Daniel Platel, conseiller de la Chambre d'agriculture de la Somme
"Le vêlage à deux ans est un formidable levier de progrès technique"
Ce conseiller viande bovine est convaincu que le vêlage à 2 ans est source de progrès pour la rentabilité des troupeaux picards.

Quels sont les objections les plus fréquentes des éleveurs quand on aborde le sujet du vêlage à 2 ans, et que peut- on répondre ?
D.P. : Il existe un véritable blocage psychologique sur le sujet. « Ça ne marche pas, les primipares de 2 ans vêlent mal, ne remplissent pas, on casse le gabarit des femelles, c’est coûteux à nourrir, etc. ». Et qui n’a pas son expérience personnelle avec un vêlage à 2 ans catastrophique résultant de saillies accidentelles… Nous sommes loin de la réalité. La conduite en vêlage précoce est une technique exigeante et sa mise en pratique n’a qu’un but : l’amélioration de la rentabilité des troupeaux. Des exemples de réussite attestent de la faisabilité, mais les éleveurs, et même certains techniciens, sont sceptiques. Nous avions visité avec des éleveurs, il y a déjà six ans, la ferme de Courtançon dans l’Aube qui pratique le vêlage à 2 ans. L’expérimentation de Jalogny apporte des vérités sur la technique, bien qu’en Picardie les élevages soient sur une conduite différente et nettement avantagés sur le plan alimentaire. Avec cette conduite, les mères ont moins de lait, le colostrum est moins riche et les veaux sont plus petits, mais cela se gère avec une complémentation adéquate.Le vrai problème réside dans les difficultés de retour en chaleur des primipares, qui risquent de désorganiser les vêlages.
Peut-on maîtriser ce problème de fécondité des primipares ?
D. P. - Je conseille systématiquement de garder les veaux enfermés dans leur parc, et d’organiser une tétée le matin et une tétée le soir. Ce n’est pas une solution miracle, mais elle aide au retour de cyclicité des primipares. En limitant le nombre de tétées, on limite le nombre de décharges d’ocytocine, hormone antagoniste à la reprise du cycle. Cette conduite favorise d’autre part la surveillance des veaux et la lutte contre les veaux « voleurs ». Ils sont plus familiers avec l’homme et consomment mieux le concentré qui pallie Daniel Platel, chambre d’agriculture de la Somme la moindre lactation des jeunes vaches. En pratique cela n’est pas compliqué à instaurer, les habitudes sont vite prises et le troupeau est plus calme. Le groupage des chaleurs, même si la première ovulation n’est pas forcément de qualité, permet de relancer la machine. Bien entendu, cela doit s’accompagner d’une alimentation quasi à volonté.
Que dire sur le risque de dégradation du format des mères ?
D. P. - Quand les « 2 ans » vêlent, l’éleveur regrette d’avoir écouté son technicien. La comparaison avec les multipares est d’un contraste traumatisant. Par contre quand elles atteignent l’âge de 6 ans, en bonnes conditions techniques, il n’y a plus de différence. Il faut donc laisser le temps au temps. Ceci n’est pas toujours compatible avec un objectif de vente de reproducteurs pour lequel l’image du troupeau doit impressionner l’acheteur. Sur nos exploitations de polyculture élevage, pour des raisons d’organisation du travail, le groupage des vêlages est une priorité et cela amène à pratiquer un renouvellement de 30 %. Les vaches sont réformées en moyenne à 5 ans et donc souvent avant d’avoir atteint leur poids adulte. La génétique avance alors àpas de géant car trois générations se succèdent en dix ans. Nous sommes sur une sélection de masse et sur le long terme, mathématiquement, le progrès du troupeau est plus rapide.
Le recours à l’insémination va-t’il de pair avec la conduite en vêlage à 2 ans ?
D. P. - C’est d’abord le moyen de sécuriser les facilités de naissance. Ensuite le cumul génétique en IA développe la précocité sexuelle et le potentiel de croissance, pour des raisons qui tiennent à l’organisation de la sélection (vêlage à 2 ans justement des filles de taureaux en testage). Les taureaux tardifs n’ont jamais pu s’y distinguer. Les utilisateurs de l’IA sont les mieux placés pour réussir.
Quelles sont les pré-requis techniques ?
D. P. - Le niveau génétique d’abord. Les croissances sous la mère doivent être soutenues, et après le sevrage, les broutardes doivent être complémentées pour atteindre 60 % de leur poids adulte à la mise à la reproduction. Il faut peser les animaux. Ces conditions sous-entendent un suivi par Bovins Croissance. En hiver, en période de reproduction, je conseille de nourrir à volonté. Le coût alimentaire par UGB ne va pas exploser puisque il y a un lot de génisses en moins à nourrir.
Pensez-vous que cette conduite puisse se développer massivement dans votre région ?
D. P. - En Picardie, les éleveurs disposent de ressources alimentaires abondantes, de qualité, et à des tarifs compétitifs. Le niveau génétique évolue et une nouvelle population d’éleveurs attachés à la productivité du troupeau apparaît. Il faut maintenant organiser des formations sur la technique du vêlage précoce pour ne pas faire prendre de risques inutiles aux éleveurs. Il faudra encore beaucoup de temps et de persuasion pour développer progressivement cette technique. Bref, du travail en perspective !
La norme en élevage laitier
« En élevage laitier, dans la région, le vêlage à 2 ans n’est plus sujet à discussion, car contrôleurs laitiers, inséminateurs, fabricants d’aliments, ont fait progressé les éleveurs dans le même sens. En viande, celui qui ose promouvoir la technique passe pour un théoricien, mais l’avenir donnera peut-être raison aux pionniers. En production laitière 80 % du lait est produit dans les élevages adhérents au service du contrôle laitier. En 25 ans ce secteur a subi une révolution technique. En viande il est temps de raisonner « marge hors prime » pour faire avancer le secteur sur la technique. Avec la nouvelle PAC des données vont changer. »