Echec des plans Ecophyto : que propose la commission d’enquête pour réduire l’usage des pesticides en France
Dans un rapport publié le 21 décembre, une commission d’enquête parlementaire dresse un constat de quasi-échec des politiques publiques pour réduire les risques et l’usage des pesticides. A l’heure où Ecophyto 2030 se prépare elle formule 26 recommandations.
Dans un rapport publié le 21 décembre, une commission d’enquête parlementaire dresse un constat de quasi-échec des politiques publiques pour réduire les risques et l’usage des pesticides. A l’heure où Ecophyto 2030 se prépare elle formule 26 recommandations.
De 2013 à 2023, une décennie a été presque perdue pour réduire les risques et les usages des produits phytosanitaires en France. Voilà ce que dénonce une commission d’enquête parlementaire présidée par le député Frédéric Descrozaille dont le rapporteur Dominique Potier, député socialiste, a présenté une synthèse le 14 décembre à la presse.
Quelques avancées positives avec les plans Ecophyto mais des résultats loin des objectifs
Si le rapport de la commission salue quelques avancées positives, comme le retrait de la grande majorité des molécules les plus toxiques (CMR 1 et 2), grâce à la mission dévolue à l’Anses et au processus continu de la phytopharmacovigilance, le déploiement de solutions de biocontrôle, la réussite du réseau des fermes Dephy ou la mise en œuvre du programme Certiphyto pour protéger les utilisateurs de pesticides, « les résultats obtenus demeurent très éloignés des objectifs fxés », peut-on y lire.
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Pesticides : des constats scientifiques inquiétants
Pire, la commission d’enquête demandée par le député PS Dominique Potier, met en avant « plusieurs constats forts » issus de l’analyse de la littérature scientifique :
- Tous les compartiments de l’environnement sont contaminés
- Sur au moins un tiers du territoire national, les pesticides et leurs métabolites constituent une menace majeure pour la ressource en eau potable
- La pollution chimique est le troisième facteur responsable du déclin de la biodiversité animale et végétale, « au même niveau que le changement climatique »
- Présomptions renforcées en 2021 de liens identifiés entre les pesticides et la maladie de Parkinson, certains troubles cognitifs, la maladie d’Alzheimer, les lymphomes non hodgkiniens et le cancer de la prostate ou encore certaines leucémies chez les enfants
✅Publication ce jour du Rapport de la Commission d’enquête @AssembleeNat
sur les #pesticides initiée par les @socialistesAN @Mel_Thomin
▶️ https://t.co/JCUPyWSP9k https://t.co/tNzqPTOz1K— Dominique Potier (@PotierDominique) December 21, 2023
Alors que le premier plan Ecophyto (en 2009) visait à réduire de moitié les utilisations de pesticides en dix ans en France, l’échéance avait été repoussée en 2025 par Ecophyto II publié en 2016. Le nouveau plan Ecophyto, en cours d’élaboration et qui devrait être publié en 2024, reprend cet objectif pour 2030.
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26 préconisations réparties en sept axes pour réduire l’usage des pesticides
Face « à un sentiment d’une forme d’impuissance publique », la Commission d’enquête formule 26 recommandations réparties en sept axes pour améliorer les politiques publiques visant à réduire l’usage des pesticides :
Améliorer les connaissances sur les produits phytosanitaires
Le rapport préconise notamment :
- Un registre électronique centralisé agrégeant les informations des registres phytosanitaires de l’ensemble des utilisateurs de produits phytosanitaires
- Améliorer la pertinence et la réactivité des indicateurs de mesure des usages de produits phytopharmaceutique (avec un indicateur européen et un traitement accéléré des données de la banque nationale des ventes-distributeurs pour parvenir à consolider le Nodu dès l’année n+1)
- Renforcer la connaissance sur la présence des pesticides dans l’eau
- Mettre en œuvre des plans de surveillance national des pesticides dans l’air, du sol et de la biodiversité.
Consolider le régime d’autorisation des produits phytosanitaires
Le rapport de la Commission d’enquête préconise entre autres de :
- D’augmenter le budget de l’Efsa (+14,25 millions d’euros) et de l’Anses (+10 millions d’euros) pour qu’elles puissent réaliser de « manière satisfaisante » leur mission d’évaluation des pesticides
- Lancer une réflexion en vue d’une harmonisation complète du régime d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques dans le cadre du prochain mandat européen.
Réparer le continuum recherche-développement
Jugeant que la séparation du conseil et de la vente des produits phytosanitaires a été un échec, la commission d’enquête recommande dans son rapport en particulier :
- De consolider le réseau des fermes Dephy et revenir au périmètre de 3000 fermes engagées
- Responsabiliser les acteurs de la vente de produits phytopharmaceutiques avec des objectifs clairs en matière d’obtention de certificats d’économie de produits phytosanitaire
- Mettre en place un conseil agronomique global annuel et universel sous l’autorité des chambres d’agriculture
- Expérimenter un ordre professionnel des conseillers en phytopharmacie
Le PSN a été un rendez-vous manqué qui aurait pu marquer un tournant agroécologique de l'agriculture française
Promouvoir les politiques publiques en faveur de l’agroécologie
La Commission d’enquête parlementaire estime que le plan stratégique national (PSN) dans le cadre de la nouvelle PAC 2023-2027 a été « un rendez-vous manqué », « qui aurait pu marquer un tournant agroécologique de l’agriculture française ». Dans son rapport, elle préconise ainsi d’anticiper la révision du PSN en :
- Offrant une nouvelle trajectoire d’aides différenciées selon la taille des exploitations
- Réformant le cahier des charges de la HVE, pour qu’il porte l’exigence d’une diminution de 50% de réduction des produits phytosanitaires
- En conservant le potentiel de l’agriculture biologique et la dynamique des MAEC
Instaurer des règles de marché loyales au service de l’agroécologie
Constatant une perte de compétitivité de l’agriculture française et dénonçant les concurrences déloyales dont les agriculteurs français sont victimes mais aussi un manque de valorisation des pratiques vertueuses en France, la Commission d’enquête propose :
- De responsabiliser les entreprises agroalimentaires et la grande distribution en créant un fonds innovation – agroalimentaire (doté de 250 millions d’euros selon Dominique Potier) pour stimuler la recherche de solutions pour la valorisation des cultures de diversification, en leur interdisant d’imposer aux producteurs des cahiers des charges incompatibles avec les règlementations relatives aux usages des produits phytopharmaceutiques ou encore en instaurant une taxe sur leurs dépenses en publicité destinée à financer la montée en puissance de la communication publique sur une alimentation saine et économe en pesticides
- Supprimer « les tolérances à l’importation » sur les limites maximales de résidu (LMR) pour toutes substances interdites dans l’Union européenne
- Inscrire dans le droit européen des mesures miroir sur l’usage des produits phytos sur l’ensemble des produits importés et inverser la charge de la preuve pour le contrôle qui pèserait donc sur les pays tiers.
Ecophyto est comme un véhicule qui roulerait sur une route sans radar, avec un tableau de bord défectueux
Améliorer le pilotage public des plans Ecophyto
Estimant qu’Ecophyto est « comme un véhicule qui roulerait sur une route sans radar, avec un tableau de bord défectueux » et « un véhicule sans pilote dont les passagers feraient de la destination même un sujet de controverse », la Commission d’enquête propose :
- De renforcer les moyens accordés à la prévention en les fondant « sur les coûts de réparation des externalités négatives liées aux produits phytosanitaires ».
Sanctuariser les captages pour l’alimentation en eau potable
« Entre 1980 et 2019, 4300 captages ont dû être fermés pour cause de pollution, principalement aux nitrates et aux pesticides », peut-on lire dans le rapport de la commission d’enquête qui propose de :
- Généraliser des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE)
- D’inscrire systématiquement la problématique de la prévention des pollutions diffuses liées aux pesticides au sein des SDAGE
- Procéder à des adaptations réglementaires pour garantir « une convergence de vues entre les agences régionales de santé (ARS, chargées du contrôle sanitaire) et les Agences de l’eau sur la priorité à accorder à la lutte contre les pollutions liées aux pesticides
- Compléter le droit de préemption des terres agricoles par un droit d’expropriation mobilisable dans la situation où l’ensemble des autres dispositifs disponibles n’auraient pas produit les résultats attends.
Sortir de l’ambiguïté du slogan « pas d’interdiction sans solution »
Avec Ecophyto 2030, « le plan de la Première ministre est mieux » mais « insuffisant par les moyens mis en œuvre », a estimé le rapporteur Dominique Potier devant la presse.
S’inquiétant que le règlement SUR rejeté par le Parlement européen ait pu donner à « certaines économiques et politiques » l’occasion « de remettre en cause l’ambition française », la Commission d’enquête estime qu’il « faut sortir de l’ambiguïté du slogan « pas d’interdiction sans solution »», promu par la FNSEA et repris par le ministre de l’Agriculture.
Lire aussi : Réduire l’utilisation des pesticides : le Parlement européen rejette le règlement SUR
« Les bénéfices que les uns tirent du maintien des produits actuels ne sauraient justifier le risque que cela fait peser sur la collectivité dans son ensemble », peut-on lire dans le rapport de la Commission.
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