À l'EARL du Joly, dans les Hautes-Pyrénées
Veau sous la mère et canards, deux productions rémunératrices
Partis de rien, Marie-Christine et Thierry Leiciagueçahar ont créé une exploitation avec du veau sous la mère et du canard prêt à gaver qui, aujourd’hui, les rémunèrent correctement.
Partis de rien, Marie-Christine et Thierry Leiciagueçahar ont créé une exploitation avec du veau sous la mère et du canard prêt à gaver qui, aujourd’hui, les rémunèrent correctement.
La passion du veau sous la mère lui vient de loin. À 16 ans, Thierry Leiciagueçahar négociait seul les « repoupets » (veau de quelques jours) sur le marché de Rabastens-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) pour les engraisser chez son grand-oncle. Celui-ci lui avait mis le pied à l’étrier dès l’âge de 11 ans. Il s’y est taillé une solide réputation, notamment auprès d’agriculteurs âgés qui partageaient la même passion pour les veaux et appréciaient son coup de main pour les amener au marché. Arrivé au terme de leur carrière, plusieurs d’entre eux lui ont proposé des terres et des étables pour « monter » sa propre ferme. C’est ainsi qu’en 1999, à 27 ans, il réalisait son rêve de toujours : acheter enfin ses premières vaches pour produire du veau sous la mère. Huit ans plus tôt, Marie-Christine, son épouse, avait créé son exploitation au côté de celle de ses parents, avec trois hectares de maraîchage de plein champ, 5 000 m2 de serres et du canard prêt à gaver. Aujourd’hui, l’EARL du Joly, à Trouley-Labarthe (Hautes-Pyrénées), exploite 86 hectares (dont 26 ha en propriété) et élève une quarantaine de vaches bazadaises et normandes et une vingtaine de génisses. De par la façon dont il a été constitué, le parcellaire est dispersé mais de bonne qualité (terres de vallée). Le couple élève également 40 000 canards par an sous les anciennes serres réaménagées, et bientôt dans des bâtiments en dur, pour une filiale d’Intermarché. Une activité qui assure une part majoritaire du revenu. Le maraîchage a été abandonné à l’arrivée des enfants. Marie-Christine est associée à ses parents dans une autre exploitation avec 48 hectares de céréales et 20 000 canards supplémentaires.
« On intéresse les clients avec la Bazadaise »
Thierry Leiciagueçahar a démarré la production de veau sous la mère avec des vaches croisées : « on les inséminait avec du Bazadais, cela donnait de bons veaux ». Petit à petit, il a constitué un troupeau de race pure. « On trouve notre compte dans cette race. Elle vêle facilement. Les veaux sont bien conformés et s’engraissent correctement. Ses qualités sont recherchées : finesse d’os, qualité de la viande. On intéresse les clients avec la Bazadaise. » Le cheptel compte deux tiers de Bazadaises. La reproduction est assurée par un taureau et avec l’insémination. L’éleveur n’est pas pleinement satisfait du niveau génétique de son cheptel, notamment le gabarit et le potentiel laitier des vaches. « Nous avons démarré tous les deux avec rien. Il a fallu investir dans la stabulation, le foncier, les bêtes, le matériel... détaille Marie-Christine. On ne peut pas avoir un cheptel comme ceux qui sont en place depuis plusieurs générations. » « La génétique n’est pas si mauvaise, vu l’historique de l’exploitation, tempère également Sébastien Wattremez, technicien à Elvéa Pyrénées. Thierry est exigeant et voudrait atteindre en termes de gabarit le niveau des élevages du berceau de race. »
Difficulté de trouver des Bazadaises prêtes à vêler
L’éleveur est confronté aussi à la difficulté de trouver localement des vaches bazadaises prêtes à vêler. S’il élève quelques génisses, il achète majoritairement le renouvellement. « Je préfère vendre des veaux gras à 1 300 euros plutôt que de garder pour le renouvellement des femelles qui n’auraient pas forcément fait des vaches adaptées à la production de veau sous la mère. On trouve des petites génisses, mais elles sont trop longues à élever. Je voudrais les acheter au moins prêtes à saillir. Acheter le renouvellement m’a fait gagner beaucoup de temps pour monter le cheptel », explique-t-il. Cette année, pour accroître rapidement le troupeau - cinquante-trois vaches à vêler - afin de compenser les pertes liées à la crise aviaire, il a acheté dix-sept Limousines (génisses pleines et vaches). À l’avenir, il souhaite néanmoins « rester en Bazadaise » et aller s’approvisionner directement dans le berceau de race. La baisse des annuités permettra d’y consacrer un peu plus de moyens.
Les veaux croisés sont vendus à 115 kilos de carcasse en moyenne, les Bazadais à 130 kilos. Parmi ces derniers, les meilleurs sont valorisés sous la marque "Grain de soie", créée par un abatteur des Hautes-Pyrénées (Cavia). Par rapport aux veaux simplement labellisés, ils sont payés 1,5 euro par kilo de plus (9,50 € au lieu de 8 €). « Localement, cette démarche a tiré les prix vers le haut sur les bons veaux », indique Sébastien Wattremez. Trois cents veaux par an sont valorisés sous cette marque. L’éleveur vend les veaux croisés à un boucher. Les Bazadais sortent plutôt bien en classement (1U2 en moyenne).
« Énormément de carences en magnésium »
« La race Bazadaise permet d’atteindre l’objectif de classement idéal en termes de conformation et de couleur », affirme le technicien. « C’est la façon de faire téter aussi », ajoute l’éleveur. Depuis deux ans, il a augmenté le nombre de tantes (30 % du cheptel). Achetées génisses, elles entrent progressivement en production. « L’an prochain, les résultats devraient être meilleurs », espère-t-il. Il a aussi amélioré le rationnement. Ainsi, depuis l’an dernier, il n’utilise plus de lait en poudre.
Mais certains veaux sortent encore trop légers, ce qui baisse la moyenne de prix à un peu plus de mille euros pour les Bazadais. La génétique sans doute. Mais aussi un problème spécifique à la région. « Localement, il y a énormément de carences en magnésium, explique Sébastien Wattremez. Elles se traduisent par des veaux qui ne se développent pas et font des crises d’épilepsie quand ils sont presque prêts à vendre, voire des crises cardiaques. C’est presque irrattrapable. » Pour prévenir ces carences, vaches et génisses sont complémentées avec un bolus d’oligoéléments à la mise à l’herbe, et les veaux avec du magnésium à l’âge de 1 mois puis un mois plus tard.
« Dans cinq ans, parmi les meilleurs éleveurs de veaux »
Thierry Leiciagueçahar n’engraisse pas les vaches de réforme. « Mes petites vaches, je les vends entre 1 400 et 1 500 euros à Charal qui les fait engraisser pour le magasin Auchan de Bordeaux. Vu le coût de la ration, le manque de place pour les garder, le temps à y consacrer et le poids carcasse qu’elles feraient, ça ne vaut pas le coup de les garder. Avec le même argent, j’achète une autre vache ou une génisse », calcule-t-il avec son sens inné du commerce.
« Thierry a des marges pour progresser. Il a le potentiel pour arriver à un prix moyen de 1 300 euros par veau bazadais, en continuant à travailler sur la génétique et la complémentation alimentaire des vaches nourrices pour valoriser au maximum les tantes... affirme Francis Rousseau, animateur de l’association Le Veau sous la mère. Il n’est pas encore en situation de croisière. Dans cinq ans, il sera parmi les meilleurs éleveurs de veaux sous la mère du département. Marie-Christine et Thierry ont accompli un parcours admirable depuis leur installation. » « Mon grand oncle m’a toujours dit : “tu t’en sortiras en faisant ce que ne font pas les autres” », raconte Thierry Leiciagueçahar. La leçon a été bien apprise.
Des légumineuses pour améliorer la ration et l’autonomie protéique
Pour améliorer la production laitière des vaches, Thierry Leiciagueçahar travaille sur la qualité et l’équilibre énergie/azote de la ration. Il vise aussi à améliorer l’autonomie protéique. Deux objectifs qui l’ont conduit ces dernières années à diversifier l’assolement. Il implante des mélanges multiespèces à dominante légumineuses (10 espèces dont 3 trèfles et de la luzerne). L’an dernier, il a également semé 5 hectares de luzerne pure. Les prairies multi-espèces sont irriguées et assurent la pâture des vaches en journée (9 ha pour 30 vaches). La nuit, elles sont au foin et celles qui nourrissent reçoivent 3 kilos d’aliment complémentaire (17 % de MAT) au moment de la tétée. Ces prairies sont arrosées avec un pivot en Cuma. « Nous faisons 7 à 9 tours d’eau sur la saison, ce qui nous permet d’avoir toujours de l’herbe », dit l’éleveur. Il ensile 3 hectares de méteil (avoine, triticale, vesce, pois) et 3 hectares de maïs. Ces deux ensilages sont distribués en hiver à parts égales et complétés avec du foin à volonté et 1,5 kilo de correcteur azoté (39,5 % MAT) pour les nourrices. La luzerne a permis d’en réduire la quantité. Les terres les plus éloignées, irrigables également, sont valorisées par des cultures de vente, maïs, soja, tournesol selon les années.
« Sur le plan commercial, Thierry est excellent »
« Marie-Christine et Thierry ont constitué une structure cohérente en partant de rien mais en choisissant les productions les plus rémunératrices, même si elles génèrent beaucoup de travail. Thierry maîtrise bien son sujet, même si des améliorations sont encore possibles. Il est confronté, comme beaucoup d’éleveurs de la région, à des petits soucis de carences en magnésium et en fer. Mais, petit à petit, on arrive à les régler. Thierry a conservé son savoir-faire acquis sur les marchés pour bien valoriser ses veaux. Sur le plan commercial, il est excellent. Enfin, il a su maîtriser les contraintes réglementaires liées à la PAC, en diversifiant l’assolement, pour en faire un atout technique. Le résultat est positif car il n’utilise plus de lait en poudre. Il pourrait encore améliorer le pâturage en remettant plus vite un fil arrière. La maîtrise de l’autonomie protéique, mais aussi une meilleure utilisation des prairies, malheureusement trop souvent sous-valorisées dans notre région, sont des axes de travail majeurs pour les années à venir. »
Sébastien Wattremez, technicien Elvéa Pyrénées