Olivier Mevel : "Le monde agricole n’a pas à supporter le train de vie du distributeur"
Maître de conférences à l’université de Brest, Olivier Mevel n’est pas tendre avec le travail mené par l’observatoire de la formation des prix et des marges. Il juge même que rien ne va. Dépeçage.
Maître de conférences à l’université de Brest, Olivier Mevel n’est pas tendre avec le travail mené par l’observatoire de la formation des prix et des marges. Il juge même que rien ne va. Dépeçage.
Vous avez des propos peu amènes sur la crédibilité des conclusions de l’observatoire de la formation des prix et des marges dirigé par Philippe Chalmin.
Oui, si un thésard présentait ce type de travail pour sa soutenance, c’est clair qu’il serait recalé, qu’il n’aurait pas son doctorat. Et cela tient à un point majeur : la méthodologie employée pour produire ce rapport est tout sauf rigoureuse, il n’y a rien de contradictoire dans cette étude, les calculs sont basés sur du déclaratif sans vérification possible. Il conviendrait aussi de segmenter les formats de magasins, les enseignes, de s’arrêter comme je le disais à la valeur ajoutée, c’est-à-dire le chiffre d’affaires moins les consommations intermédiaires, c’est tout. Et là on verrait qui gagne de l’argent.
Les rapports de l’observatoire concluent tous les ans que le rayon viande est déficitaire… Ce serait faux ?
L’idée que les marges sont négatives sur le rayon viande fait sourire tout le monde, même les distributeurs indépendants. Si l’observatoire arrive à cette conclusion, chaque année, c’est bien parce que la méthode employée n’est pas bonne. L’observatoire prend en compte le chiffre d’affaires, les charges fixes, les salaires, les salaires de cadres, des dizaines ou des centaines de milliers d’euros, et même les dividendes des actionnaires ou le loyer…
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Il faut savoir que depuis longtemps maintenant on a dissocié le fonds de commerce des murs qui appartiennent soit à des foncières pour les groupes intégrés comme Carrefour ou Auchan ou des sociétés civiles immobilières pour les indépendants. Les loyers sont un bon moyen de limiter l’imposition sur les sociétés puisqu’on redirige finalement une partie du bénéfice sur les sociétés propriétaires des murs. Après c’est facile de dire que la grande distribution est un métier de gagne-petit !
Quelle est donc la situation réelle ?
Prenons un exemple. Avec de la viande bovine au détail à 22 euros le kilo. On tombe à 20,85 une fois ôtée la TVA. Si on enlève la marge distributeur on tombe à 13,90, si on enlève la marge de l’industriel on arrive à… 6,30… Regardons maintenant les indices. Ces dix dernières années, entre 2008 et 2018 par exemple. L’indice général des prix est passé de 93,2 en 2008 à 103,1 quand pour la viande bovine il est passé de 86,2 à 103,5…
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Sur le linéaire viande, aussi bien en libre-service qu’en traditionnel, toutes enseignes confondues, l’écart entre les prix payés aux éleveurs et les prix au détail payés par le consommateur n’ont jamais été aussi importants depuis 2000 et que ce n’est pas acceptable en l’état. Il manque aujourd’hui 30 ans d’inflation dans les prix payés aux agriculteurs… Et cela est renforcé depuis la Loi de modernisation de 2008 qui impliquait que la négociation commerciale commence entre le distributeur et l’industriel.
Faut-il espérer de la loi Egalim ?
La loi Egalim 2, si elle apporte des améliorations, ne va pas assez loin en refusant d’abroger Egalim 1. Si l’on veut que cela fonctionne il faut que la négociation commence entre l’organisation de producteur et les producteurs. Quitte à contraindre les éleveurs à s’organiser davantage, à constituer des organisations plus puissantes… Le groupement le plus puissant aujourd’hui en France, c’est 6 000 éleveurs pour l’équivalent de 8 à 10 % des achats de Bigard… C’est le seul moyen de parvenir à « dissiper » le rapport de force qui est aujourd’hui très défavorable aux éleveurs.
Cet observatoire devrait être un juge de paix, mais aujourd’hui il ne l’est pas, je peux même dire qu’il sert à endormir le monde agricole. J’en appelle pour ma part à la création d’une autorité de régulation des filières alimentaires, à l’instar de ce qui existe dans les télécommunications, la publicité, la concurrence. Cette dernière est un bon exemple, elle permet de limiter la prédation des plus forts sur les plus faibles.