Mathilde Le Boulch, ingénieure d’études économiques à l’Ifip, l’Itavi et l’Idele
Pourquoi les cours des matières premières sont-ils si élevés et jusque quand vont-ils le rester ?
« Les hausses des cours des matières premières agricoles ont débuté à l’automne 2020 pour trois raisons principales : des récoltes mondiales assez mauvaises, que ce soit pour les céréales ou les protéines ; une désorganisation logistique liée à la pandémie ; une demande importante de la Chine, en soja et maïs notamment, qui reconstituait ses stocks de céréales et produits animaux.
Une conjonction donc de stocks mondiaux très bas avec une demande élevée, qui a soutenu les cours jusqu’au milieu de l’année 2021. En 2021, la bonne récolte de fourrages a donné de l’air aux éleveurs. On s’attendait alors à des bonnes récoltes permettant de rééquilibrer les marchés. Mais les quantités ont été dans la moyenne quinquennale en Europe et les récoltes de blé aux USA et de canola au Canada n’ont pas été au rendez-vous, ne permettant pas de renflouer les stocks, maintenant les cours à un niveau élevé sur tout 2021.
Aujourd’hui, la récolte de céréales a eu lieu dans l’hémisphère sud, et elle est très bonne, de 15 % supérieurs à la moyenne quinquennale en blé en Argentine. Cela a permis de détendre le marché et de ralentir l’augmentation des cours du blé et de maïs, les deux étant corrélés.
Des cours durablement hauts
Pour les protéines, les perspectives sont plus floues, les conditions climatiques en Argentine et en Inde, principaux pays fournisseurs en soja, menacent les récoltes avec un phénomène La Niña fort cette année. La prime non OGM est passée de 85 euros la tonne il y a deux ans à 270 euros la tonne sur le marché de Sète ! Les certifications non OGM qui se développent en Europe sont une préoccupation importante, l’approvisionnement du marché est tendu et il va falloir suivre les prix d’achat consommateurs.
Aujourd’hui, l’Europe cherche à diversifier son assolement pour accroître son autonomie protéique. Pourtant, la dernière publication Agreste estimant les emblavements 2022 en France ne va pas dans ce sens. Les surfaces de colza sont prévues inférieures à la moyenne quinquennale, et même si le soja est en légère augmentation, la sole totale reste faible. Les restrictions de plus en plus nombreuses sur les produits de protection des cultures pénalisent ces deux cultures qui sont complexes et demandent beaucoup de temps de travail.
Entre la demande qui reste forte et une offre limitée, conjuguée à une volatilité due à l’instabilité géopolitique (protectionnisme, inflation, pandémie…), et un prix du fret élevé, les cours vont être durablement hauts.
La guerre menée par la Russie en Ukraine aura des impacts considérables sur les marchés mondiaux, notamment des intrants pour les filières animales européennes, dont les coûts de production étaient déjà en très forte hausse avant l’invasion de l’Ukraine. L’origine « mer Noire » (Russie et Ukraine) fournit ainsi près de 30 % du blé et 15 % du maïs sur le marché mondial. La guerre aura forcément des impacts sur les exportations, ne serait-ce qu’en termes logistique. Les impacts se font déjà sentir sur les prix et pourraient surtout affecter les approvisionnements des pays du Proche Orient et d’Afrique du Nord très dépendants de cette origine. Par ailleurs, la Russie fournit aujourd’hui près de 50 % des approvisionnements en gaz de l’UE, dont les prix étaient déjà avant cette crise en très forte hausse, et une part importante des engrais azotés et phosphatés, dont les prix sont alignés sur ceux du gaz.
Les trois instituts techniques animaux, Idele, Ifip et Itavi publieront régulièrement des notes de conjoncture sur la situation. »