait des aléas climatiques - et pour qui l’adaptation au changement climatique engendre non seulement des pertes de chiffre d’affaires mais aussi un manque de visibilité dans leur travail.
Pour autant, une grande majorité d’entre eux réfutent le discours des ONG environnementales qui expliquent que les agriculteurs sont des petites choses fragiles subissant un système leur imposant de s’agrandir et d’utiliser des pesticides. Ils en ont marre que l’agriculture soit caricaturée avec des méchants et des gentils.
Clause de revoyure au Salon de l’Agriculture
Alors la panoplie de mesures annoncées portera-t-elle ses fruits pour remettre l’agriculture dans le chemin de la performance ? Il faudra surveiller de près la mise en œuvre de ce catalogue d’annonces. Et le Salon de l’agriculture tombera à point nommé pour faire une piqure de rappel. Mais on peut s’attendre dans les semaines à venir une séquence « verte », avec des associations environnementales furieuses d’avoir perdu tant de terrain avec toutes les mesures annoncées, alors que le Green Deal avait déjà du plomb dans l’aile.
Au sortir de ce mois de janvier fou, le côté positif, c’est qu’en un temps record tous les médias généralistes se sont emparés de notions aussi complexes que MHE, GNR, ZNT, ICPE, IOTA, TO-DE et j’en passe. Même Elise Lucet, si prompte à taper sur l’agriculture en temps normal, était sur les barricade chaussée de bottes en caoutchouc ! On peut espérer qu’ils seront désormais en mesure de mieux analyser les conséquences d’une décision de politique agricole, comme la suppression d’une molécule sur une culture, les négociations d’un accord de libre-échange ou les obligations d’implanter des jachères ou des haies.
Nicole Ouvrard
Directrice éditoriale