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Des pâtes avec du blé dur à la ferme, une diversification pas si simple

Dans l’Eure-et-Loir, la famille Langé s’est lancée dans la fabrication de pâtes à la ferme. Une diversification qui tourne au défi dans un contexte de concurrence accrue.

Malgré une rentabilité encore incertaine, la fabrication à la ferme est une belle aventure familiale pour les Langé. © G. Omnès
Malgré une rentabilité encore incertaine, la fabrication à la ferme est une belle aventure familiale pour les Langé.
© G. Omnès

« Votre alimentation commence ici », proclame en lettres blanches sur fond rouge le panneau posé en bord de route. Au bout du chemin, les bâtiments de la ferme d’Ecuillon bordent une vaste cour dans le style traditionnel beauceron. L’un d’entre eux abrite désormais du matériel qui n’a rien d’agricole : un atelier de fabrication de pâtes.

Nous sommes sur la ferme de la famille Langé à Lumeau, dans le sud de l’Eure-et-Loir, au cœur de la Beauce. Le blé dur y occupe depuis longtemps une place particulière. « Mon père Gaston s’est installé ici au début des années 60, explique Marc. Dès la fin de la décennie, le blé dur s’est développé dans la région, notamment grâce à l’arrivée de l’irrigation. Il était fréquent que l’assolement comporte uniquement du blé dur et du maïs. » Sur ces terres argilo-calcaires très filtrantes, arrosées par 500 mm de pluie par an, le blé dur bénéficie de conditions accueillantes. Les mois de juin et de juillet, souvent secs, assurent le plus souvent une bonne qualité pour la céréale qui craint plus que tout l’humidité en fin de cycle.

La fierté d’un produit maîtrisé de A à Z

Au fil du temps, l’exploitation a diversifié son assolement, mais le blé dur a conservé sa suprématie. Il couvre aujourd’hui 60 hectares sur les 150 cultivés. Lorsque Corentin, le fils aîné de Marc et de Stéphanie, est revenu dans la région après ses études, la famille a décidé de développer une activité permettant de dégager un revenu supplémentaire. « Notre volonté était de transformer quelque chose à la ferme, raconte Corentin. Nous avons pensé à la bière, mais ce marché était bouché et un voisin venait de se lancer. Le blé dur occupait une place importante dans l’assolement, et la production de pâtes s’est vite imposée comme une évidence. »

La morosité des prix du blé dur les conforte dans ce choix. Elle incite en effet à tenter de capter de la valeur ajoutée. Et, au-delà de l’aspect purement économique, la famille est habitée par une motivation plus profonde. « C’était aussi la fierté d’aller jusqu’au bout, avec un produit maîtrisé de A à Z, insiste Stéphanie. Il y a peu de productions céréalières avec lesquelles c’est possible. »

Après près de deux ans de préparation, incluant une étude marketing, la remise à neuf des anciennes écuries et le choix du matériel adapté, les premiers sachets frappés de l’écusson de la ferme d’Ecuillon sortent début 2018. Les paquets arborent également le logo de la marque Terres d’Eure-et-Loir, gage d’une production locale. Environ 9 tonnes seront commercialisées la première année.

Multiplication des projets alentour

Le process est assez simple : écrasement du blé dur, mélange avec de l’eau, extrusion avec différents moules pour donner aux pâtes des formes variées, puis le séchage et l’ensachage. Tout le savoir-faire réside dans le réglage à chaque étape. La conduite au champ du blé dur n’est pas révolutionnée par la transformation à la ferme, mais ajustée pour garantir la meilleure qualité possible au blé, à commencer par le choix variétal. Pas question cependant de rentrer dans les détails, car la concurrence est devenue rude.

« Lorsque nous avons démarré la production, nous avons découvert que deux autres ateliers démarraient dans un périmètre proche », se rappelle Corentin. Et ce n’était qu’un début : les projets se sont multipliés alentour, menaçant la pérennité de l’activité. « Pendant la préparation de notre projet, nous sommes allés visiter des fermes en Rhône-Alpes et en Charente-Maritime, nous ne concurrencions personne localement, explique Marc. Mais depuis un an, les demandes de visites sont de plus en plus nombreuses, y compris de la part de gens situés à proximité. Certains disent qu’il y a de la place pour tout le monde, mais c’est faux, cela reste un marché de niche. »

Une aventure difficile mais enrichissante

Cette offre croissante vient compliquer la tâche déjà ardue pour valoriser la vente de pâtes. « Du fait du type de pâtes que nous produisons, notre cœur de cible est plutôt du côté des grandes surfaces, explique Stéphanie. Et s’il est difficile d’y entrer, il est aussi très difficile d’y rester. Sans compter que c’est à nous de gérer le réapprovisionnement. » L’activité s’est révélée encore plus chronophage que prévu, alors que les Langé pensaient avoir vu large de ce côté. « Le vendeur de matériel nous avait dit que cela allait bousculer notre vie, et il avait raison », reconnaît Marc.

Si la future rentabilité demeure incertaine, l’expérience est assurément enrichissante. « Le plus satisfaisant est d’entendre les gens nous dire qu’ils aiment nos produits, parfois même qu’ils ne mangent plus que nos pâtes ! », se réjouit Marc. « C’est de toute façon une belle aventure familiale, abonde Stéphanie. Les six premiers mois, toute la famille s’y est mise, y compris les trois frères de Corentin qui ne sont pas du tout dans l’agriculture. » Autrement dit, tout le monde a mis la main à la pâte.

EN CHIFFRES

150 ha de SAU dont 60 de blé dur, 10 de blé tendre, 10 de betteraves, 25 de maïs, 45 de semences potagères et de betteraves

9 t de pâtes fabriquées en 2018

Un marché très encombré

Dans toutes les zones productrices de blé dur, les ateliers de fabrication de pâtes à la ferme se multiplient depuis quelques années. Sans compter les « spécialités céréalières » à base de blé tendre, qui ne peuvent pas être qualifiées de « pâtes » (la loi interdit d’utiliser cette dénomination si la recette n’est pas à 100 % basée sur du blé dur et de l’eau), mais qui concurrencent tout de même les « vraies » pâtes fermières.

En Eure-et-Loir, la chambre d’agriculture dénombre au moins cinq ateliers de pâtes à la ferme. De quoi encombrer un marché qui n’est pas extensible. « Quand on reçoit des porteurs de projet, on met désormais les freins sur ce type de production », avertit Marie Eon, conseillère en diversification et circuits courts à l’organisme consulaire. Les consommateurs ne sont en effet pas tous prêts à payer leurs pâtes deux fois plus cher que les pâtes industrielles. Pourtant, gare à la sous-évaluation des prix. « Certains agriculteurs ne prennent pas tout en compte pour fixer leur prix et ne réalisent pas que cela peut devenir très peu rémunérateur », souligne la conseillère. Il est également impératif de bien étudier sa zone de chalandise et d’avoir trouvé des clients qui absorberont une grande partie de sa production avant même de se lancer. Mieux vaut réfléchir à une autre piste si des unités de transformation similaires existent déjà dans un périmètre de quelques dizaines de kilomètres. Le constat vaut également pour les candidats à la microbrasserie.

Pour faciliter la rencontre des producteurs et des clients, le département s’est doté de nouveaux outils. La plateforme Sur le champ !, créée en 2019 par la chambre d’agriculture et la coopérative Scael, propose un appui logistique (prestation de livraison) et facilite le démarchage auprès de nouveaux clients, contre une commission de 15 % sur les ventes. La plateforme internet Agrilocal 28, opérationnelle depuis fin 2018, permet une mise en relation gratuite entre producteurs locaux et acheteurs publics, via une consultation lancée par ces derniers, dans le respect du Code des marchés publics.

Terres d’Eure-et-Loir, une marque ancrée dans le terroir

Créée en 2002 par la chambre départementale d’agriculture, la marque Terres d’Eure-et-Loir garantit au consommateur l’origine locale des produits. S’ils sont non transformés, ils doivent être intégralement issus de l’exploitation agricole adhérente. Pour les produits transformés, au moins 50 % des ingrédients doivent provenir d’Eure-et-Loir en volume, en poids ou en valeur, à l’exception des produits qui portent le nom de l’ingrédient principal. Au moins un ingrédient doit être produit sur l’exploitation voulant bénéficier de la marque.

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