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Une Stabiliser déstabilisante pour la génétique allaitante

Race composite d’origine étatsunienne, la Stabiliser vient de faire son arrivée dans le Grand Est de la France. Les réactions sont contrastées. L’enthousiasme des uns est à la hauteur de l’agacement des autres.

Il n’existe pas de race allaitante spécifiquement issue du terroir Lorrain. Les choses pourraient évoluer dans les années à venir dans la mesure où des éleveurs de cette région — et plus largement du Grand Est de la France — entendent être les pionniers dans le développement de la Stabiliser. Une race bovine ou plus exactement une souche composite (voir encadré) initialement sélectionnée aux États-Unis puis adoptée par des éleveurs britanniques, lesquels l’estiment adaptée à la fois à leurs systèmes d’élevage et aux attentes des abatteurs d’Outre-Manche. Les 17 premières génisses Stabiliser arrivées en novembre dernier sur le sol français proviennent d’ailleurs d’un élevage britannique. Elles sont dans un premier temps destinées à être utilisées comme donneuses d’embryons et sont actuellement hébergées dans une stabulation d’Elitest, à Épinal, dans les Vosges.

Adapter la production à un marché en pleine mutation

L’arrivée de la Stabiliser dans l’Hexagone est à l’initiative de l’association Bovinext, laquelle a été constituée en avril 2017. Ses membres fondateurs sont la Chambre régionale d’agriculture Grand Est (Crage), la coopérative d’insémination Elitest et l’Association de productions animales de l’Est (Apal). Les responsables de Bovinext ont l’an dernier signé un accord avec la Stabiliser Cattle Company. Selon les termes de ce contrat, Bovinext bénéficie en France de l’exclusivité de son développement. Bovinext a donc pour premier objectif d’introduire, d’expérimenter et de développer le recours à ces animaux sur la région et plus largement sur le territoire national. Elle bénéficie pour cela d’un partenariat avec la Banque populaire.

D’après ses promoteurs, l’intérêt de la Stabiliser réside d’une part dans sa précocité sexuelle et ses qualités maternelles, lesquelles vont dans le sens une conduite d’élevage facile et d’un premier vêlage à deux ans. D’autre part, la forte proportion de sang Angus et Hereford dans ses origines offre la possibilité de produire avec des animaux abattus à moins de deux ans, des carcasses somme toute légères mais avec une viande déjà bien colorée et un bon niveau de persillé. Autant de caractéristiques qui vont dans le sens de la demande formulée par bien des restaurants, à la recherche de viande offrant des garanties côté couleur, tendreté et qualités organoleptiques sur des muscles piécés dont la dimension est en phase avec l’appétit et le pouvoir d’achat de leur clientèle. « La Stabiliser correspond à cette attente du marché compte tenu de sa précocité», explique Laurent Rouyer, président de Bovinext et membre du bureau de la Crage. Et d’ajouter que différents opérateurs de l’aval, et pas les moindre côté tonnages, suivent de près ce dossier. À signaler que les éleveurs laitiers actuellement engagés dans la démarche Herbopack initiée par Charal et EMC2 élevage peuvent utiliser des taureaux d’IA Stabiliser en croisement sur laitières pour produire les bouvillons et génisses légères correspondant à ce programme.

Échanges parfois très vifs

Sur le terrain, le moins qu’on puisse dire est que l’arrivée de la Stabiliser ne laisse pas indifférent. Elle fait même des vagues. « Il y a eu des réunions de présentation un peu houleuses l’an dernier. On va dire que les échanges ont parfois été très vifs, mais pour autant constructifs », reconnait Laurent Rouyer. « Notre démarche a beaucoup fait parler. Et d’ailleurs cela continue ! » ajoute Stéphane Peultier, président de l’Apal et vice-président de Bovinext.

L’argument des détracteurs du projet est de dire que la France possède déjà un patrimoine génétique diversifié, avec des animaux aux formats, aux morphologies et aux aptitudes complémentaires. Même si elles relèvent d’effectifs modestes, les races britanniques (Angus, Hereford, Highland) complètent l’offre hexagonale. Dans ces conditions, en quoi serait-il nécessaire d’aller chercher ailleurs ce que l’on a déjà chez nous ? Et d’autres éleveurs de s’interroger pour savoir s’il n’aurait pas été possible d’arriver à un résultat similaire pour moins cher en faisant évoluer la génétique française vers des formats plus modéré, quitte à faire un peu de croisement terminal avec des races anglo-saxonnes.

Les initiateurs de Bovinext se défendent d’avoir voulu introduire le loup dans la bergerie, mais reconnaissent vouloir mettre en place un autre modèle, assez différent des principales races à viande françaises où les objectifs de sélection ont longtemps accordé une place prioritaire à l’accroissement du format et du potentiel de croissance. Des orientations de sélection qui ont donné des résultats, mais point trop n’en faut pour autant. En allaitant, au moins une fraction du marché s’oriente vers des carcasses plus légères avec la volonté d’accorder un peu plus d’importance au persillé intramusculaire dans la mesure où le gras c’est aussi le goût ! « Il faut anticiper les marchés de demain. Quel type d’animaux sera demandé dans dix ou quinze ans ? On presse certaines évolutions avec une demande davantage orientée vers des animaux de format modéré qui peuvent être abattus plus jeunes et où une alimentation avant tout basée sur l’herbe pourra être mise en avant. Notre objectif est d’anticiper ces évolutions», ajoute Philippe Sibille, directeur d’Elitest. Et ce dernier de faire un parallèle avec le marché du lait. « Pendant des années les taureaux laitiers « modernes » étaient à + 2 en TP et -2 en TB. Vingt ans après on s’interroge pour savoir comment augmenter la matière grasse dans le lait ! » Et de préciser. « Notre intention est d’offrir une autre alternative. »

Proposer en amont ce que souhaite l'aval

« Il faut s’adapter aux évolutions des marchés », insiste Daniel Gremillet, désormais sénateur et conseiller régional des Vosges après avoir été éleveur et responsable professionnel. Il existe des débouchés pour des carcasses de 450 kg et plus mais il en existe aussi pour des animaux beaucoup plus légers qui peinent sérieusement à être approvisionnés avec des animaux issus du cheptel allaitant français. « Quand je vois le nombre de restaurants qui proposent de l’Angus — forcément importé — mais pour lequel nous n’avons pas véritablement l’équivalent à proposer, cela me fait mal. Attention, la demande évolue rapidement. Il faut adapter notre offre. Dans les restaurants plus personne ne veut d’entrecôtes ou de faux filets qui peinent à entrer dans les assiettes. Mais c’est aussi à l’aval de nous dire quel est le volume d’animaux nécessaires pour répondre à ces marchés », soulignait l’ancien président de la chambre d’agriculture des Vosges. Et ce dernier d’expliquer en reprenant sa casquette de conseiller régional. « La région va accompagner ce projet sur une durée de cinq ans. La pose d’embryon dans des exploitations adhérentes de Bovinext pourra bénéficier d’une aide de 100 €/embryon posé au cours des cinq années à venir. »

La Stabilizer, quesaco ?

La Stabiliser est une race composite issue de croisements entre l’Angus, la Simmental, la Hereford et la Gelbvieh. Ce sont des animaux toujours génétiquement sans cornes, sélectionnés pour leur précocité sexuelle et leur docilité. Leur robe est rouge ou noire, avec des vaches adultes qui ne dépassent guère les 650 kg vif avec un objectif de vêlage à deux ans systématique. Comme c’est classiquement pratiqué dans les pays anglo-saxons, les créateurs de la Stabiliser se réservent la possibilité d’utiliser s’ils le jugent nécessaire des reproducteurs des races fondatrices pour améliorer au fil des besoins certaines aptitudes. La part croissante du sang Angus est à ce propos évidente. Elle est confirmée par la proportion de plus en plus importante d’animaux à la robe noire. Quinze des dix-sept génisses importées par Bovinext sont noires ! Côté poids carcasse, en Grande-Bretagne les taurillons Stabiliser sont classiquement abattus autour de quatorze mois pour des poids carcasse objectif de 350 kg. Avec des bouvillons, l’objectif est 330 kg à seize mois pour des animaux finis à l’auge ou à vingt mois s’ils sont finis à l’herbe pour des carcasses très majoritairement classées R.

Bovinext : objectif 1000 femelles en 2022

Pour développer en France un noyau de sélection, Bovinext mise d’abord sur la transplantation embryonnaire. 119 embryons ont été importés de Grande-Bretagne en décembre 2017 et ont commencé à être mis en place. L’objectif est de continuer à en acheter une cinquantaine par an dans les quatre ans à venir, en diversifiant les lignées. L’achat de 17 génisses nées entre le 24 février et le 10 avril 2017 vise à réduire les frais en produisant en parallèle le plus possible d’embryons sur le territoire français. Dans la mesure où faire venir du bétail de Grande-Bretagne peut présenter un risque sanitaire lié en particulier à l’IBR et à la tuberculose, ces génisses on subit une double quarantaine anglaise puis française avec toute une batterie d’analyses. Elles sont entrées en février dans la station de donneuses d’Elitest. Les collectes sur les plus âgées d’entre elles doivent démarrer en mars. « L’ambition est de produire dans un premier temps une bonne trentaine d’embryons par donneuse en travaillant pour cela essentiellement avec de la semence sexée femelle », précise Philippe Sibille. Il est ensuite prévu que ces génisses, propriété de Bovinext, aillent sur la ferme pédagogique du lycée agricole de l’Alpa à Haroué en Meurthe-et-Moselle pour constituer un premier cheptel reproducteur. « Bovinext est porteur du projet. Elitest est prestataire », souligne Laurent Rouyer, président de Bovinext.

Partager ses résultats avec le reste du monde

À partir des embryons mis en place dans les élevages intéressés l’ambition est de développer un noyau de sélection avec l’objectif d’avoir d’ici cinq ans environ 1000 femelles présentes dans 50 élevages. Les éleveurs partenaire devront adhérer à Bovinext et suivre les outils classiques d’un cheptel en base de sélection. Il n’y aura pas d’évaluation génétique franco-française, mais une évaluation internationale. Il est prévu que les données liées au contrôle de performances soient traitées avec celles en provenance d’élevages nord-américains et britanniques. Une trentaine d’éleveurs, principalement lorrains mais également normands, picards et bourguignons s’étaient, début février, engagés dans cette nouvelle aventure.

www.bovinext.fr

Quelques chiffres

- Coût de l’adhésion à Bovinext : 100 €/élevage/an.
- Prix des embryons pour les adhérents : 500 €/embryon sexée femelles et 400 € pour un embryon issu de semence conventionnelle. L’éleveur choisit son prestataire pour la pose des embryons.

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