Les arbres sont utiles aussi pour nourrir les bovins
Des arbres à valeur fourragère intéressante sont souvent déjà présents dans les élevages et peuvent prendre une certaine place dans le système fourrager pour compléter les prairies. Adrien Messéan, éleveur de Limousines passionné par les arbres, partage son expérience.
Des arbres à valeur fourragère intéressante sont souvent déjà présents dans les élevages et peuvent prendre une certaine place dans le système fourrager pour compléter les prairies. Adrien Messéan, éleveur de Limousines passionné par les arbres, partage son expérience.
Les fourrages ligneux sont valorisés en élevage bovin depuis des siècles et un peu partout dans le monde. Encore faut-il savoir quelle place ils peuvent trouver aujourd’hui dans un élevage en France. Adrien Messéan, éleveur de Limousines dans le sud du département de l’Aisne en agriculture biologique, a développé depuis une dizaine d’années l’utilisation de rameaux feuillés pour nourrir son troupeau sur certaines périodes. « Les rameaux d’arbres sont particulièrement bien adaptés pour compenser le manque d’herbe en fin d’été et début d’automne. Je les distribue à la place de stocks de foin », explique l’éleveur. Son système est basé sur les prairies naturelles et Adrien Messéan et son père ont commencé de façon empirique, dans un système tout herbe, à utiliser de plus en plus les haies et les lisières de bois pour compléter les rations. La diversité des essences qui poussent naturellement sur l’élevage est importante, avec des sols très variés. En effet, comme beaucoup d’éleveurs allaitants, Adrien Messéan est installé sur des zones humides et des zones très séchantes. Il a aussi planté ou favorisé le développement de trois kilomètres de haies et d’un kilomètre d’alignements d’arbres espacés, en choisissant les arbres et arbustes qui se prêtent bien par leur appétence et leur valeur alimentaire à l’affouragement des bovins. Trois kilomètres de lisières de bois sont aussi utilisées.
Les arbres et arbustes peuvent apporter un affouragement opportuniste, mais aussi être beaucoup plus intégrés dans le système fourrager. « L’entretien des haies, qui se fait souvent en hiver à l’épareuse, peut être remplacé par la pratique, en septembre, quand les feuilles sont encore sur les arbres, d’une taille avec un lamier ou d’un élaguage manuel », observe Adrien Messéan. Notons que la réglementation interdit la taille des arbres entre avril et juillet pour protéger la reproduction de la faune. De plus, la sève commence à redescendre après la mi-août théoriquement (et suivant les essences). Ceci colle assez bien pour compléter la pousse d’automne des fourragères prairiales — de qualité mais pas suffisante depuis plusieurs années.
Affouragement sur pied ou bien récolte de rameaux
L’éleveur a testé différentes techniques pour faire consommer les fourrages ligneux par le troupeau. « Tous les troupeaux mangent au moins un peu dans les haies, et les jeunes apprennent très vite en imitant leurs mères, comme ils le font d’ailleurs pour le pâturage des prairies. Je ne pense pas qu’un temps d’apprentissage soit vraiment à prévoir », observe Adrien Messéan. La plus simple des façons d’utiliser cette ressource est l’affouragement sur pied : les bovins mangent sur les arbres avec une surface de contact qui peut être optimisée par une taille adaptée. Un maximum de deux mètres en vertical est possible pour les Limousines.
Une autre possibilité est de conduire les arbres en têtards (appelé aussi trognes), et de laisser les branches récoltées au sol pour que les bovins se servent. « Si les branches sont coupées tous les ans, les bovins ne laissent que de menus bois qui se décomposent rapidement. Si les branches sont coupées tous les deux à quatre ans, la quantité de fourrage sera beaucoup plus importante et le bois peut ensuite être valorisé en BRF (bois raméal fragmenté) ou bois énergie. Cette opération nécessite déjà pas mal de travail et suppose que de la main-d’œuvre soit disponible pour cette tâche », explique Adrien Messéan.
L’éleveur pratique aussi une autre technique : il récolte les rameaux des zones qui ne sont pas accessibles aux bovins et les distribue, soit en nourrisseur au pré, soit à l’auge en bâtiment. « C’est intéressant car il n’y a pas de pertes, alors qu’avec une distribution au sol, j’estime à un quart des feuilles les pertes par piétinement. » Par contre, il y a beaucoup de progrès à faire pour la mécanisation de ce travail. Adrien Messéan suppose que si ces pratiques se développent, des équipements spéciaux verront probablement le jour. La récolte pourrait dans ce cas devenir peut-être plus systématique.
Il existe aussi la technique du « foin de bois » ou « foin de branches », pratiqué notamment dans le nord de l’Europe au XIXe siècle. De mi-août à mi-octobre, des petits rameaux de moins d’un centimètre de section sont rassemblés en fagots et stockés à l’abri de l’humidité pour éviter toute moisissure. « J’ai testé et la conservation est très bonne, les feuilles gardent une bonne appétence. Certains éleveurs ont aussi testé la réalisation d’une balle ronde avec de très petits rameaux et cela fonctionne. Mais c’est vraiment beaucoup de travail. »
Une stratégie à long terme pour disposer de fourrage en quantité
Les fourrages ligneux constituent toujours chez Adrien Messéan une partie de la ration, en complément du pâturage ou bien de foin. Cela va très bien pour des broutards, des vaches allaitantes en lactation ou en gestation et des génisses en croissance d’après son expérience. « J’ai essayé une ration composée à 100 % de ligneux sur des vaches suitées et cela a aussi bien fonctionné sur le plan nutritionnel. Cette ration était composée d’une dizaine d’essences d’arbres et arbustes qui sont déjà associées naturellement dans les haies. Les fourrages ligneux pourraient aussi entrer dans une ration d’engraissement vu la valeur alimentaire de certains d’entre eux. »
Les bovins mangent les feuilles, et aussi de jeunes rameaux par exemple dans le cas du saule. Ils adorent les fruits des pruniers, poiriers, pommiers, cerisiers… et cet apport en sucres et en eau dans la ration peut être très intéressant (toujours dans la modération). Certaines essences d’ornement ou horticoles peuvent être toxiques (comme le bien connu if), il faut donc s’en méfier, tandis que les espèces sauvages ne présentent pas de risque chez les bovins.
Utiliser les arbres dans le système fourrager est une stratégie à long terme si on veut compter sur cette ressource dans l’équilibre du système fourrager. Il faut en effet patienter entre dix et vingt ans selon les essences et les conditions de reprise entre la plantation d’arbres et les premières exploitations significatives en quantité de matière sèche. Une exploitation trop précoce risque d’entamer le potentiel des arbres. Le rendement double à peu près ensuite entre vingt et quarante ans. Par exemple, un frêne de 20 ans donne environ 10 kg MS foliaire par jour, un frêne de 40 ans apporte 45 kg. En théorie, pour fournir 5 à 20 % de la ration d’un troupeau de 60 vaches allaitantes pendant une période de 40 jours en fin d’été, il faut 687 arbres âgés de 20 ans ou bien 155 arbres âgés de 40 ans. Avec des sols disposant d’une bonne réserve utile en eau, comme les arbres explorent le sol beaucoup plus profondément que les prairies, la sécheresse n’a que peu d’incidence sur la production de feuilles. C’est bien sûr différent sur les sols à faible réserve utile, où le développement de l’appareil végétatif sera affecté.
La valeur fourragère de certaines de ces ressources dites ligneuses approche celle de nombreuses espèces fourragères prairiales.
Une trentaine d’essences ont été testées sur l’élevage
Adrien Messéan a testé à l’échelle de son élevage une trentaine d’espèces d’arbres et arbustes différentes. « Le mûrier blanc est vraiment l’essence numéro 1 avec une valeur équivalente à celle d’une luzerne. On le rencontre uniquement en climat méditerranéen. Le frêne tient très bien la concurrence sur le plan de la valeur alimentaire et de l’appétence. Malheureusement, la moitié de la France est touchée par la chalarose du frêne, qui aujourd’hui n’a pas de remède. Mais il y a déjà beaucoup à faire avec les érables et le saule blanc pour les bovins aux besoins modérés. » Le saule blanc est réputé pour ses propriétés antiparasitaires et il est très appétent. Le tilleul et l’aulne sont aussi à considérer. Le chêne pédonculé est l’essence la plus riche en tanins et il est de ce fait un peu moins appétent. « Les animaux par eux-mêmes sentent les tanins et choisissent leurs bouchées. Il faut aussi l’associer avec d’autres essences comme l’aulne et le frêne, moins riches en tanins, et évidemment compléter avec la végétation herbacée des prairies. »
L’Inra de Lusignan conduit sur ce thème un important programme de recherche et a déjà publié les valeurs alimentaires de nombreuses essences d’arbres.
Une formation pour donner des idées aux autres éleveurs
L’association française d’agroforesterie et Gaia consulting organisent cet automne une formation agréée par Vivea sur les fourrages ligneux avec Adrien Messéan. Cette formation fait le point sur les connaissances scientifiques récentes et sur la mise en œuvre pratico-pratique de la valorisation des fourrages ligneux dans un élevage bovins viande d’aujourd’hui. « La formation se compose d’une session numérique à distance (5 heures) disponible depuis le 15 juin, et d’une journée sur le terrain organisée en régions à partir de fin septembre 2020 (Aisne, Meuse, Creuse, Corrèze et autres dates à venir en Normandie, Bourgogne, Pays de la Loire). A l’issue de la formation, les éleveurs sont invités à rester en lien avec les formateurs et à partager leurs mises en pratique avec les autres éleveurs via la plateforme collaborative Landfiles », explique Caroline Hébert de Gaia consulting.