Comment expliquez-vous le soudain emballement pour des produits visant à se substituer à la « vraie viande » ?
Jocelyne Porcher - C’est en reprenant le fil de l’industrialisation de l’élevage depuis le XIXe siècle et ses liens avec la « cause animale » que l’on peut comprendre la situation actuelle et le développement des start-up de la viande cellulaire. Cette viande « in vitro » est, de mon point de vue, le stade ultime de l’industrialisation de l’élevage. Laquelle a été initiée au XIXe puis s’est pleinement développée à partir du milieu du XXe siècle.
J’ai écrit un premier article à ce sujet en 2010. J’avais alors le sentiment que quelque chose était en train de se mettre en place qui allait bouleverser l’agriculture et l’élevage : à savoir l’émergence de cette agriculture cellulaire. Ce qui m’intéresse est également d’analyser comment cette nouvelle forme d’agriculture est favorisée par les actions de certaines associations de défense des animaux.
Vous expliquez dans un récent ouvrage (1) qu’il y a une collusion d’intérêt entre certaines de ces associations et des start-up de la « viande cellulaire ». Pouvez-vous préciser ?
J. P. - Il y a une ligne de développement parallèle entre la montée d’associations de défense des animaux et le développement de l’agriculture cellulaire. En 2013 a été mis au point le premier burger in vitro et depuis, il y a un foisonnement d’initiatives similaires. Une trentaine d’entreprises et de start-up investissent ce secteur. Au nom de la « cause animale », ces entreprises ambitionnent d’exclure les produits animaux de notre alimentation pour les remplacer par des substituts plus rentables. Préparer le terrain pour ces substituts, voilà le réel travail des supposés défenseurs des animaux. Leur objectif n’est pas de sortir ces derniers des systèmes industriels, mais de les faire disparaître. Imposer une agriculture sans élevage, c’est ce sur quoi repose la collusion d’intérêts entre une start-up de la communication végane comme L214 et les start-up de l’agriculture cellulaire, elles-mêmes soutenues par des multinationales et des fonds d’investissement aux budgets colossaux.
Pourquoi mettez plus particulièrement en cause L214 ?
J. P. - L214 prétend agir contre les lobbies mais est elle-même une structure de lobbying en faveur des firmes du végétal et, sur le moyen terme, en faveur de l’agriculture cellulaire. Quand on analyse l’évolution de ses retombées dans la presse, la progression est impressionnante. Or cette association sert les intérêts des principaux acteurs de l’agriculture cellulaire que j’ai listés dans mon ouvrage. L214 n’est pas un lanceur d’alerte. Cette association est devenue une agence de communication au service de l’agriculture cellulaire et non des animaux, non plus un « idiot utile », mais un valet assumé du capitalisme alimentaire. Le fait qu’ils aient obtenu de l’argent (dotation en 2017 de plus d’un million d’euros de l’Open Philanthropy Project, un fonds privé américain de la Silicon Valley) en témoigne. Ils savent très bien à quel jeu ils jouent et de quel côté ils sont. À titre personnel, je pense évidemment que le fait d’avoir bénéficié de ces dons les discrédite.
Pourquoi les Français sont de plus en plus réceptifs à leurs idées ?
J. P. - Il n’y aurait pas eu en France ce développement du mouvement végan s’il n’y avait pas eu une banalisation de la violence contre les animaux de ferme. Cette violence est liée au fait d’inscrire nos relations de travail avec les animaux dans un cadre industriel. J’ai décrypté depuis plus de vingt ans ce phénomène en particulier dans la filière porcine que je connais bien. L’industrialisation de l’élevage a pourri l’élevage et c’est pour cela que l’on en est là. Il faut faire évoluer les façons de produire, regarder en face la violence pour ce qu’elle est et se donner les moyens d’en sortir.
(1) Cause animale, Cause du capital, Éditions Le bord de l’eau, 2019, 120 pages.