Dermatite digitale : quels facteurs de risques pour les bovins en engraissement ?
L’identification de lésions de dermatite digitale dans des ateliers d’engraissements de l’Aisne a conduit au lancement d’une étude pilote afin de mieux appréhender cette problématique.
L’identification de lésions de dermatite digitale dans des ateliers d’engraissements de l’Aisne a conduit au lancement d’une étude pilote afin de mieux appréhender cette problématique.
Dans l’Aisne, des lésions de dermatite digitale ont été détectées en levant les pieds de jeunes bovins touchés par des boiteries sévères, dans quinze ateliers d’engraissement. Si en élevages laitiers la maladie est bien connue, en taurillons, le recul est moindre (facteurs favorisants, traitements possibles et efficacité…) d’où la mise en place, en novembre 2019, d’un projet multipartenarial (1), conduit par la chambre d’agriculture de l’Aisne en partenariat avec l’Institut de l’élevage, le GDS de l’Aisne, Marc Delacroix formation et la SCEA Vauxbuin, pour une durée de trois ans. Cette initiative vise à mieux comprendre le développement de la dermatite digitale en ateliers de jeunes bovins et à en améliorer le contrôle.
Huit élevages ont été intégrés dans le programme, quatre a priori sains et quatre a priori atteints. Dans chaque exploitation, un à trois lots de 20 à 50 bovins ont été suivis. Trois visites, effectuées par un pareur, ont été réalisées, à l’arrivée des animaux, à 4-5 mois d’engraissement et avant l’abattage. « Si à l’arrivée des animaux suivis (283 à la première visite), aucune lésion n’a été détectée, il s’est avéré au cours de l’étude qu’en réalité sept des huit élevages enquêtés étaient atteints de dermatite digitale. Pour six d’entre eux, les taurillons touchés faisaient partie de lots contrôlés et pour l’un des élevages, l’animal atteint se trouvait dans un lot non-suivi. En fin d’engraissement, seulement 236 animaux ont été vus. Dans les trois quarts des cas, la présence à l’infirmerie ou un abattage précoce pour cause de boiterie expliquait la non-observation de ces jeunes bovins », observe Aurore Duvauchelle-Waché, vétérinaire à l’Institut de l’élevage.
De nombreuses lésions dorsales sur les antérieurs
De fortes disparités, en termes d’atteintes et d’importance entre lots et élevages, ont également été constatées. Si dans certains élevages, les animaux atteints représentaient à la mi-engraissement 75 à 85 % des cas, dans d’autres ce taux était nul. Intra-élevage, cette variabilité s’applique également. « Chez un engraisseur, un lot en fin d’engraissement comptait 60 % d’animaux touchés, alors qu’un second n’en avait que 10 % », souligne Aurore Duvauchelle-Waché.
Au total, 257 lésions ont été décrites. Les animaux affectés avaient entre une et cinq lésions. À la mi-engraissement, la moyenne des lésions par animal s’élevait à 1,7 contre 1,8 en fin d’engraissement. « On a majoritairement repéré des lésions actives (M1 et M2), c’est-à-dire, excrétrices de tréponèmes. On a pu remarquer que les postérieurs et les antérieurs étaient atteints dans les mêmes proportions mais contrairement aux élevages laitiers, on a rencontré de nombreux cas de lésions en face dorsale, c’est-à-dire sur le dessus du pied. En jeunes bovins, les lésions présentes sur les antérieurs sont significativement plus souvent localisées en face dorsale (soit à l’avant du pied). Ce résultat doit donc inciter les éleveurs à ne pas se focaliser sur les postérieurs en face plantaire et à regarder les pieds de leurs jeunes bovins lorsqu’ils circulent dans les parcs ou s’alimentent, ce qui permet déjà une première observation. » Les lésions décrites dans l’étude se retrouvent donc à la fois en face dorsale, plantaire et sur l’espace interdigité et dans 10 % des cas sur les ergots.
Des facteurs de risques hypothétiques
Les données recueillies ne permettent que de formuler des hypothèses quant aux facteurs de risques, en ateliers d’engraissement. Si certaines variables représentent potentiellement un facteur explicatif, des pratiques identiques ou rares n’ont pas permis de mettre en évidence quoi que ce soit (exemple : l’alimentation). Toutefois, un groupe de modalités s’est distingué. À commencer par la température de la litière. Le nombre d’animaux atteints était significativement plus important si cette dernière dépassait 40 °C sur au moins l’un des douze points de prélèvement. Le fait également de faire passer des jeunes bovins dans une case où la litière n’a pas été changée entre deux lots (quarantaine ou marche en avant pendant l’engraissement) serait favorable à l’évolution de la maladie. Par ailleurs, il a été montré que le nombre d’animaux touchés augmente si l’on multiplie l’origine de provenance des jeunes bovins constituant un lot (supérieures à 5 naisseurs). La surdensité des cases, entre 12 et 18 mois, apparaît également comme un facteur à citer.
Limiter la pression infectieuse
« Ces hypothèses ne semblent pas incohérentes et permettent d’élaborer des préconisations pour limiter la pression infectieuse et éviter l’évolution de la maladie vers des lésions graves, sources d’abattages précoces, de douleurs pour les animaux, de pertes économiques pour l’exploitation et de stress pour les éleveurs. »
Des tests sont en cours et visent à mettre à l’épreuve des préconisations telles que constituer des lots composés de taurillons provenant au maximum de cinq cheptels naisseurs différents, avoir une température de litière ne dépassant pas 40 °C, une densité correcte dans les cases, garder les animaux dans une même case tout au long de l’engraissement et avoir une nouvelle litière lorsque les animaux arrivent en quarantaine et en engraissement. « Éventuellement, il pourrait être intéressant de faire passer les broutards dans un pédiluve à leur arrivée et/ou de traiter la litière. Par ailleurs, des problèmes de débit d’eau ont été observés dans certaines cases en bout de bâtiment ou quand plusieurs animaux buvaient simultanément. Nous n’avons pas pu tester l’impact du débit de l’eau sur le développement de la dermatite digitale mais rappelons qu’il est indispensable que les animaux aient accès à de l’eau de qualité et en quantité », rapporte Aurore Duvauchelle-Waché.
Mise en garde
« Ce travail a permis d’extraire un grand nombre de données issues de peu d’élevages. Certains paramètres sont difficilement voire non investigables. Ce ne sont donc que des hypothèses sur les facteurs de risques », insiste Aurore Duvauchelle-Waché de l’Institut de l’élevage.
Des répercussions importantes
Pour les élevages atteints, les répercussions peuvent être importantes, tant sur le bien-être des animaux concernés que sur la productivité des troupeaux (diminution des performances zootechniques, surcharge de travail, coût de traitement) ou encore sur le moral des éleveurs. Pour un engraisseur, le coût de la maladie est élevé entre la perte de croissance, la dépréciation des carcasses en raison de leur vente anticipée à 550-600 kilos vifs voire la mort de l’animal.
La dermatite digitale
La maladie de Mortellaro (dermatite digitale) est une maladie infectieuse due à des bactéries, les tréponèmes. C’est une maladie contagieuse multifactorielle. Elle est généralement introduite à l’occasion de l’achat d’une bête infectée puis se propage par contacts de proximité entre animaux. Une fois introduite dans un troupeau, elle provoque des épisodes récurrents de boiteries et peut difficilement être éradiquée, le mieux que l’on puisse faire, c’est la contrôler par des mesures curatives et préventives adaptées pour qu’elle reste à un niveau acceptable.
Tous les membres peuvent être atteints. Les lésions se traduisent par des lésions ulcératives de la peau, principalement en couronne, à l’avant ou à l’arrière du pied, mais aussi entre les onglons. Elles peuvent se développer sur le pododerme dès que celui-ci est en contact avec le milieu extérieur (sur les ulcères/cerises, l’ouverture de ligne blanche…). Il s’agit d’une ulcération superficielle, finement granuleuse, rouge vif, bordée d’un liseré blanc et de poils hirsutes, avec une odeur caractéristique.
La prévention et le contrôle de la dermatite digitale doivent nécessairement reposer sur la mise en place de mesures spécifiques et adaptées à chaque élevage. Il n’existe pas de solution miracle mais une détection et un traitement précoce des animaux atteints sont primordiaux. Une intervention rapide et individuelle augmente les chances de guérison à moindre coût et limite la propagation de la maladie. La difficulté est d’autant plus grande en jeunes bovins que la détection et la prise en charge médicale sont bien plus délicates qu’en élevages laitiers.