« Des vaches à 8 500 litres sans tourteaux, c’est possible »
Produire 25 litres de lait par vache par jour sans distribuer de tourteaux, tout en préservant ses sols, c’est le défi que propose de relever Konrad Schreiber, co-gérant de la Vache Heureuse. Un challenge d'autant plus pertinent dans le contexte de prix élevé des tourteaux et de tensions sur les engrais azotés.
Produire 25 litres de lait par vache par jour sans distribuer de tourteaux, tout en préservant ses sols, c’est le défi que propose de relever Konrad Schreiber, co-gérant de la Vache Heureuse. Un challenge d'autant plus pertinent dans le contexte de prix élevé des tourteaux et de tensions sur les engrais azotés.
L’autonomie protéique est-elle compatible avec le maintien d'une bonne productivité animale ?
Konrad Schreiber : On peut produire 8 500 litres de lait par vache sans tourteau de façon durable en respectant ses animaux et le sol. Ce n’est pas une utopie ! Nous le voyons chaque jour au sein de nombreux élevages que nous accompagnons au sein de la Vache Heureuse. Par contre, pour atteindre 10 000 kg de lait par vache, le challenge de l’autonomie protéique totale se révèle plus difficile.
Mais dans tous les cas, parvenir à une ration autonome avec un certain niveau de productivité s’acquiert par la voie fourragère et implique la suppression de l’ensilage de maïs dans la ration. Chaque kilo de matière sèche ingéré par la vache doit être riche en matières azotées totales. Il faut d’abord raisonner en termes de couverture des besoins en azote puis, seulement ensuite, chercher à reconcentrer la ration en énergie. Cette approche bouscule les stratégies actuelles où le maïs ensilage constitue encore le pivot de la ration dans nombreux élevages. Mais une ration autonome à 8 500 litres pourrait très bien devenir le nouveau standard français ! Et contribuer ainsi à améliorer la résilience économique des élevages ! Dans le contexte actuel, cela devient d’autant plus nécessaire que le prix des tourteaux et risque de rester cher pour longtemps et que la problématique azote des cultures sera aussi très tendu. Ce constat plaide pour les rations autonomes en protéines qui introduisent très bien les légumineuses, plantes autonomes.
Concrètement comment faut-il s’y prendre ?
K. S. : Il faut d’abord raisonner le système fourrager en termes de recherche de MAT plutôt que d’UFL L’autonomie protéique s’obtient en travaillant par étape. Dans notre démarche, le premier objectif est d’abord de viser 25 litres de lait par vache par jour en travaillant uniquement avec des fourrages « verts » riches en protéines, tels que les prairies, les méteils et les légumineuses, sans apport de tourteaux ni céréales. Le second niveau permet d’atteindre une productivité plus élevée, en ajoutant 3 à 4 kg de céréales sous forme de maïs grain humide ou d’ensilage de maïs épi. Cela permet de concentrer davantage la ration en énergie et de laisser la cellulose aux vers de terre en laissant les cannes broyées au sol. L’étape suivante implique de faire appel à un procédé technologique : le traitement enzymatique des céréales produites à la ferme par ajout d’urée. La céréale se trouve ainsi enrichie en protéine ; un blé passe notamment de 12 à 16 % de MAT. Puis, pour dépasser les 10 000 kg de lait par vache, l’étape suivante nécessite de recourir au tourteau en quantité modérée pour pallier le manque de PDIE.
Quels types de fourrages et de rations prônez-vous ?
La ration autonome à 8 500 l, c’est une ration à 15 % de MAT, 0,94-0,95 UFL et pas plus de 20 % de de cellulose brute sinon l’encombrement devient trop important.
La MAT est apportée par les prairies multiespèces. Toutes les légumineuses -luzernes et mélanges de trèfles- sont à l’honneur. Il ne faut pas hésiter à fertiliser, surtout les prairies fauchées qui exportent potasse, phosphore, calcium, soufre et oligo-éléments, et raisonner les épandages en fonction des exportations. L’autre solution est de cultiver des méteils à base de 20 % de céréales (avoine ou seigle) et 80 % de protéagineux (féverole, vesces, pois, trèfles annuels) en double-culture, avec implantation d’un maïs après la récolte. Selon le type de méteil, les rendements approchent 6-7 tMS/ha en récolte précoce, et autour de 8 tMS/ha en méteil plus tardifs, avec des valeurs moyennes autour de 0,8 UFL et 15-16 % de MAT. Il faut trouver les espèces et les mélanges les plus adaptés au contexte pédo-climatique de chaque ferme.
Au bout de combien de temps un élevage peut-il atteindre l’autonomie protéique ?
La refonte du système fourrager peut prendre plusieurs années. La ou les cultures choisies dépendent d'où se trouve l’élevage et de ce qu’il veut faire. Certains éleveurs préfèrent les luzernières, d’autres les mélanges graminées/légumineuses. Quatre à cinq ans sont souvent nécessaires pour maîtriser ce nouvel équilibre et atteindre l’autonomie avec des résultats économiques probants. Au démarrage, la priorité est de construire un nouveau système fourrager avec un plan de fumure adapté pour atteindre la meilleure productivité fourragère possible. L’évolution des pratiques au niveau du travail du sol arrivent souvent dans un second temps et contribuent aussi à une meilleure productivité.