[Covid-19] « La demande pour notre farine à la ferme a été multipliée par dix ! »
Ruptures de stocks dans les grandes surfaces, engouement pour la production locale… Avec la crise du coronavirus, les ventes en circuit court de farine fabriquée à la ferme ont bondi ces dernières semaines.
Ruptures de stocks dans les grandes surfaces, engouement pour la production locale… Avec la crise du coronavirus, les ventes en circuit court de farine fabriquée à la ferme ont bondi ces dernières semaines.
« Depuis trois semaines, c’est une explosion de commandes de farine. On met les bouchées doubles pour satisfaire tout le monde ! » Dorothée Patin, agricultrice sur la Ferme des 3 terres, à Sorel-le-Grand, dans la Somme, n’en revient toujours pas. Les ventes de farine issue de son atelier artisanal ont triplé depuis l’annonce du confinement. « Nous vendons habituellement une tonne par mois en moyenne sur l’année, et nous en sommes à 1,5 tonne par semaine, avec encore énormément de commandes », décompte Dorothée. Dans cette période de crise liée au coronavirus, son souci n’est pas tant de fournir en farine — elle dispose de stocks de blé — que le risque de pénurie de sachets. L’usine qui la fournit est en effet elle aussi submergée de commandes et peine à suivre.
Des ventes de farine multipliées par trois ou quatre
Le cas de Dorothée est loin d’être une exception. De nombreux agriculteurs rapportent des ventes de farine multipliées par trois ou quatre, voire plus. Le phénomène concerne la vente à la ferme mais aussi les magasins en circuit court. La consommation de farine à domicile est dopée par le confinement, ce qui provoque la hausse des achats et l’afflux de nouveaux clients. Certains font plusieurs dizaines de kilomètres pour s’approvisionner. Il y a ceux qui fuient les grands magasins car ils n’y trouvent plus de farine ou craignent la promiscuité, et ceux qui sont séduits par le retour à une consommation de proximité.
Valérie et Xavier Duclos Gonet exploitent 175 hectares en grandes cultures bio à Crémieu, dans l’Isère. Pour faire face à la demande, ils ont dû recentrer la production de leur atelier de fabrication de pâtes et de farine. « Nous n’écrasons plus que le blé tendre et le blé dur. Pour les autres grains tels que l’épeautre ou le sarrasin nous n’avons plus assez de temps, explique Valérie. Nous avons arrêté le conditionnement 1 kilo pour faire uniquement du 2 et du 5 kilos. Et sur les conseils de la chambre d’agriculture, nous avons stoppé le vrac car cela complique la décontamination. » Les Duclos Gonet ont dû embaucher pour tenir le rythme en ensachage. Par chance, le couple a conservé 10 tonnes de blé supplémentaires initialement destinées à être vendues cet hiver. Bien leur en a pris car le volume sera largement sollicité du fait de ventes quadruplées en farine. « Certains nous demandent 30 à 50 kilos de farine. Nous devons rationner les quantités par commande pour pouvoir continuer à servir nos clients habituels », relate l’agricultrice. La dynamique concerne aussi la vente des pâtes, mais plus timidement.
« Un réel attrait pour le local »
Pour Cyrille Derieux, cette séquence ne pouvait pas tomber mieux pour mettre le pied à l’étrier. Il y a un an qu’il a lancé son activité de transformation sur sa ferme bio de 130 hectares, à Rouziers-de-Touraine, dans l’Indre-et-Loire. « On constate depuis deux semaines un engouement pour les circuits courts et l’on sent un réel attrait pour le local, se réjouit-il. Des gens proches de chez moi ont découvert mon activité, notamment grâce aux réseaux sociaux. Je suis débordé ! »
Ce n’est pas Marie Blanchard qui le contredira. L’agricultrice cultive 292 hectares en céréales, légumineuses et autres espèces moins courantes avec son mari à Serazereux, dans l’Eure-et-Loir. Elle reconnaît que la période est épuisante. « C’est du sept jours sur sept et des nuits courtes. On passe notre temps à faire la farine et à ensacher. » Pour le couple, le jeu en vaut la chandelle. « C’est incroyable, la demande pour la farine est multipliée par dix, s’exclame-t-elle. Nous ne travaillions pas du tout avec les grandes surfaces, mais ce sont elles qui sont venues nous chercher, et parfois d’assez loin. » Si leurs ventes auprès des magasins ont affolé les compteurs, ils ont en revanche perdu temporairement les débouchés des restaurateurs et des centrales pour cause de fermeture.
Le débouché de la restauration collective en berne
C’est toute la difficulté pour les agriculteurs qui ont axé leur stratégie de vente à destination de la restauration collective. C’est le cas pour la famille Langé, qui a ouvert un atelier de fabrication de pâtes à la ferme dans le sud de l’Eure-et-Loir. « Nous avons vu un engouement des particuliers pour nos pâtes pendant quinze jours. Mais c’est retombé et ça ne compensera pas la perte des collectivités et collèges qui représentent habituellement 30 % de nos ventes, constate Marc Langé. Et faire des sacs de 5 kilos, ce n’est pas le même travail que des sachets de 300 grammes pour les particuliers », relève l’exploitant.
Pour lui comme pour de nombreux autres, la question est de savoir si cette drôle de période permettra de conserver les nouveaux clients, particuliers et grandes surfaces. « La marque Terre d’Eure-et-Loir dont nous faisons partie a démarché tous les magasins d’une enseigne dans le département afin de mettre en avant nos produits locaux. Espérons que cela ouvrira des portes. »
« Les gens découvrent qu’il y a des producteurs près de chez eux »
Des visites qui ont triplé pour le site web de Bienvenue à la ferme, quadruplé pour les drive fermiers : tel est le constat dressé par Jean-Marie Lenfant, président délégué alimentation circuits courts aux chambres d’agriculture. « Dans la situation actuelle, il y a un élément positif pour l’avenir, c’est que le consommateur semble se tourner vers les produits fermiers, analyse l’élu. Les gens découvrent qu’il y a des producteurs près de chez eux. » La possibilité de commander en ligne et la communication via les réseaux sociaux contribuent en outre à rajeunir la clientèle. De nouvelles demandes émanent également de la grande distribution. « Il y a des opportunités à saisir commercialement, se réjouit Jean-Marie Lenfant. On ne gardera pas tous ces nouveaux clients après la crise, mais un certain nombre resteront car ils seront convaincus par la qualité des produits. »