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L’image de la viande argentine ternie par la part croissante des feedlots

Près du quart du territoire argentin a un climat idéal dix mois sur douze pour faire pousser de l’herbe. Malgré ces atouts pour permettre une finition à l’herbe, l’essentiel des bovins argentins sont désormais finis en feedlot.

Dans la principale et la plus fertile région agricole d’Argentine, la pampa humide, le climat est de nature tempéré. Les étés et les hivers sont doux et peu marqués. Les températures oscillent une bonne partie de l’année entre 10 et 20 °C. Favorisée par une pluviométrie régulière (moyenne de 850 mm/an), la pousse de l’herbe est effective pratiquement 11 mois sur 12. « Ici, dans la pampa humide nous avons seulement un gros mois d’hiver au cours duquel l’herbe fait défaut. Finalement, le plus 'difficile' serait presque de gérer la pousse du printemps. Nous nous faisons vite dépasser et les refus nous posent problème par la suite. Nous ne faisons presque jamais de stock de foin et d’ensilage », résume Juan Pablo Sy, naisseur-engraisseur et propriétaire d’une société de grossistes en viande. « Pour mieux gérer l’herbe sur pied, nous faisons depuis longtemps du pâturage tournant avec quatre paddocks par lot. Mais c’est trop peu. Aujourd’hui beaucoup de gestionnaires d’estancias divisent davantage leur parcellaire pour proposer le plus longtemps et le plus régulièrement possible une herbe de qualité optimale. »

Mieux gérer l’herbe sur pied

Florencia Jaimes et Alejandra Marino, chercheuses du département fourrages à l’INTA (équivalent de l’Inra) de Balcarce, n’ont aucun doute là-dessus. L’avenir de l’élevage argentin passe par une meilleure gestion de l’herbe et la généralisation progressive du pâturage tournant dynamique. « Sur des prairies naturelles la production actuelle est en moyenne de 300 kg de viande (poids vif)/ha/an. Il serait possible de doubler ce chiffre en appliquant quelques règles simples visant à mieux utiliser l’herbe avec certes un besoin en main-d’œuvre un peu plus important. »

Les caractéristiques du climat de la pampa ont longtemps favorisé la finition à l’herbe. C’est d’ailleurs ce qui avait fait la renommée de la viande argentine dans le monde entier. Les races Angus et Hereford, qui s’engraissent facilement dans ces conditions ont été privilégiées. Ce sont les deux principales races utilisées (respectivement 70 % et 20 % des mères) loin devant quelques Brahmans et croisées que l’on trouve plus au Nord, dans les zones subtropicales. Pour Junger Bulle, boucher spécialisé en Angus et Hereford finies à l’herbe, « les caractéristiques de ces races permettent d’apporter une saveur particulière à la viande de par leurs aptitudes bouchères (tendreté, persillé) mais aussi et surtout par la qualité du gras ». Certaines autres races d’origine européenne comme la Limousine se développent également. Elles apportent d’autres aptitudes, comme la conformation et ont contribué à la création de races nouvelles telle la Limangus. « Aujourd’hui, on recherche pour le marché intérieur des animaux moins développés qu’il y a quinze ou vingt ans. Sur ce débouché, on veut de la précocité et des aptitudes bouchères sur un format modeste, explique Alfredo Borioniun sélectionneur d’Angus. Le marché intérieur argentin est friand d’animaux jeunes, pesant autour de 320 kg vif à l’abattage. Cela a un impact sur le format demandé pour les reproducteurs. Jusqu’à présent, l’Angus noir était notre spécialité. Maintenant nous faisons aussi de la Hereford et depuis cette année des Red Angus. »

 

 

De l’herbe au feedlot

Au-delà des milliers d’hectares de forêts natives du nord converties chaque année en culture, une part conséquente des meilleures prairies de la pampa ont aussi été retournées pour laisser place à de larges étendues de soja ou de maïs. Une solution plus simple et plus rentable vu les cours et les conditions actuelles à l’export. Ces deux cultures, sont presque exclusivement OGM, lesquelles sont également très utilisées dans les exploitations d’élevage. « La suppression des adventices dans les prairies, notamment le chardon et le chiendent, passe systématiquement par deux ans de cultures d’été (sorgho, maïs ou soja fourrager) résistantes au glyphosate, ce qui permet de 'nettoyer' les parcelles efficacement et sans herbicide sélectif », argumente Marcelo Lazzaro, chercheur à l’Inta de Balcarce (équivalent de l’Inra argentin) lors de son cours de gestion fourragère auprès des futurs ingénieurs agronomes.

Ces évolutions incitent à intensifier leurs méthodes d’engraissement. Depuis le début du XXIe siècle, la tendance est au développement de feedlots, très similaires à ce qui existe en Amérique du Nord, avec des rations basées sur une association soja + maïs. « Depuis que je suis passé à quatre paddocks de 130 animaux chacun pour l’engraissement de mes 'novillos' (bouvillons), je gère mes coûts et mes transitions alimentaires de façon très précise », explique Juan Pablo Sy en précisant toutefois que l’inflation très récente de plus de 30 % en 2018 met à mal ce système compte tenu de l’augmentation significative des cours du soja et du maïs. « Aujourd’hui, en fin d’engraissement mes rations me reviennent à 3,93 pesos argentin/jour/tête (9 centimes d’euro environ). Cela me laisse bien peu de marge pour payer le salarié affecté à cet atelier. »

Mauvaise image de la viande de feedlot

Récemment certains élevages ont mis en suspend l’engraissement en attendant un rééquilibrage du prix de la viande. « Pour ma part, mes derniers lots ont été vendus 45 pesos/kg vif (1,10 €/kg vif). Ce chiffre est en deçà de mes coûts de production et pour les prochains lots, nous misons sur une amélioration, sinon nous serons forcés de laisser tomber ce système », souligne Juan Pablo Sy. Pour autant, ce modèle qui a véritablement pris de l’ampleur en Argentine il y a une dizaine d’années concerne désormais pratiquement 90 % des animaux du pays. Il n’est pas sans répercussion sur la qualité de la viande et de l’environnement. Soixante-huit pour cent des feedlots argentins ont moins de 500 têtes et totalisent ensemble 11 % des animaux à l’engraissement. Mais on trouve aussi des unités gigantesques pouvant rassembler en un même lieu plusieurs dizaines de milliers d’animaux. 17 % des bouvillons et génisses d’Argentine sont engraissés dans des unités de plus de 10 000 têtes.

D’autre part, face à l’absence de gestion des effluents et à l’augmentation brutale des surfaces en culture, les problèmes d’érosion et de potabilité de l’eau deviennent critiques dans certaines zones de la pampa. Côté qualité de la viande et image du produit, ces feedlots biaisent sérieusement la belle image de la viande argentine, classiquement mise en avant avec des bouvillons en prairie surveillés par des gauchos à cheval.

 

 

Des opportunités à l’export

En 2016, près de 90 % de la viande produite en Argentine a été consommée sur place. L’export concerne des entreprises souvent spécialisées sur ce créneau et se traduit par des exigences supérieures sur le volet sanitaire. Depuis deux ans, la Chine augmente ses achats. Ils représentaient 21 % du total des exportations de viande argentine en 2016 et 50 % en 2017. Fin 2018, un contrat a été conclu avec les États-Unis pour ouvrir de nouveaux marchés avec en conséquence de nouveaux défis. « Nous avons la capacité d’exporter davantage. C’est une volonté de l’ensemble de la filière, mais les instabilités politiques et financières du pays et de notre monnaie ont fait fuir des clients depuis les années 2000 », précise un des consignataires de la région. « Il faudrait arriver à n’exporter que certaines coupes très spécifiques aux pays du Nord pour les valoriser sans impacter le prix de la viande au consommateur argentin qui consomme – en particulier pour l’asado — d’autres pièces comme les côtes et les bas de côte », préconise Horacio Fontana qui reconnaît que « travailler avec des puissances émergentes comme la Chine est une opportunité exceptionnelle pour maintenir une balance commerciale largement positive même si d’autres destinations et en particulier l’Europe sont plus rémunératrices ».

La pampa concerne une part somme toute limitée de l’Argentine, mais c’est la région la plus fertile de ce « pays continent ». Située à l’Ouest de Buenos Aires, avec accès à l’océan au Sud et au fleuve navigable Paraná au Nord. La « pampa humide » ou « dépression salée » couvre plus de 80 % de la zone de production historique du bœuf argentin. Le sud de la pampa est plus humide et avec des zones inondables moins productives. Elles sont davantage des zones de naissage.

 

Une matinée au « remate »

Dans le vocabulaire des éleveurs argentins, les cabanas sont des exploitations où les cheptels de bon niveau sont prioritairement orientés vers la vente de reproducteurs. Située au cœur de la pampa, la cabana Balcarce est l’une d’elles. Elle est dirigée par Alfrédo Borioni. Chaque année, comme dans la plupart des autres cabanas il organise au moins une remate (prononcer rématé) ou ventes aux enchères. C’est l’occasion pour les naisseurs et naisseurs-engraisseurs de venir renouveler leurs reproducteurs. Les lots présentés sont tous composés de trois jeunes taureaux, mais les enchères mettent en vente un seul animal à la fois, sans préciser lequel ! Libre à l’éleveur qui remporte la première enchère de choisir son taureau parmi les trois présents dans sur le ring. Lors de l’enchère suivante, le choix se fera parmi les deux restants, avant l’enchère ultime du dernier taureau. Éleveur avec son fils d’un troupeau d’Angus, Esteban Aréa, est un habitué de ces ventes. « Pour choisir, nous regardons avant tout la morphologie. Le choix se fait ensuite sur deux critères stricts : d’abord le poids naissance. Il ne doit pas excéder 35 kg, puis la circonférence des testicules pour assurer une production de semence suffisante pendant les périodes de saillie. Les performances de croissance ont généralement déjà été validées avant le tri. Nous n’y portons pas d’attention particulière sauf dans les cas extrêmes. »

Liniers, baromètre des cotations

Situé au cœur de l’agglomération de Buenos Aires, (14,5 millions d’habitants), et ouvert cinq jours par semaine, le marché de Liniers accueille quotidiennement pas moins de 10 000 animaux, presque tous destinés à l’abattage. Plus important marché aux bestiaux du pays et véritable référence des cours de la viande, son activité est relativement stable tout en apportant sécurité de paiement et traçabilité. Toutes les transactions du pays, jusqu’au prix du fermage des terres destinées à l’élevage sont indexées sur le cours du novillo, bouvillon fini de 400 kg vif. Cette impressionnante plateforme de 34 hectares est orchestrée comme une horloge, mais ce sont toujours des gauchos à cheval qui déplacent le bétail pendant que les « encanteurs » juchés sur les passerelles situées au-dessus des parcs s’activent pour vendre à une vitesse inégalable des lots de 20 à 30 têtes. Note technique : malgré une demande pour des animaux toujours plus jeunes, le poids vif minimum à l’abattage a été fixé par l’État argentin à 300 kg afin de ne pas amputer le potentiel de production de viande du pays. Les « novillos » de 320 à 340 kg bien finis affichent le prix au kilo vif le plus élevé, autour de 1,22€/kg de poids vif fin 2018.

 

Quand la viande fait partie de la culture

Les Argentins, de nature souriante et accueillante, sont les champions du monde de la consommation de viande de bœuf. Les gauchos, (gardiens à cheval des troupeaux) font partie de l’âme argentine et ont eu un fort impact sur la culture du pays. Nomades au caractère bien trempé, ces hommes étaient presque exclusivement carnivores en dehors du traditionnel maté (infusion d’herbes de la pampa). L’ asado (lente cuisson de la viande près d’un feu de bois) fait partie des habitudes alimentaires que les gauchos ont légué en héritage à la plupart des Argentins. C’est le repas incontournable à la moindre occasion festive. Ce n’est pas un hasard si la consommation de viande bovine avoisine les 60 kg/hab/an. Son prix demeure abordable : autour de 4,5 euros du kilo pour de la viande à asado, et jusqu’à 6 euros pour les pièces plus nobles. Martin Giaccio, futur ingénieur agronome et spécialiste de l’asado souligne, « c’est, pour moi la meilleure façon de proposer une viande tendre avec un goût inégalé ». Mais attention, « un asado n’est pas difficile à réussir, mais il est très facile de le rater ! » Le secret réside dans la température. « Il faut pouvoir tenir la main au-dessus des braises, au niveau de la viande, exactement 8 secondes pour une cuisson de 1h15 environ. »

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