Comment Patuchev parvient à faire du lait avec de l’herbe
À l’Inrae de Lusignan, dans la Vienne, l’expérimentation-système Patuchev assume des choix techniques pour assurer une bonne autonomie des troupeaux caprins grâce aux mélanges multi-espèces, au pâturage et au séchage en grange. Revues des solutions techniques.
À l’Inrae de Lusignan, dans la Vienne, l’expérimentation-système Patuchev assume des choix techniques pour assurer une bonne autonomie des troupeaux caprins grâce aux mélanges multi-espèces, au pâturage et au séchage en grange. Revues des solutions techniques.
Deux types de prairies pour être autonome en fourrage
Au début de l’expérimentation Patuchev, il y avait deux types de mélanges prairiaux : un plutôt orienté pour la fauche et un autre orienté pour le pâturage en priorité. Maintenant, ce sont deux autres types de prairies qui permettent aux troupeaux d’être autonomes : l’un avec des plantes qui poussent vite au printemps et un autre mélange avec des espèces qui continuent à pousser quand il fait chaud. Comme il n’y a aucune fertilisation minérale, les deux mélanges contiennent une base de trèfle qui assure une alimentation en azote. Il y a aussi du plantain qui redémarre rapidement après l’hiver ou la sécheresse estivale.
Le mélange estival se fauche mieux au printemps et est davantage à pâturer pendant l’été. Le mélange estival est composé de luzerne flamande (8 kg/ha), luzerne méditerranéenne (8 kg/ha), sainfoin (40 kg/ha), lotier (2 kg/ha), trèfle blanc (2 kg/ha) et plantain lancéolé (1 kg/ha). Le mélange de printemps démarre vite et peut être pâturé en début de printemps puis fauché en été. Il contient 12 kg/ha de graminées (fléole, fétuque, ray-grass anglais), du trèfle violet (8 kg/ha), du lotier (4 kg/ha), du trèfle blanc (2 kg/ha) et du plantain lancéolé (1 kg/ha). Pour apporter plus de résilience, les mélanges prairiaux sont systématiquement multi-espèces mais associe également plusieurs variétés d’une même espèce (luzerne, trèfles, ray-grass anglais).
Un pâturage optimisé et maîtrisé
À Patuchev, les chèvres du système saisonné produisent au printemps un peu plus de quatre kilos de lait par jour avec 100 % d’herbe pâturée et 800 grammes de concentrés, composés principalement de méteils. Pour gérer le parasitisme, Patuchev travaille avec des blocs de pâturage où les chèvres ne passent pas plus de deux fois dans l’année, une solution facilitée par les mélanges prairiaux utilisés. En été, les chèvres sont rentrées en début d’après-midi quand il fait chaud. Elles n’ont ni ombre ni eau sur place et, surtout, cela ne sert à rien de les laisser trop longtemps sur la prairie. Les chèvres ont une grande capacité à pâturer efficacement. En huit heures de pâturage, elles peuvent ingérer 2,5 kilos de matière sèche, soit 100 % de la ration fourragère. Les laisser plus longtemps ne servirait qu’à augmenter l’infestation des prairies en parasites gastro-intestinaux. Contre ces parasites, Patuchev a aussi montré qu’un régime avec du foin de sainfoin permettait de diminuer le niveau d’excrétion d’œufs de parasites.
Les chevrettes prennent le goût de l’herbe dans des pâtures saines
Les deux lots de chevrettes au pâturage de Patuchev découvrent la prairie dans des parcelles qui leur sont dédiées. Dehors, la dizaine de chevrettes de chaque système dispose de 4 000 m² ainsi qu’un abreuvoir et un abri avec un râtelier rempli de foin. Les chevrettes désaisonnées au pâturage ne sont sur la pâture que d’avril à septembre, de l’âge de sept ou huit mois à un an environ. Les chevrettes saisonnées sont, elles, dès l’âge de quatre mois dehors et elles restent en pâture de juillet à octobre. Dans tous les cas, cela laisse un long moment sans animaux, ce qui casse le cycle des parasites. Et surtout, comme aucune chèvre adulte ne vient pâturer dessus, la parcelle est saine. La ration est d’ailleurs plutôt basée sur du foin à volonté. « On ne cherche pas à faire de la croissance avec de l’herbe pâturée, explique Hugues Caillat. Les chevrettes sont dehors pour apprendre le fil électrique et l’environnement extérieur. Elles peuvent manger de l’herbe mais ce n’est pas une obligation. » Avec ces fourrages et 50 % de concentrés autoproduits, elles ont une bonne croissance et atteignent un poids moyen de 36 kilos à la reproduction.
Deux méteils différents en début et en fin de lactation
Combiner dans les champs céréales et protéagineux permet d’associer énergie et protéines dans l’alimentation. Les mélanges céréales-protéagineux couvrent rapidement les sols et s’adaptent aux conditions climatiques. À Patuchev, deux types de méteils sont récoltés sous forme de grain. Le méteil à base de triticale, pois et féverole est distribué en début de lactation et pendant environ quatre mois à hauteur de 500 à 600 grammes par jour et par chèvre. Riche en protéines avec environ 18 % de MAT (matière azotée totale) et en énergie avec environ 1 UF (unité fourragère), il correspond à un concentré du commerce. Dans la ration il est complémenté par 250 à 300 g d’aliment du commerce. Le mélange vesce-avoine-orge-féverole est lui plus riche en énergie. Ce mélange riche en énergie est distribué en deuxième moitié de lactation avec un complément d’orge pure. Il permet la reprise d’état pour la reproduction. Ces mélanges sont faciles à cultiver car ils ne nécessitent aucune intervention entre le semis et la récolte. Sur les limons argileux de Lusignan et sans aucune fertilisation minérale, ni intervention phytosanitaire, le rendement avoisine généralement les 40 quintaux par hectare et il peut monter jusqu’à 50 quintaux les bonnes années comme en 2024. Ces mélanges permettent d’obtenir 50 à 60 % d’autonomie en concentrés pour les troupeaux. « On a mis du temps avant de trouver le bon mélange et le bon pourcentage, reconnaît Hugues Caillat. Mais si ce mélange est bien adapté à notre contexte, ce ne sera peut-être pas la même chose pour d’autres élevages ».
Des rotations longues pour éviter les maladies
Chaque lot de 60 chèvres dispose d’un peu plus de 10 hectares pour s’alimenter. Les rotations des cultures s’étalent sur dix ans pour éviter un retour trop rapide des mêmes cultures qui pourrait développer les maladies. Cela permet à Patuchev de n’utiliser aucun pesticide. Les cultures s’enchaînent avec un méteil, un premier mélange de prairie, un méteil puis le deuxième mélange de prairie. Cultivés sans engrais azoté, les méteils bénéficient de l’azote apporté par l’arrière-effet-prairie. La prairie multi-espèce est une bonne tête de rotation qui améliore la structure physique du sol, diminue la pression de maladies et d’adventice sur les cultures. Une fois retournée, la prairie libère de l’azote pour les cultures suivantes.
Le séchage en grange pour conserver la valeur de l’herbe
Le séchage en grange permet de garder la valeur alimentaire de l’herbe verte. Il permet de récolter le foin en vrac au stage végétatif optimal, soit dix jours avant épiaison pour les graminées et au stade bourgeonnement pour les légumineuses. Plus souple, il facilite l’organisation du travail puisque les chantiers de récolte sont moins dépendants de la météo et plus facilement programmables. Le foin est rentré encore souple et un peu humide (50 à 65 % de MS). Les feuilles, riches en azote, ont alors moins de risque de se casser dehors et se perdre dans la nature. L’herbe coupée va rester quelques heures au soleil, ce qui va couper la respiration cellulaire et donc la consommation de glucose. Ce premier séchage est complété par le séchoir et la plante va alors arrêter de consommer son énergie. Avec plus d’énergie, la plante est plus digestible et donc plus ingestible ce qui permet d’arriver à des niveaux d’ingestion de foin de 2,3 kilos de matière sèche, soit au moins 70 % de fourrage dans la ration. Avec ce foin, l’essentiel des besoins de la chèvre est couvert par les fourrages et non par les concentrés. À Patuchev, la fauche intervient en fin de matinée ou début d’après-midi afin de profiter des sucres créés par photosynthèse le matin. Mais aussi afin que le soleil et la chaleur stoppent vite la respiration cellulaire consommatrice d’énergie.
Un arrêt progressif des hormones tout en gardant l’insémination
Patuchev a progressivement évolué pour ne pas utiliser d’hormones tout en conservant des inséminations. À partir de 2018, les chèvres n’ont plus reçu de PMSG. D’abord en appliquant le traitement éponge et effet mâle avec des inséminations non plus à 43 heures mais à 52 heures après le retrait des éponges. Cela impose aussi de détecter les chèvres en chaleur à l’aide de boucs vasectomisés et harnaché de tablier marqueur.
Depuis trois ans, il n’y a plus de pose d’éponge et les inséminations animales se font sur chaleur naturelle. Les boucs vasectomisés restent dix jours avec les chèvres. Les premières inséminations ont lieu sept jours après avoir retiré les boucs et les inséminations s’étalent sur quatre jours. La transition vers une reproduction par insémination avec moins ou même sans hormones n’a pas causé de baisse de fertilité notable quel que soit le système. Les chevrettes sont conduites en monte naturelle avec un poids moyen de 36 kilos et une fertilité de 95 % en 2022.
Des grosses brosses pour le bien-être des chèvres
Le dispositif Patuchev a permis de tester quatre types de brosses pour enrichir le milieu des chèvres. L’utilisation des brosses a été enregistrée par des capteurs et des vidéos. Leur préférence a été de loin portée sur les brosses automatiques, suivies par les brosses midi et fixe. Les brosses mini, de plus petites tailles mais les moins coûteuses, ont été les moins utilisées. Avec ses brosses, les chèvres restent moins longtemps inactives et elles se sont moins frottées à l’environnement. Certaines brosses étaient davantage utilisées pour le corps et d’autres, davantage pour la tête.
Journée technique caprine Cap’vert
La 5e journée technique caprine Cap’vert se tiendra le jeudi 10 octobre 2024 sur le site Inrae de Lusignan, dans la Vienne. Cette journée permet de diffuser les résultats des travaux des dispositifs expérimentaux Inrae Patuchev et Ferticap et du réseau REDCap. Elle permet des échanges entre éleveurs caprins et techniciens et propose des ateliers pour questionner les chercheurs et des éleveurs. La journée débutera par une présentation générale des principaux résultats obtenus depuis 10 ans puis sera suivie par sept ateliers de 45 minutes.
Le prix est de 12 euros, repas caprins inclus, et l’inscription doit être fait avant le 30 septembre en ligne sur redcap.terredeschevres.fr/spip.php?article190