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Méthanisation : « La synergie avec la polyculture-élevage nous a fait gagner en flexibilité »

En 2013, Jacques-Pierre et Mauritz Quaak étaient les pionniers de l’injection sur le réseau de biogaz issu de la méthanisation agricole. Éleveurs de limousines en polyculture-élevage en Seine-et-Marne, ils voient dans la méthanisation un levier supplémentaire de résilience face aux aléas économiques et climatiques.

Éleveur bovin et ses génisses limousine au cornadis dans le bâtiment. Les effluents alimenteront l'unité de méthanisation.
Les effluents d'élevage comptent pour un tiers des intrants du méthaniseur.
© AL Galon

Lorsqu’ils ont créé leur unité de méthanisation en 2013, Jacques-Pierre et Mauritz Quaak anticipaient l’effet ciseaux dû à la montée des prix des engrais. Aujourd’hui, les 12 000 tonnes de digestat issues du méthaniseur fertilisent l’ensemble des 360 hectares de l’exploitation, sur lesquels il a presque entièrement remplacé l’engrais. « En épandant le digestat, nous sommes autonomes en phosphore (P) et en potassium (K), et avons divisé par deux les achats d’engrais azoté, soit une économie de 30 000 euros par an. C’est un réel atout face à la variabilité des coûts des engrais, qui s’est confirmé au début de la guerre en Ukraine », indique Mauritz. Pour valoriser le digestat jusque dans les prairies les plus éloignées, l’exploitation s’est équipée d’un séparateur de phases, afin d’extraire 1 200 tonnes de digestat solide, plus facile à transporter.

Outre l’amortissement des charges et le chiffre d’affaires d’un million et demi d’euros lié à l’injection du biométhane dans le réseau des six communes alentour, la méthanisation offre également un levier supplémentaire sur le pilotage des cultures. « En 2016, il a beaucoup plu, les rendements céréaliers étaient catastrophiques. Nous n’avions pas de grain, mais au moins nous avons pu valoriser la biomasse : la méthanisation nous a permis de rebondir », illustre Mauritz.

Un prototype de liquéfacteur de CO2 est à l’essai sur l’atelier. Si les résultats sont concluants, il pourrait diversifier encore les revenus de l’exploitation en valorisant le CO2 biogénique issu de la méthanisation, par exemple auprès de l’industrie agroalimentaire (conservation en barquette sous atmosphère modifiée).

 

 
Éleveurs de bovins posant devant l'unité de méthanisation agricole de leur exploitation.
« En épandant le digestat, nous avons divisé par deux nos achats d'engrais azoté », apprécie Mauritz Quaak. © A.-L. Galon

Un outil dimensionné à l’échelle de l’exploitation

« Il n’y a aucun sens à transporter des matières agricoles sur des kilomètres pour les mettre dans un méthaniseur, puis renvoyer le digestat chez des agriculteurs tout aussi loin ! Un projet de méthanisation se réfléchit d’abord à partir des surfaces et du plan d’épandage », insiste Jacques-Pierre. Leur outil a donc été dimensionné, afin d’épandre le digestat uniquement sur les terres de la Ferme d’Arcy. De même, les 12 500 tonnes d’intrants (40 t/j) alimentant le digesteur proviennent de l’exploitation : 4 000 tonnes de seigle semé en septembre, Culture intercalaire à vocation énergétique (Cive), 4 000 tonnes de coproduits (poussières de céréales, radicelles de betteraves et lactosérum) récupérés à la coopérative, la sucrerie et la fromagerie voisine, 4 000 tonnes de fumier issu des bâtiments d’élevage, ainsi qu’un peu de lisier venant du bâtiment sur caillebotis où logent les génisses (600 m3/an). « C’est une économie circulaire au niveau du territoire, mais aussi au niveau de l’exploitation : les effluents d’élevage alimentent le méthaniseur, dont le digestat fertilise les cultures, elles-mêmes consommées par les animaux », conclut Mauritz.

La méthanisation ne prend pas le pas sur l’activité historique de polyculture-élevage. Ainsi, la valorisation du fumier par le méthaniseur n’a pas empêché les deux frères d’augmenter le temps au pâturage des vaches, au contraire.

« Depuis 2020, nous avons diminué la taille du troupeau et groupé les vêlages sur deux mois entre mi-janvier et mi-mars », retrace Mauritz. Avant, 250 mères vêlaient d’octobre à début janvier, et pâturaient six mois par an. « Cependant, la sécheresse de 2018, nous a contraints à entamer nos stocks d’hiver très tôt. Depuis que nous sommes passés à 150 mères avec des vêlages groupés au printemps, nous avons réduit le chargement et ainsi maximisé le temps passé au pâturage : les animaux passent désormais quatre mois au bâtiment à l’année, et nous stockons moins d’aliments. » En parallèle, les éleveurs développent leur atelier d’engraissement, l’étendant aux mâles pour profiter d’un marché davantage porteur sur les taurillons. Le fumier du bâtiment d’engraissement vient compenser la diminution du temps en stabulation des autres animaux.

Cinq millions d’euros d’investissement

L’atelier de méthanisation a représenté un investissement de 5 millions d’euros, sur lesquelles les frères Quaak ont bénéficié de 30 % d’aides. Le retour sur investissement s’est vu sur douze ans. « Pour le même projet aujourd’hui, il faudrait compter un million et demi d’euros supplémentaire auquel s’ajouterait un million d’euros d’intérêts, et davantage de fonds propres, car les aides atteignent au mieux 10 % aujourd’hui, déplore Mauritz. Les tarifs du biogaz, bien que réindexés en 2023, ne compensent pas l’inflation : les charges ont augmenté, le montant des investissements est majoré d’au moins 20 %, et les taux d’intérêt ont grimpé. » Pour atténuer les charges et gagner en autonomie, les exploitants ont mis en place 1 650 m² de panneaux photovoltaïques, qui fournissent 20 % des besoins en électricité du méthaniseur sur l’année.

Chiffres clés

360 ha de SAU dont 270 ha de cultures (blé, orge, maïs, betterave, lin, pomme de terre), 10 ha de luzerne, 80 ha de prairies permanentes

150 mères de race limousine

150 Nm3/h de capacité d’injection, 6 communes approvisionnées en biogaz

5 UMO dont 2 associés, 1 responsable de cultures, 1 responsable d’élevage, 1 secrétaire

 

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