Six questions sur la faisabilité du vêlage à 2 ans en élevage bovins viande
Julien Renon, de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, s’appuie sur sept années d’expérimentation à la ferme expérimentale de Jalogny qui ont permis de comparer le vêlage à 2 ans et le vêlage à 3 ans sur un troupeau Charolais. Il analyse aussi les pratiques d’éleveurs qui ont une longue expérience du vêlage à 2 ans dans le réseau Inosys – réseaux d’élevages Charolais.
Julien Renon, de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, s’appuie sur sept années d’expérimentation à la ferme expérimentale de Jalogny qui ont permis de comparer le vêlage à 2 ans et le vêlage à 3 ans sur un troupeau Charolais. Il analyse aussi les pratiques d’éleveurs qui ont une longue expérience du vêlage à 2 ans dans le réseau Inosys – réseaux d’élevages Charolais.
« Nous nous plaçons ici dans la perspective d’augmenter le nombre de vêlages en passant au vêlage à 2 ans », a présenté Julien Renon lors de la journée « grand angle viande » en novembre 2020. Pour envisager le passage au vêlage à 2 ans, il faut maîtriser les fondamentaux que sont la conduite de la reproduction, le suivi des croissances et la constitution des stocks fourragers. Au-delà, six questions se posent à l’éleveur.
1 – comment réussir la reproduction des génisses à 14-15 mois ?
L’élevage de la ferme de Jalogny était conduit à l’époque de l’expérimentation sur le vêlage à 2 ans avec des naissances se déroulant pour 60 % sur le mois de décembre, et le reste en janvier et février. Une synchronisation des chaleurs était systématique sur l’ensemble des génisses. « Il y a un seuil déterminant, qui est dans notre troupeau de 430 kilos vifs minimum à l’âge de 14-15 mois.» Un taux de gestation de 83 % était obtenu au-delà de ce seuil. Au-delà de 450 kilos de poids vif, la réussite de la repro était équivalente à celle des génisses âgées de 24-26 mois, classiquement mises à la reproduction pour vêler à 3 ans.
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La période entre le sevrage et la rentrée en bâtiment pour la repro est importante pour garantir cette performance. «Il faut distribuer une ration précise, avec un fourrage de bonne qualité. On vise un gain de 140 kilos de poids le premier hiver par une conduite alimentaire adaptée.» Le rythme de croissance ne doit pas dépasser 700 grammes par jour. « Autrement dit, il ne faut pas essayer de rattraper pour ces femelles un poids insuffisant au sevrage par une alimentation hivernale excessive. Les coups d’accélérateur vont sinon se traduire par des dépôts de gras qui pénalisent la reproduction. Celles qui ont du gras auront en plus un tissu mammaire moins développé, ce qui amputera leurs performances de lactation. »
Lors de cette expérimentation à Jalogny, une baisse de la réussite de la reproduction après deux IA a été détectée quand la mise à la repro était pratiquée au-delà de 470 kilos de poids vif. «Les génisses concernées ont cependant été fécondées par un taureau après deux IA non fécondantes», précise Julien Renon.
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Le choix des taureaux pour vêler à deux taureaux est le même que pour des génisses vêlant à 3 ans. Ce sont des taureaux d’IA avec un index Ifnais supérieur à 110, et des taureaux de monte naturelle testé dans l’élevage sur génisses. « Si cela fonctionne dans son cheptel pour des génisses vêlant à 3 ans, ça marchera aussi pour celles qui vêlent à 2 ans. »
2- comment se déroule le premier vêlage à 24-26 mois ?
« Il n’y a pas plus de vêlages difficiles qu’avec des génisses de 3 ans » est l’un des principaux messages que l’on peut retenir. Il n’a pas été constaté de différence dans la préparation des génisses ni dans le déroulement des naissances entre celles vêlant à 2 ans et celles vêlant à 3 ans. « Le poids de naissance des veaux des génisses de 2 ans est plus faible : ils pèsent 41 kilos en moyenne contre 45 kilos pour ceux dont la mère a 3 ans. »
Une surmortalité dans les 48 premières heures des veaux nés de génisses vêlant à 2 ans a été observée, en lien avec le poids plus léger des veaux et aussi avec un taux de gémellarité élevé à Jalogny, de 10 % (encore accru avec la synchronisation des chaleurs). Cette mortalité était de 18 %, contre 9 % en premier vêlage à 3 ans.
«Attention de ne pas interpréter abusivement ce résultat, qui peut faire peur de premier abord», précise Julien Renon. Au deuxième vêlage, la tendance est la même mais l’écart est moindre : les femelles ayant vêlé pour la première fois à 2 ans subissent une mortalité de leur veau dans les 48 premières heures de 12 %, contre 6 % au deuxième vêlage pour les femelles ayant vêlé pour la première fois à 3 ans. Et à partir du troisième veau, la tendance s’inverse : la mortalité est de 5 % pour celles ayant vêlé pour la première fois à 2 ans, et de 10 % pour celles ayant vêlé pour la première fois à 3 ans.
« À l’échelle d’un troupeau de 100 vêlages, l’introduction du vêlage à 2 ans représente un à deux veaux sevrés en moins. C’est un effet équivalent à la variabilité observée d’une année à l’autre en élevage, et un effet moins fort qu’un accident sanitaire ou alimentaire », observe Julien Renon.
3- après un vêlage à 2 ans, comment se passe la reproduction ?
À la ferme expérimentale de Jalogny, les génisses sont toutes conservées pour faire carrière dans l’élevage. Après le premier vêlage, le taux de gestation des primipares ayant vêlé à 2 ans est légèrement inférieur à celui des femelles ayant vêlé à 3 ans (85 % de taux de gestation contre 91 %). Pour les vêlages suivants, il n’y a plus de différence selon l’âge au premier vêlage, et même un tout petit plus (87 % contre 86 %) pour celles ayant vêlé à 2 ans.
Il n’a pas été observé d’écart sur les IVV entre les femelles ayant vêlé à 2 ans et celles ayant vêlé à 3 ans. « À Jalogny, les vêlages étaient au moment de l’expérimentation organisés pour intervenir sur une période de cent jours, avec réforme systématique des femelles qui ne cadrent pas. Cette conduite ne pose pas de problème avec le vêlage à 2 ans. » Julien Renon rappelle que le choix du taureau influe sur les conditions de vêlage, qui elles-mêmes ont des conséquences sur la fertilité.
L’alimentation des primipares ayant vêlé à 2 ans est renforcée avec un kilo supplémentaire de concentré durant tout l’hiver (de l’orge tout simplement à Jalogny) par rapport aux primipares ayant vêlé à 3 ans. « En général, cela densifie suffisamment la ration. » Leur capacité d’ingestion est inférieure de 10 % par rapport à celle des primipares de 3 ans, et leurs besoins de croissance sont plus importants.
Si on pratique l’IA et que les chaleurs des primipares sont difficiles à voir, un recours à la synchronisation des chaleurs est possible. En monte naturelle, attention de ne pas laisser trop longtemps le taureau pour vouloir réussir. Il vaut mieux s’en tenir à la date de retrait du taureau qui permet de maintenir la plage de vêlages.
4- croissance des veaux de génisses : quelle différence ?
On observe une croissance un peu plus faible des veaux de génisses ayant vêlé à 2 ans, de l’ordre de 130 grammes par jour de moins sur l’hiver. « Ceci peut être rattrapé par une complémentation plus importante avant sevrage », explique Julien Renon.
La technique mise en place à Jalogny était une complémentation estivale sous la mère au pré supplémentaire de 100 kilos. Les veaux de génisses en vêlage à 2 ans sont allotés avec leur mère au lâcher à l’herbe, et consomment 250 à 280 kilos de complémentation, alors que les veaux des génisses ayant vêlé à 3 ans en mangent 150 à 180 kilos. La complémentation des veaux en stabulation n’est pas modifiée.
«Une fois que ces veaux sont devenus des jeunes bovins ou des génisses de 3 ans, nous pensons que l’impact du fait que leur mère a vêlé à 2 ans est nul ou très limité la plupart du temps», estime Julien Renon. L'expérimentation de Jalogny ne permet cependant pas de conclure statistiquement car les effectifs sont faibles.
5- avec le vêlage à 2 ans, la politique de réforme est-elle modifiée ?
Une pyramide des âges des vaches avec un fonctionnement en croisière du troupeau a été établie. Globalement, il n’y a pas de modification notable de la carrière des vaches, ni du rythme des réformes en pratiquant le vêlage à 2 ans. Il n’y a pas non plus de modification des causes de réforme. Les problèmes de reproduction et autres critères ne sont ni plus ni moins fréquents, que le premier vêlage soit intervenu à 2 ans ou à 3 ans.
«Nous conseillons de viser un taux de renouvellement de 25 % minimum, et d’attendre le deuxième vêlage pour réformer des jeunes vaches sur le critère de la production laitière et de la morphologie.» Le faire à 2 ans est une erreur, car il est bien difficile de les évaluer à ce stade, en les comparant à des bêtes qui ont un an de plus.
Si le premier vêlage est difficile et que le veau ne survit pas, il faut considérer cela comme un signe prédictif du risque d’échec ou de difficultés lors du prochain vêlage, et réformer cette femelle. Par contre, si le veau meurt mais que le vêlage s’est déroulé sans problème, cela vaut le coup de remettre la génisse à la reproduction pour qu’elle vêle à nouveau à 3 ans.
6- quelle conséquence sur le poids moyen du cheptel de souche ?
L’évolution du poids vif est forcément un peu retardée pour celles qui vêlent pour la première fois à 2 ans. À l’âge de 3 ans, la différence de poids est de 33 kilos entre celles ayant vêlé à 2 ans et celles ayant vêlé à 3 ans. À l’âge de 4 ans, l’écart est réduit à 27 kilos. Et entre 5 et 6 ans, il n’y a plus de différence mesurable entre les deux catégories.
À la réforme, l’impact sur le poids moyen de carcasse à l’échelle du troupeau est faible. « À Jalogny, nous avons obtenu une moyenne de 440 kgC pour le troupeau en vêlage à 2 ans, contre 452 kgC pour le troupeau en vêlage à 3 ans ; ceci avec un âge moyen des réformes ayant vêlé à 2 ans légèrement inférieur.»
Pour arriver à ce résultat, il est conseillé d’être rigoureux sur les règles d’alimentation des femelles jusqu’à l’âge de 3 ans. « Il ne faut pas hésiter à sevrer plus tôt en cas de manque d’herbe pour protéger la jeune vache avant que sa croissance ne décroche ; c'est même recommandé de le faire systématiquement s'il y a une forte proportion de veaux issus de génisses ayant vêlé à 2 ans dans le troupeau. »
Et la finition des jeunes réformes de 3 et 4 ans est à piloter en précision en respectant leurs besoins : elles continuent de grandir en phase d’engraissement, donc leurs besoins sont plus importants et leur finition peut durer jusqu’à plus de deux mois de plus que celle de vaches qui ont le même âge et un vêlage de moins dans leur carrière.
Une pression de sélection plus forte sur le début de carrière
Le vêlage à 2 ans révèle plus tôt les animaux qui feront carrière dans le troupeau. Il exerce une pression de sélection plus forte au départ de la carrière des reproductrices, et ceci sur de nombreux critères. « Celles qui performent à la reproduction à un an puis au vêlage à deux ans sont plutôt des animaux qui ont une carrière pérenne », analyse Julien Renon. «Le taux de mortalité des veaux relativement plus élevé au rang 1 et au rang 2 de vêlage correspond à des mortalités qui s’observent à une fréquence plus élevée et plus tard dans la carrière, en rang 3 et plus, dans les troupeaux en vêlage trois ans.»