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Net recul de la production de viande bovine à échéance 2030

Entamée il y a six ans, l’érosion du cheptel bovin français commence à donner des sueurs froides aux intervenants de l’aval. Et cette évolution est d’autant plus redoutée qu’aucune franche inversion de tendance n’est annoncée pour la décennie à venir.

Depuis six ans, le cheptel bovin français ne cesse de s’éroder. Ce recul est d’autant plus net qu’il concerne à la fois le troupeau laitier et allaitant. Moins de vaches, c’est forcément moins de veaux et donc à terme moins de viande. Déjà clairement perceptible, cette évolution va mathématiquement se traduire par de nouvelles baisses d’activité pour les intervenants de l’aval. De l’ampleur de la décapitalisation en cours et surtout à venir découlera l’évolution du volume des disponibilités pour les abatteurs et les exportateurs de bovins. « Le nombre de vaches de races allaitantes a reculé de 457 000 têtes depuis juillet 2016 (soit -11,4 %) et le recul est 284 000 animaux pour les vaches de races laitières et mixtes (-7,7 %) », expliquait Eva Groshens, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage à l’occasion d’une conférence organisée par Interbev lors du dernier Sommet de l’élevage. Dans ce contexte, le nombre de veaux nés au sein du cheptel allaitant français est clairement en recul. Il est passé de 3,7 millions en 2015 et 2016 à 3,2 millions l’an dernier.

Gouverner c’est prévoir

Comme, « gouverner c’est prévoir et ne rien prévoir c’est courir à sa perte », les économistes de l’Institut de l’élevage ont eu pour mission de tracer dans les grandes lignes quelles pourraient être les disponibilités en broutards dans les mois et surtout dans les années à venir. L’Institut de l’élevage a donc réalisé ce travail prospectif en analysant d’abord dans les détails la pyramide des âges des détenteurs de vaches allaitantes selon le nombre d’animaux détenus par actif, les évolutions démographiques, les trajectoires des exploitations et les différentes dynamiques territoriales pour les installations.

En 2018, 51,5 % des détenteurs de plus de 20 vaches allaitantes avaient plus de 50 ans et on assiste depuis six ans à une accélération du nombre de départs en retraite des éleveurs détenant des cheptels de plus de 20 vaches allaitantes. Entre 2001 et 2016, il était en moyenne de 720 par an. Il est passé à 1 300 par an entre 2016 et 2020. Près de 40 % du cheptel allaitant français est concerné à court et moyen terme par une transmission, un arrêt d’activité ou une réduction de main-d’œuvre.

Projection tendancielle de l’actuelle situation

Pour estimer le nombre de vaches mères à échéance 2030, l’Institut de l’élevage a réalisé une projection tendancielle de l’actuelle situation. Pour le nombre de départs en retraite, départs précoces, ou arrêts de production, la simulation consiste en une projection mathématique qui part de l’actuelle pyramide des âges et reproduit les comportements à âge, forme d’organisation du travail, région, système, taille de cheptel équivalents. Le second paramètre de cette projection concerne les installations qui sont maintenues au même niveau que pour la période 2010-2018. Le troisième concerne les trajectoires des exploitations pour l’évolution de la dimension des troupeaux. Or pour les élevages détenus par des éleveurs dans la force de l’âge, la tendance à capitaliser les effectifs de vaches mères est moins vraie que par le passé.

« Si on tient compte des départs en retraite à venir et que l’on prolonge les courbes actuelles pour l’évolution des cheptels, on arrive à l’horizon 2030 à un recul supplémentaire de 483 000 vaches de races allaitantes et 377 000 vaches de races laitières et mixtes comparativement à la situation de janvier 2022 », précisait Eva Groshens.

À partir de ces chiffres, il en a été déduit quelles pourraient être les disponibilités en broutards. En 2020, 45 % des mâles issus du cheptel allaitant avaient été exportés en broutards et 43 % avaient été engraissés en France et destinés à une production de jeunes bovins. Les 12 % restants étaient devenus des veaux de boucherie, des taureaux reproducteurs avec quelques bœufs en complément. Cette part des mâles exportés est relativement stable hors contexte crise (FCO). Donc depuis un an, réduction du nombre vaches mère oblige, les exportations françaises de broutards sont en recul de 10 %. Cette baisse est négligeable sur l’Italie (-1 %), forte sur Espagne (-38 %) mais également sur les pays tiers (-25 %). Et d’ailleurs l’actuel recul de l’offre ne s’est pas traduit cet automne par l’habituelle baisse des tarifs à compter d’octobre au moment du pic des sorties. Ces dernières années, les Italiens pesaient de tout leur poids pour faire baisser les prix du maigre à l’automne, mais la contraction des disponibilités et la bonne tenue du marché algérien ne leur ont manifestement pas permis d’en faire de même cette année.

Deux scénarii pour l’export

Pour estimer quelles seront à échéance 2030 les disponibilités françaises en broutards, deux scénarii ont été avancés par l’Institut de l’élevage. « Si on conserve la même orientation historique des mâles entre export et engraissement en France, les exportations de broutards diminueront de 125 000 têtes, précisait Eva Groshens. Si le nombre de JB engraissés en France se maintient aux chiffres actuels, c’est 219 000 broutards qui feront défaut pour l’export. » Il est difficile de présager avec beaucoup plus de précision ce qui se passera dans les années à venir. « La vérité sur le recul du nombre de broutards disponibles pour l’export se situe probablement entre ces deux chiffres." Quant à imaginer une nette progression du nombre de mâles qui pourraient être finis dans les ateliers français, elle peut bien entendu être envisagée mais dépendra d’abord des tarifs et des modalités qui pourront être proposés par l’aval aux naisseurs-engraisseurs et aux engraisseurs.

Le pourquoi de l’érosion

En allaitant, le recul des effectifs bovins est d’abord la conséquence d’un nombre d’installations qui ne permet pas de compenser celui des cessations d’activité. Dans les zones les plus favorables sur le plan agronomique, une autre évolution à même d’expliquer l’érosion des cheptels est le choix de conforter les surfaces en céréales et oléagineux aux dépens des prairies, dans la mesure où ramenées à l’heure de travail, ces productions végétales sont plus attractives côté rémunération avec un travail moins astreignant que celui de faire naître des veaux. Dans le contexte de sécheresses récurrentes, citons également la volonté de conforter l’autonomie des élevages. Elle se traduit par la reprise de quelques hectares supplémentaires sans augmenter le nombre de vaches ou par une légère réduction du cheptel à surface constante. Dans les deux cas de figure, cela implique une baisse du chargement de façon à atteindre plus aisément l’autonomie en fourrages et en paille.

La décapitalisation est aussi liée au souhait d’une partie des éleveurs en activité de ne pas faire progresser la dimension de leur cheptel. Plus que de capitaliser sur le nombre de vaches, la stratégie de développement retenue se traduit par la mise en place de nouveaux ateliers (finition, production d’énergies renouvelables, gîte rural, vente directe…) permettant une diversification des activités. Au final, le nombre de vaches mères détenues par les élevages en activité continue d’augmenter, mais cette progression se fait à un rythme bien plus faible que ce ne fut le cas voici quelques années. Depuis 2016 on est sur une progression moyenne de 0,4 vache/an/atelier pour les élevages détenant plus de 20 vaches allaitantes alors que cette progression était en moyenne d’une vache/an/atelier entre 2010 et 2016. L’autre phénomène perceptible dans certains départements est la concurrence des méthaniseurs. La valorisation des fourrages, cultures dérobées et paille est parfois analysée comme plus intéressante quand ils sont utilisés pour remplir des digesteurs et non des rumens.

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