« Nous semons des prairies à flore variée adaptées à chaque parcelle »
En Haute-Garonne, le Gaec d’en Causse commence à semer des prairies comprenant plus de dix espèces, destinées à durer au moins six ans, selon la méthode Capflor conçue par l’Inrae de Toulouse. Il s’agit pour les éleveurs de reprendre la main sur le système face à la dégradation des résultats de leurs prairies soumises au stress hydrique et aux fortes chaleurs.
En Haute-Garonne, le Gaec d’en Causse commence à semer des prairies comprenant plus de dix espèces, destinées à durer au moins six ans, selon la méthode Capflor conçue par l’Inrae de Toulouse. Il s’agit pour les éleveurs de reprendre la main sur le système face à la dégradation des résultats de leurs prairies soumises au stress hydrique et aux fortes chaleurs.
« Dans le Lauragais, nous serons bientôt en zone semi-aride », annonce sérieusement Didier Codecco, éleveur de blondes d’Aquitaine à Maureville, en Haute-Garonne, associé à son frère Sylvain. Les sécheresses reviennent maintenant tous les trois ans en moyenne, dont les deux dernières années. Et en 2023, il n’a pas plu de début juillet à fin novembre. Les éleveurs travaillent des coteaux sur sols argileux, mais le vent d’autan peut en trois jours faire passer un beau méteil prêt à être ensilé à un fourrage équivalent à de la paille. Le pâturage est terminé au 10 juillet « quand tout va bien ». La première coupe des prairies est réalisée début avril et la seconde coupe prévue fin mai n’est pas garantie. « Sur les dix dernières années, la fertilité des sols s’est dégradée. Toutes les espèces prairiales ont du mal à repartir quand revient la pluie après l’été. »
Le sainfoin entre dans tous les mélanges
Dès 2011, les éleveurs avaient réagi. Les prairies multiespèces avaient alors remplacé toutes les associations simples. Elles comportent entre six et huit espèces. Pour les pâtures, elles sont sur une base RGA, RGH, TV, TB et dactyle, avec toujours plusieurs variétés pour les légumineuses. Sur la partie fauche, leur base est le RGH pour démarrer, avec dactyle, fétuque, luzerne et trèfle violet. Des RGI sont aussi semés et ils sont valorisés au cas par cas. « Dès qu’il fait beau et qu’il n’y a plus de gelée, on récolte. Cette année, en février, on a pu faire une coupe de RGI. »
D’autres leviers fourragers ont été actionnés en même temps. Des méteils ont été introduits dans l’assolement, au départ avec le statut d’ « aliment sécheresse ». Ils sont devenus la base des rations des mères, et des sorghos fourragers multicoupes sont semés derrière les ensilages chaque année. À 40 °C, même la luzerne (18 ha au total) s’arrête de pousser, donc les fourrages d’été ne sont pas des prairies. Le pâturage tournant dynamique a été mis en place il y a plus de dix ans (paddocks de 0,5 ha pour 24 vaches suitées pendant un à deux jours). Il n’y a pratiquement plus de labour, la conduite est très proche du semis direct. Le Gaec irrigue trente hectares en maïs et luzerne. « Même pour ces parcelles irriguées, le résultat des cultures devient un point d’interrogation. » Et depuis 2019, cinq hectares sont en agroforesterie.
Revenants aux prairies, les éleveurs expliquent qu’avec les multiespèces, ils cherchaient à l’époque une production plus étalée dans le temps et plus adaptée aux besoins des animaux. « Aujourd’hui, on ajoute le critère climatique, et ces mélanges composés il y a dix à quinze ans ne sont plus valables. On sait d’avance qu’au bout de trois ans, ils ne sont plus productifs et envahis d’indésirables. » Leur composition a pourtant pas mal évolué. « Je mets moins de dactyle, qui sinon devient encombrant, et davantage de fétuques. Pendant l’été, la fétuque ne meurt pas, mais elle ne pousse pas non plus. Avant, il y avait le trèfle blanc qui supportait l’été, mais quand il n’y a plus que lui, il meurt maintenant », constate Didier Codecco. Le sainfoin a été réintroduit depuis cinq ou six ans et il n’y a plus de nouvelle parcelle où il ne figure pas. « Les prairies qui incluent du sainfoin tiennent mieux le coup en qualité après des sécheresses, et conservent plus d’appétence », apprécie l’exploitant.
« Une analyse de sol est requise pour chaque parcelle »
« Alors avec les prairies à flore variée de type Capflor, notre optique est de reprendre la main sur le système », poursuit Didier Codecco. « Le but est que le couvert reste en place pendant l’été et reparte avec le retour de la pluie en densité et en qualité, pour durer au moins six ans. Nous espérons être plus efficaces avec des coûts bien amortis. »
Au Gaec d’en Causse, la première parcelle en prairie à flore variée de méthode Capflor a été implantée en mars 2024. « Une analyse de sol est requise pour chaque parcelle », explique Carole Merienne, conseillère en agroécologie à la chambre d’agriculture de Haute-Garonne. Elle donne des informations sur les teneurs en oligo-éléments, la granulométrie, le fonctionnement du complexe argilo-humique, mais aussi sur la pluviométrie et les températures. On peut construire des mélanges ajustés pour pâturage précoce, pâturage intermédiaire ou pâturage tardif, pour fauche précoce, fauche intermédiaire ou fauche tardive, ou encore pour fauche précoce suivie d’un pâturage tardif… C’est ce dernier usage qu’ont défini Didier et Sylvain Codecco pour leur parcelle.
Quinze variétés composent le mélange, dont divers RGA, un RGH, et plusieurs trèfles blancs, différentes variétés de luzerne, du lotier, du trèfle violet (Pastor), du dactyle (une variété de type pâture), du pâturin des prés (Sélista), de la fétuque élevée, du festulolium (Achilles), du sainfoin et du plantain (Boston). Ceci représente 45 à 47 kg de semences par hectare (hors sainfoin) pour un coût avoisinant les 300 euros par hectare. Il faut se donner les moyens que le semis fonctionne. Il n’y a pas de travail du sol profond et le hersage est proscrit. Les éleveurs font un passage de cover-crop, un passage de cultivateur à 10 cm de profondeur et roulent le semis. Le mélange est brassé directement dans le semoir, hectare par hectare. « Avec le réglage pour petites graines, je ne m’inquiète pas du tout pour l’homogénéité du mélange », remarque Didier Codecco. La parcelle a reçu l’année précédente environ 25 tonnes de fumier. « Cette prairie est conçue pour être fauchée à 800 degrés jour puis pâturée, explique Carole Merienne. C’est impératif de s’y tenir pour que la synergie s’installe entre espèces et que le couvert dure. »
Chiffres clé
Des commandes groupées de semences
Au sein du GIEE cap viande d’herbe, Carole Merienne de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne groupe avec les antennes de deux autres GIEE les commandes de semences des éleveurs pour prairies Capflor. « On arrive à négocier des tarifs auprès des différents fournisseurs. On essaie au maximum de choisir des variétés françaises. » Les commandes sont livrées en sacs individuels et des points de dépôts sont organisés chez différents éleveurs du groupe. Le GIEE bovins viande travaille sur les meilleures pratiques de gestion des prairies en fonction de la météo et sur la richesse de la viande en oméga 3/oméga 6.
Avis d’expert - Vladimir Goutiers, chef de projet Capflor à l’Inrae de Toulouse
« Des prairies conçues pour rendre un panel de services »
« La démarche Capflor a été lancée en 2010 à l’Inrae de Toulouse. Des prairies sont désormais en place sur 4 000 hectares en France dans le Sud-Ouest, le Sud-Est, le Centre et le Centre-Est. Des groupes d’éleveurs démarrent depuis quelques années en Bretagne et en Normandie. En moyenne, les prairies Capflor sont conservées six ans, et une bonne partie d’entre elles vont jusqu’à sept ou huit ans (malgré la contrainte réglementaire des cinq ans pour la définition administrative des temporaires).
Capflor est un outil agroécologique d’aide à la conception de prairies à flore variée. Ces prairies se composent d’au moins six espèces (graminées, légumineuses et diverses), et associent plusieurs variétés pour un certain nombre d’entre elles. Dans une prairie Capflor, il y a toujours quatre à cinq espèces que l’on voit simultanément et qui varient d’une saison à l’autre et d’une année à l’autre. La dose de semis tourne autour de 35 à 45 kg de semences par hectare. Ce qui est important, c’est le nombre de graines mises en œuvre, qui varie énormément d’une espèce à l’autre. Et il faut mettre cette donnée en balance par rapport à la durée de la prairie et les services rendus.
Ces prairies sont en effet conçues pour rendre un certain nombre de services : croissance et reproduction, santé des animaux, mais aussi gestion du parasitisme, limitation de l’installation d’adventices, de l’évaporation de l’eau du sol, lissage des rendements… Par exemple, un groupe d’éleveurs travaille sur une composition spécifique très riche en énergie pour l’engraissement de bovins viande au pâturage.
Un suivi pluriannuel d’un échantillon représentatif des parcelles est assuré avec un relevé de rendement, un suivi botanique, des analyses de la valeur alimentaire de l’herbe et des enquêtes sur le niveau de satisfaction des éleveurs vis-à-vis des services rendus et des performances des mélanges. Capflor est un outil participatif, avec des allers et retours permanents entre le laboratoire de recherche et le terrain, au sein et entre groupes d’éleveurs. »