Les filières caprines européennes entre hausse des charges et attentes sociétales
De nombreux sujets ont été abordés lors de l’assemblée générale de la Fnec début avril : loi Egalim 2, explosion des charges en élevage, crise du chevreau, sécheresse… L’année 2022 a été marquée par de nombreux aléas conjoncturels. Ils viennent s’ajouter aux défis de l’adaptation au changement climatique et des attentes sociétales. Enjeux auxquels nos voisins européens sont aussi confrontés.
De nombreux sujets ont été abordés lors de l’assemblée générale de la Fnec début avril : loi Egalim 2, explosion des charges en élevage, crise du chevreau, sécheresse… L’année 2022 a été marquée par de nombreux aléas conjoncturels. Ils viennent s’ajouter aux défis de l’adaptation au changement climatique et des attentes sociétales. Enjeux auxquels nos voisins européens sont aussi confrontés.
La Fédération nationale des éleveurs de chèvres (Fnec) a tenu son assemblée générale les 5 et 6 avril à Paris après une édition 2022 en Vendée. Alors que la menace de réouverture des négociations tarifaires en juin plane, la flambée des charges et les relations commerciales ont fortement marqué l’année 2022.
Une première phase de discussions s’était clôturée fin février pour les produits à marques, comme tous les ans, et une renégociation quasi immédiate avait eu lieu jusqu’en juin-juillet. Cette seconde phase avait été déclenchée à la suite d’une nouvelle flambée des charges, conséquence de l’invasion russe en Ukraine. Au cours de l’année passée, la Fnec a alerté à plusieurs reprises sur la hausse des coûts de production et la nécessité de revaloriser le prix du lait.
Sur le plan des relations commerciales également, les premiers contrats-cadres prévus par la loi Egalim 2 entre organisations de producteurs (OP) et laiteries ont été signés. L’OP caprins Rians Centre (OPCRC) et l’entreprise Triballat Rians avaient ouvert le bal en juin. Les signatures des contrats-cadres se poursuivent, avec l’accord entre l’OP chèvres du Rouergue et Lactalis il y a quelques semaines.
Accompagner les éleveurs
Si la loi Egalim 2 concerne la filière caprine depuis 2021, son application aux producteurs fermiers et à la viande n’est effective que depuis la parution d’un décret fin 2022 (lire La Chèvre 374, janv-févr. 2023 p.12).
« Nous avons mené un travail collectif important pour accompagner les éleveurs caprins, tant laitiers que fermiers, dans l’application de la loi Egalim, a rappelé Jacky Salingardes, président de la Fnec, dans son discours. Nous avons notamment proposé aux organisations de producteurs caprines des formations et un modèle d’accord-cadre. En production fermière, nous regrettons que le seuil de 10 000 euros de chiffre d’affaires ait été choisi par le ministère, malgré nos demandes. Il est insatisfaisant et inadapté. Nous devons maintenant apporter des outils aux fermiers pour les aider dans l’application de la loi. » Un modèle de contrat et un guide d’aide à la contractualisation ont été diffusés au réseau Fnec mi-avril.
Ne pas rouvrir les négociations
Ces sujets restent bien évidemment d’actualité en 2023. Le syndicat garde un œil vigilant sur l’évolution des coûts de production et du prix du lait. « La possible réouverture des négociations en juin évoquée par le ministre Bruno Le Maire et demandée par certaines enseignes de la distribution m’inquiète beaucoup. Les éleveurs risquent d’en être la variable d’ajustement », a averti Jacky Salingardes.
Le sujet de la valorisation de la viande caprine a été plusieurs fois abordé au cours de l’assemblée générale, entre finalisation du projet ValCabri (voir La Chèvre 373, nov-déc. 2022, p.6), poursuite du programme TopCabri et mise en œuvre du plan de filière.
Côté fermier, en plus de l’application de la loi Egalim, le guide de gestion des alertes a été mis à jour en 2022 et une notice est en cours de finalisation par la Fnec. La loi antigaspillage pour une économie circulaire, dite Agec, est aussi étudiée avec attention pour accompagner les producteurs fermiers dans son application.
Enfin, l’année 2022 a également été marquée par une sécheresse importante, qui a mis sous pression les éleveurs, venant ajouter des difficultés aux charges déjà très élevées et réduisant les stocks de fourrages à zéro pour de nombreuses exploitations. Un nouveau dispositif d’assurance récolte a été présenté en fin d’année, plus incitatif pour les prairies. Mais la fiabilité des indices satellitaires utilisés est questionnée par les syndicats d’éleveurs de ruminants. Frein possible à l’adhésion des chefs d’exploitation, alors que l’ambition du gouvernement est de voir 30 % des surfaces en prairie assurées d’ici à 2030 ?
Installer de nouveaux éleveurs
Après le rapport d’activité, une table ronde intitulée « les principales filières caprines en Europe : état des lieux, enjeux et perspectives » a réuni des représentants caprins français, espagnols et néerlandais. En France, les enjeux sont bien connus, avec notamment le renouvellement des générations, le travail engagé depuis plusieurs années autour du bien-être animal, l’adaptation et l’atténuation de la contribution au changement climatique et, enfin, la réglementation fermière qui concerne un élevage caprin français sur deux.
Ces sujets sont bien évidemment aussi des préoccupations pour nos voisins européens espagnols et néerlandais, à des degrés divers.
Miguel Riesgo Pablo, conseiller agricole à l’ambassade d’Espagne a ainsi présenté les défis qui s’annoncent pour les 9 000 exploitations professionnelles caprines espagnoles, dont la moitié seulement en production laitière. Ce chiffre est en baisse de 3 % par rapport à 2021, associé à une diminution du cheptel de 1,1 % et de la production laitière de 7,1 % à 437 339 millions de litres.
À 50 ans, l’âge moyen des éleveurs caprins est inférieur de dix ans à celui de l’ensemble du secteur agricole. L’élevage caprin espagnol souffre lui aussi de la hausse des charges, avec des élevages intensifs sur des petites surfaces et des achats d’aliments qui pèsent pour 80 % du coût de production. Selon le conseiller, 40 à 50 % des élevages souffrent de marges réduites
Renforcer la consommation intérieure
« Les défis à relever pour les années à venir tournent autour de l’application de la Pac 2023-2027, avec notamment des aides couplées conditionnées au respect d’exigences de développement durable, a souligné Miguel Riesgo Pablo. La réflexion globale de la santé animale et humaine avec la stratégie "one health" est aussi une préoccupation, qui passe par la réduction de l’usage des antibiotiques en élevage. À part cette question de la lutte contre l’antibiorésistance, si le bien-être animal est un enjeu collectif, il occupe assez peu de place », a précisé le diplomate.
Dans un pays où la vente directe est peu développée, le gouvernement insiste sur la nécessité de créer des structures coopératives solides qui accompagnent les producteurs. Enfin, le défi des prochaines années est aussi de renforcer les labels de qualité et la consommation intérieure, y compris dans un contexte inflationniste.
Contrairement à la France et aux Pays-Bas, dont l’Espagne est cliente, la viande caprine est consommée par les Espagnols et bien valorisée. Le revenu viande représente en moyenne 10 % du revenu des éleveurs caprins lait. Un chiffre qui a fait rêver les éleveurs présents…
Près d’un tiers d’exploitations en moins aux Pays-Bas d’ici à 2040 ?
Entre moratoire sur les élevages caprins, lois environnementales et limitation des émissions d’azote, l’élevage néerlandais est sous pression.
Statu quo dans les élevages caprins
L’environnement et le climat tiennent une place importante dans l’actualité néerlandaise depuis plusieurs années : directives sur la protection de la nature, l’environnement et le climat ; directive nitrate, sur les eaux de surface et souterraines, et la loi azote, sur l’ammoniac dans l’air. Ce dernier dossier est particulièrement explosif comme l’ont montré les manifestations très importantes l’été dernier. « Nous pensons que la production agricole néerlandaise pourrait diminuer de 30 % d’ici dix à quinze ans en raison de ces trois contraintes réglementaires sur les émissions », s’inquiète Jos Tolboom.
Côté bien-être animal, la législation est en cours de construction.
Absence de débouché en viande
L’influence de la santé publique sur la production caprine est forte depuis une quinzaine d’années avec des cas de fièvre Q humains importants entre 2007 et 2010. Plus récemment, des habitants proches d’élevages caprins ont déclaré des pneumonies de façon plus fréquente que dans la population générale, conduisant le gouvernement à adopter un moratoire spécifique à l’élevage caprin. Tous les projets, modernisation ou agrandissement, sont bloqués. L’origine des contaminations est en cours d’identification, et c’est le statu quo en attendant.
12 euros par chevreau…
Sur la viande caprine, les difficultés sont encore plus importantes qu’en France, avec une absence totale de débouché local et très peu de producteurs fermiers qui pourraient développer cette production (20 à 30 sur les 440 éleveurs caprins néerlandais). Aujourd’hui, les éleveurs payent 12 euros par chevreau à l’engraisseur pour une valorisation finale de la viande de 4,50 €/kg. De plus, un certain nombre de chevreaux sont abattus entre 5 et 10 jours et orientés vers l’alimentation animale.
… payés par le naisseur
Les lactations longues sont très développées, avec une mise bas unique, et juste le bon nombre de naissances pour assurer le renouvellement. Il y a de moins en moins d’engraisseurs, et ceux qui voudraient se lancer ne le peuvent pas à cause du moratoire. L’objectif est de développer l’engraissement à la ferme, à condition de lever certains freins, dont le moratoire. Et depuis 2018, les éleveurs doivent être engagés dans la démarche qualité « Kwaligeit », obligatoire pour livrer du lait. Un des critères de qualification est la mortalité des chevreaux suivie en atelier d’engraissement. Le naisseur est tenu responsable si elle est trop élevée. Côté abattoir, les difficultés sont là aussi nombreuses entre sous capacité d’abattage et de vétérinaires sanitaires.
Malgré toutes ces contraintes, Jos Tolboom a le sourire et est confiant : « Nous avons un produit très apprécié et un métier valorisé par nos concitoyens. De bonnes raisons d’être optimiste ! »
Taux de remplacement à 106 % en filière caprine
Grâce aux données issues du recensement général agricole (RGA) de 2020 et de la MSA, et au financement de l’Anicap, Christophe Perrot de l’Institut de l’élevage a brossé un portrait des élevages, des éleveurs caprins et de leurs transformations sur les dix dernières années. L’objectif est de mieux comprendre les dynamiques pour anticiper des besoins en renouvellement des générations, formation, identifier des tendances… Avec un taux de remplacement de 106 %, l’élevage caprin fait figure d’exception (lire La Chèvre 373, nov-déc. 2022, p.10).
« La production laitière caprine est un secteur attractif et abordable, analyse-t-il. Depuis 2010, 54 % des installations sont hors cadre familial, aussi bien dans les exploitations individuelles qu’en Gaec. »
Autre point positif, la restructuration caprine a été modérée sur les dix dernières années, avec une légère réduction du nombre d’exploitations et une stabilité du nombre d’actifs. Les tendances sont différentes si l’on regarde, d’un côté, les livreurs et, de l’autre, les producteurs fermiers. Le nombre de ces derniers a rebondi alors que le secteur laitier se resserre légèrement. Entre 2010 et 2020, l’évolution est ainsi de 2 865 à 3 313 fermiers, et de 3 046 à 2 660 livreurs.