En Ardèche
Une transmission d’élevage bien cadrée
Véronique et Gilles Léon transmettent leur chèvrerie et leur savoir-faire à deux futures éleveuses. Une reprise qui s’annonce sous les meilleurs auspices.
Sur la ferme et dans notre travail, nous avons toujours eu une logique de transmission », explique Gilles Léon, qui élève, avec sa femme Véronique, une soixantaine de chèvres alpines. Perché dans les hauteurs entourant Privas, le Gaec Biquette de la Jaubernie va bientôt changer de mains. Véronique Léon et son mari ont tous les deux passé la soixantaine. Installé en 1996, le couple de chevriers est parti de rien. « C’était un terrain vide, ici quand on est arrivé, se remémore Gilles Léon. Nous avons mis cinq ans pour construire le bâtiment, la fromagerie et notre maison, tout en autoconstruction ». La guerre pour le foncier sévissant également en Ardèche, Véronique et Gilles se sont tournés vers leurs voisins propriétaires de friches et la commune. « Les alentours de la ferme sont dans une zone à incendie, alors les gens sont bien contents que les chèvres débroussaillent à leur place », s’exclame le chevrier originaire de Champagne. Cela requiert cependant que le troupeau soit gardé, et ce pendant environ quatre heures par jour. « Il s’agit de bien connaître les plantes que les chèvres ingèrent car certaines peuvent avoir un impact important sur la production », avertit-il. Gilles se souvient, par exemple, de chèvres dont le lait était devenu vert fluo après un festin de feuilles de châtaignier et de chêne.
Une petite ferme diversifiée qui s’en sort bien
Cette connaissance, il se félicite de l’avoir transmise aux nombreux stagiaires qui ont été embauchés sur l’exploitation. Plusieurs d’entre eux ont vraiment accroché à la passion de l’élevage caprin. Gilles s’en réjouit : « beaucoup de nos anciens stagiaires sont devenus à leur tour éleveurs caprins dans la région. Et nous ratissons plus large aussi en organisant des visites d’exploitation pour les lycées agricoles et le centre de formation du Pradel ». La discussion, l’échange et le partage de connaissances sont des notions élémentaires pour l’éleveur. Cheveux frisés et yeux bleus pénétrants, il désigne la ferme d’un mouvement circulaire. « C’est une petite exploitation, mais nous avons réussi à nous en sortir avec la vente directe et la diversification ». Passée en bio en 2010, la ferme de la Jaubernie profite des 26 000 habitants du bassin de vie du chef-lieu de l’Ardèche pour commercialiser ses produits. Un tiers des produits est vendu en magasin de producteurs, un autre tiers dans une grande surface de Privas et le dernier tiers sur la ferme et les marchés. Les fromages de chèvre, avec le picodon AOP en tête d’affiche mais également la tomme, la brousse, des produits de type feta et chevrotin, ne sont pas les seules productions du Gaec. Il comporte également trois hectares de châtaigniers et 40 poules pondeuses. Les chevreaux sont vendus à un engraisseur, mais certains restent sur la ferme et seront abattus. Ils sont ensuite vendus soit à un boucher, soit à des particuliers soit transformés en rillettes. « L’atelier d’engraissement des chevreaux et la valorisation des chevrettes auprès d’autres éleveurs nous paient notre 13e mois », remarque Gilles, le sourire aux lèvres. Le Gaec tourne bien, il est à l’origine de la création d’une Cuma pour les châtaignes et d’un groupement d’employeurs qui lui permet d’avoir un salarié un jour par semaine. « L’idée phare pour nous était d’avoir jusqu’au bout de notre carrière une ferme qui fonctionne bien, qui reste fonctionnelle et qui donne envie d’être reprise », continue Gilles Léon. Pour cela, le couple a construit une nouvelle fromagerie, plus grande et plus fonctionnelle et surtout indépendante de la maison d’habitation. Gilles et Véronique ont également investi dans un nouveau tracteur et un semoir à grains. Ils ont aussi discuté sérieusement avec leurs enfants, afin d’être sûrs qu’aucun d’entre eux ne souhaitait reprendre la ferme. « Il faut fixer un cadre légal solide pour la reprise de l’exploitation et prendre le temps de la rendre attractive », souligne Gilles.
Transmettre tout en laissant de l’autonomie
Visiblement l’objectif a été atteint puisque Céline Berthier et Marceline Péglion ont décidé de tenter leur chance au Gaec de la Jaubernie. Originaire des Alpes-Maritimes, Marceline a toujours eu l’idée de s’installer en élevage caprin. Et le goût de faire du fromage lui a été transmis par ses parents, éleveurs de vaches laitières et fromagers. Forte de différentes expériences dans le monde agricole – elle a été bergère, salariée en élevage, chargée de mission à l’Institut de l’élevage – elle a voulu forger ses connaissances des systèmes pastoraux et caprins. La jeune femme de 31 ans, a rencontré Céline, 32 ans, son associée aujourd’hui, grâce à des amis en commun. Marceline est arrivée en février sur l’exploitation pour une année de stage-reprise. « Cette formule est intéressante car elle me permet de tester le travail sur la ferme, son fonctionnement et la relation avec Céline sans m’engager pour autant », détaille-t-elle. Cela dit, l’installation définitive semble en bonne voie. Bien que Céline soit arrivée sur la ferme un an auparavant, Marceline a vite su trouver sa place. Notamment grâce à la volonté de Gilles et Véronique de transmettre exploitation et savoir-faire. Ils ont instauré une atmosphère de travail bienveillante. « Nous sommes en sureffectif sur la ferme, quatre au lieu de deux, plus un salarié à trois quarts de temps. Cela nous permet d’avoir le temps de bien comprendre les choses, s’enthousiasme la jeune femme. Nous fonctionnons en binôme, nous sommes toujours soit avec Gilles soit avec Véronique. Ils sont entièrement transparents autant sur la conduite de l’élevage que sur le travail en fromagerie ».
Savoir travailler ensemble est plus important que la technique
Les jeunes éleveuses apprécient également l’autonomie que leur laisse le couple. Céline développe : « Gilles et Véronique nous intègrent également au sein de leur réseau d’éleveurs, de voisins, d’amis qui peuvent venir donner un coup de main en cas de besoin. Mais je cherche aussi d’autres ressources de mon côté, sur des questions précises. Par exemple, c’est mon frère qui m’a appris à souder et un ami m’a expliqué comment poser et entretenir les clôtures ». Cheveux courts et regard clair, Céline est très enthousiasmée par cette nouvelle aventure qui s’offre à elle. Elle a déjà vécu une installation sur une exploitation caprine et maraîchage dans les Alpes-de-Haute-Provence où elle est restée pendant trois ans. Les relations avec ses collègues étant alors compliquées, elle a préféré quitter la ferme. D’un commun accord avec Marceline, elles ont décidé de suivre une formation sur le travail à plusieurs. « Il faut que les associés s’entendent bien, le reste suivra ! », assure Céline. Les deux jeunes femmes sont dans le même état d’esprit. Elles veulent être toutes les deux polyvalentes, gérer aussi bien l’élevage que la fromagerie et la vente et souhaitent également se dégager du temps en dehors de leur travail. « Une fois que nous aurons racheté la ferme, Gilles va rester encore un an comme salarié, mais après ça nous aimerions bien intégrer un troisième associé ou embaucher quelqu’un », lance Céline, pleine d’entrain pour l’avenir.